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Un moment difficile à passer est celui — 1869 (10)

Fernand Desnoyers

Impressions d’un guillotiné

II
Un moment difficile à passer est celui
Où l’on est réveillé, le matin, par un prêtre
Auquel le condamné dit: « C’est pour aujourd’hui? … »
Et qui répond:  » Mon fils, vous allez comparaître … »

Et coetera – La main moite cherche un appui;
On se lève – Le vent de la mort vous pénètre
Comme un air glacial qui vient d’une fenêtre.
L’espoir se sèche en vous; on regrette la nuit …

La messe, les apprêts de la sombre toilette,
Le froid des grands ciseaux passant par les cheveux,
Causent des soubresauts et des hoquets nerveux.

L’échafaud apparaît. L’obliquité si nette,
Le luisant et surtout le calme du couteau,
Donnent à réfléchir … Le reste est fait bientôt.

Q9 – T30

Comme il vient de porter sa pauvre femme en terre, — 1868 (18)

Coll.sonnets et eaux fortes

Joséphin Soulary

Une grande douleur

Comme il vient de porter sa pauvre femme en terre,
Et qu’on est d’humeur triste un jour d’enterrement,
Au prochain cabaret il entre sans mystère;
Sur les choses du coeur c’est là son sentiment.

Il se prouve en buvant que la vie est sévère,
Et, vu que tout bonheur ne dure qu’un moment,
Il regarde finir mélancoliquement
Le tabac dans sa pipe et le vin dans son verre.

Deux voisins, ses amis, sont là-bas, chuchotant
Qu’il ne survivra pas à la défunte, en tant
Qu’elle était au travail aussi brave que quatre.

Et lui songe, les yeux d’une larme rougis,
Qu’il va rentrer, ce soir, ivre-mort au logis,
Bien chagrin de n’y plus trouver personne à battre.

Q9 – T15

O vous qui dans ces chants pleins de mélancolie, — 1862 (7)

Henri Pell Poésies diverses

Imitation de Pétrarque

O vous qui dans ces chants pleins de mélancolie,
Ecoutez attentif le son de ces soupirs,
Qui nourrissaient mon coeur au temps de sa folie,
Alors qu’il bouillonnait d’ardeur et de désirs;

Je raconte en mes vers sur ma lyre amollie
Les chimériques maux, les futiles plaisirs,
Vous tous qui de l’amour gardez les souvenirs,
Vous plaindrez la douleur dont mon âme est remplie.

Maintenant que l’amour est éteint dans mon coeur,
Je sens avec effroi que ma funeste ivresse,
Fut longtemps un jouet pour un monde moqueur.

Mes erreurs m’ont laissé la honte et la tristesse,
Et j’entrevois, hélas!, dans mon accablement
Que tout est ici-bas chimère et denûment.

Q9 – T23 – tr  (Pétrarque, rvf 1)

La treizième revient … C’est encor la première; — 1854 (9)

Gérard de Nerval Les Chimères

Artémis

La treizième revient … C’est encor la première;
Et c’est toujours la Seule, – ou c’est le seul moment;
Car es-tu Reine, ô Toi! la première ou dernière?
Es-tu Roi, toi le Seul ou le dernier amant? …

Aimez qui vous aima du berceau dans la bière;
Celle que j’aimai seul m’aime encor tendrement:
C’est la Mort – ou la Morte … O délice! ô tourment!
La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière.

Saint napolitaine aux mains pleines de feux,
Rose au coeur violet, fleur de Sainte Gudule:
As-tu trouvé ta Croix dans le désert des Cieux?

Roses blanches, tombez! vous insultez nos Dieux,
Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle:
– La Sainte de l’Abîme est plus sainte à mes yeux!

Q9 – T17

Ce livre est toute ma jeunesse; — 1840 (6)

Alfred de Musset Poésies complêtes


Au lecteur

Ce livre est toute ma jeunesse;
Je l’ai fait sans presque y songer.
Il y paraît, je le confesse,
Et j’aurais pu le corriger.

