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L’ère des cuisiniers n’a plus rien à m’apprendre. — 1966 (7)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé

L’ère des cuisiniers

L’ère des cuisiniers n’a plus rien à m’apprendre.
Je sais comme eux choisir la viande la moins tendre
et la laisser après molle comme un tampon.
Ce que moi je leur fais et de moi ce qu’ils font.

J’en ai la clef. La boîte et le couvercle! – Entendre
complète ce qui parle; on traverse le pont
comme le pont, sous lui, laisse un fleuve descendre;
On monte et l’escalier qui descendait répond.

L’étage, le palier, la famille, la pause,
l’effet qui met son pied dans la main de la cause,
l’enfant qui fait un ventre au couple désuni,

ce qu’il faut, c’est le bruit de ce muet qui cause;
c’est cette main de mort sur notre amour puni:
La nuit, pareille au jour et pareille à la nuit.

Q2 – T8

À grands coups d’avirons de douze pieds, tu rames — 1873 (28)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

A un Juvénal de lait
Incipe , parve puer ,  risu cognoscere  ...

À grands coups d’avirons de douze pieds, tu rames
En vers … et contre tout – Hommes, auvergnats, femmes. –
Tu n’as pas vu l’endroit et tu cherches l’envers.
Jeune renard en chasse … ils sont trop verts – tes vers.

C’est le vers solitaire . – On le purge. – Ces Dames
Sont le remède. Après tu feras de tes nerfs
Des cordes-à-boyau; quand, guitares sans âmes,
Les vers te reviendront déchantés et soufferts.

Hystérique à rebours, ta Muse est trop superbe,
Petit cochon de lait, qui n’as goûté qu’en herbe,
L’âcre saveur du fruit encore défendu.

Plus tard, tu colleras sur papier tes pensées,
Fleurs d’herboriste, mais, autrefois ramassées …
Quand il faisait beau temps au paradis perdu.

Q2 – T15

Joli petit oiseau — 1869 (3)

– Theodoric Geslain (ed.) – Sonnets provinciaux

Un chant d’oiseau

Joli petit oiseau
Perché sur cet ormeau,
Que me dit ton langage
En ce charmant ramage?

« Laboureur, il fait beau;
Allons, vite à l’ouvrage;
Laisse-là ton manteau:
Va, ne crains pas l’orage!

« Et toi, jeune garçon,
En allant à l’école,
Ecoute ma leçon:

« Quitte ta gaîté folle,
Et pour moi sois humain.
C’est l’ordre du destin ».

Michel Poulailler

Q2 – T23 – 6s – bi

Jusqu’à présent, lecteur, suivant l’antique usage, — 1850 (3)

Alfred de Musset Poésies nouvelles

Sonnet au lecteur

Jusqu’à présent, lecteur, suivant l’antique usage,
Je te disais bonjour à la première page.
Mon livre, cette fois, se ferme moins gaiement;
En vérité, ce siècle est un mauvais moment.

Tout s’en va, les plaisirs et les moeurs d’un autre âge,
Les rois, les dieux vaincus, le hasard triomphant,
Rosalinde et Suzon qui me trouvent trop sage,
Lamartine vieilli qui me traite en enfant.

La politique, hélas! voilà notre misère.
Mes meilleurs ennemis me conseillent d’en faire.
Etre rouge ce soir, blanc demain, ma foi, non.

Je veux, quand on m’a lu, qu’on puisse me relire.
Si deux noms, par hasard, s’embrouillent sur ma lyre,
Ce ne sera jamais que Ninette ou Ninon.

Q2 – T15

J’aime les vieux manoirs, ruines féodales — 1842 (11)

Louise Colet Poésies

Les Baux

J’aime les vieux manoirs, ruines féodales
Qui des rocs escarpés dominent les dédales;
J’aime du haut des tours de leur sombre prison
A voir se dérouler un immense horizon;

J’aime, de leur chapelle en parcourant les dalles,
A lire les ci-gît couronnés de blason,
Et qui gardent encor la trace des sandales
Des pèlerins lointains venus en oraison.

Parmi les noirs châteaux gigantesques décombres
Dont les murs crénelés jettent au loin leurs ombres,
Aux champs de la Provence est le donjon des Baux:

Là, chaque nuit encore, enlacée par les Fées,
Dans une salle d’arme aux gothiques trophées,
Dorment les chevaliers sortis de leurs tombeaux

Q2 – T15 mme Colet n’a pas reculé devant le quatrain plat: aabb  abab