Mais quand l’homme change sans cesse,
Au passé pourquoi rien changer?
Va-t-en pauvre oiseau passager;
Que Dieu te mène à ton adresse!

Qui que tu sois, qui me liras,
Lis-en le plus que tu pourras,
Et ne me condamne qu’en somme.

Mes premiers vers sont d’un enfant,
Les seconds d’un adolescent,
Les derniers à peine d’un homme.

Q9 – T15 – octo

J’ai voulu d’un sonnet régaler mes amis — 1839 (17)

M. Courtois Mes petits moments

Sonnet dédié aux amateurs

J’ai voulu d’un sonnet régaler mes amis
– Tout beau ! dira quelqu’un ; a-t-il eu tant d’audace ?
– Hé ! pourquoi, cher lecteur ? ne m’est-il pas permis
De vous faire, à mon tour, si je puis, une grâce ?

– Comment ! quatorze vers ! à la règle soumis ? …
– Chacun aura son lieu, j’en ai mis six en place.
Et les huit autres ? – Bah ! sans trop laide grimace
Mes deux quatrains sont faits ; heureux s’ils sont admis !

– Mais les tercets ?  – Voilà le plus fort de l’affaire.
– Vous ne saurez jamais ni l’un ni l’autre faire ;
Vous en aurez la honte, à notre grand plaisir.

– Nicolas, aide-moi ! tu nous a dit toi-même
Qu’un sonnet sans défaut vaut seul un long poème
Si le mien n’en a qu’un je n’ai plus de désir.

Q9  – T15  – sns  – s sur s

Du Parnasse français législateur classique, — 1839 (5)

Louis Ayma Les préludes

Louis Ayma, un provincial (dont la BNF ne possède qu’un microfilm tiré sur l’exemplaire de la bibliothèque municipale de Cahors) annonce dans sa préface:  » La troisième et dernière partie, Des bords de l’Adour, se compose exclusivement de sonnets. … Ces sonnets ont tous, ou presque, été composés à Dax, jolie et
aimable ville du département des Landes, traversé par l’Adour
Presque tous ces sonnets sont de ceux que nous appelons Sonnets libres. Nous n’avons pas la prétention de faire ici une poétique à notre usage; mais nous devons expliquer les raisons qui nous ont autorisé à préférer la forme libre à la forme stricte préconisée par Boileau … Le sonnet en effet, par l’étendue moyenne et précise de ses dimensions, par la coupe variée de ses strophes, est le cadre le plus heureux qu’on puisse imaginer pour mettre en relief une idée unique, un portrait, un souvenir, un symbole, une pensée morale, une impression, un élan, une émotion. Mais, comment conserver ce précieux privilège sous les chaînes ridicules dont les faiseurs de poétique l’ont surchargé? Certes le plus grave reproche qu’on puisse faire à notre poésie, c’est le retour monotone des rimes, vice inné, que les grands maîtres ne dissimulent qu’à force d’art! que sera-ce donc, si pour 8 vers vous n’autorisez que 2 rimes symétriquement disposées? Votre sonnet sera lourd par nécessité et pénible, et aura juste la valeur de quatorze bouts-rimés. Aussi, lisez sans prévention les plus vantés des sonnets réguliers, et vous y remarquerez à première vue un air de gêne qui fatigue et fait mal.
…. nos autorités pour l’affranchissement du sonnet sont …. Shakespeare, qui a fait une quarantaine de sonnets, tous libres. M. Philarète Chasles, dans son volume Caractères & Paysages, a traduit librement deux de ces sonnets, qui font connaître sous sa face intime, le sombre auteur d’Hamlet. On trouvera dans la troisième partie de notre livre un de ces sonnets que nous avons essayé de traduire.

Nous pensons que ces autorités, que nous avons choisies, et non comptées autorisent suffisamment notre tentative de réhabilitation Du reste on trouvera, par-ci, par-là, dans le nombre, quelques sonnets réguliers: mais nous prions le lecteur de croire que nous n’y avons pas songé.

Les poètes espagnols ont introduit dans le sonnet une modification importante: après les tercets, qui chez nous terminenent le sonnet, ils ajoutent deux autres tercets, et quelquefois deux quatrains; ils appellent cela sonnets à queue.
Nous avons aussi essayé de donner au sonnet régulier une autre forme qui, en faisant disparaître le gêne des rimes suivies, permît en quelque sorte de donner quelque développement au tableau, un peu restreint quelquefois dans quatorze vers. Notre modification consiste à croiser deux sonnets réguliers, de façon à ce que le 1 et le 3, le 2 et le 4 soient composés de rimes semblables, mais alternées. Après les quatre quatrains viennent au lieu de deux tercets, deux sizains. On verra un exemple de ce sonnet, que nous appelons redoublé, dans la pièce XIX, à mes linottes.  » (6).

Mr Ayma n’a qu’une idée assez vague de l’histoire du sonnet. Il attribue le ‘sonetto caudato’ aux espagnols et donne 40 sonnets à Shakespeare. Mais il compose ce qui est, il me semble, le premier sonnet renversé.


I – A Boileau

Du Parnasse français législateur classique,
Permets qu’à tes genous, plein d’un pieux effroi,
Le front dans la poussière, un auteur romantique
Vienne se confesser de violer ta loi.

Il s’agit du Sonnet , de ce poème-roi,
Que, dans le chant second du Code poétique,
Tu déclares valoir mieux qu’un poème épique.
Eh bien! des ces Sonnets j’en ai fait cent-un, moi!

Mais hélas! les quatrains de mesure pareille,
La rime avec deux sons frappant huit fois l’oreille,
Je n’ai rien observé dans mon fol abandon;

J’enjambe quelquefois, et souvent je répète
Le même mot, enfin ma folie est complète,
Car je suis romantique, ô Despréaux, pardon!

Q09 – T15 – s sur s

Ma soeur, t’en souvient-il? Un soir, sur la Morlande, – — 1837 (1)

Théodore Guiard Luccioles

Sonnet XV

Ma soeur, t’en souvient-il? Un soir, sur la Morlande, –
– La lune se levait derrière les Alleux,
Dans un ciel embrumé comme le ciel d’Irlande,
Nous regardions flotter un voile nébuleux.

Les étoiles pour nous, mieux que pour un Lalande,
Sous leur capuce brun découvraient leurs yeux bleus,
Cependant que Phoebé de ses reflets huileux
Durcit le vert gazon de la déserte lande. –

Et tous deux, frère et soeur, nous étions là, suivant
Les grisâtres vapeurs, que dispersait le vent,
Ou le pâle rayon, qui sur l’herbe tremblotte;

Et nos yeux, s’égaraient dans les champs de l’éther,
Et tu rêvais … et moi, je pensais à Werther
Chargeant l’arme fatale et priant pour Charlotte.

Q9 – T15

Blâmeras-tu, Philis, l’audace de ces vers … — 1832 (2)

Léger Noël Mes premières amours

A Philis

Blâmeras-tu, Philis, l’audace de ces vers …
Tu peux les lire, au moins, sans que ton front rougisse.
Je ne viens point pleurer sur un bien que je perds;
Et ton bonheur m’arrache un cruel sacrifice.

Quoiqu’en proie à l’amour, et captif dans tes fers,
Ne crains plus que mon coeur t’expose mon supplice;
Si de mes maux encor il faut que je gémisse,
Mes larmes couleront dans l’ombre des déserts.

J’ose te demander ton immortel suffrage.
Tu me tins lieu de muse; Amour fut l’Apollon
Qui conduisait mes pas dans le sacré vallon,

Sur les bords d’Hippocrene, au pied de l’Hélicon,
Tu m’inspiras ces vers; et je t’en dois l’hommage;
Daigne d’un doux sourire accueillir ton ouvrage.

Q9 – T31