Archives de catégorie : Q15 – abba abba

L’aube sur le cratère allume un reflet d’or. — 1992 (7)

Henri Bellaunay Petite anthologie imaginaire de la poésie française

Les romains de la décadence

L’aube sur le cratère allume un reflet d’or.
La nuit en s’enfuyant a foudroyé l’orgie.
Le délectable loir, l’huître de Batavie,
Sur la pourpre de Tyr se confondent aux corps.

Aux cassollettes, seuls, s’exaspèrent encor,
Les parfums énervants de la perverse Asie.
Où reluit du plaisr la stridente furie
Tombe un silence épais qui ressemble à la mort.

La Vestale, ravie à sa grave retraite,
Pleure inlassablement sa pureté défaite
Sur la dalle où le stupre a souillé le Carrare.

Ils gisent, engloutis dans un glauque sommeil,
Et ne peuvent pas voir, offusquant le soleil,
L’ombre démesurée et noire du Barbare.

(José-Maria de Heredia)

T15 – Q15

Toute douceur contient une part d’amertume — 1992 (1)

Jacques Réda Nouveau livre des reconnaissances


Au maître

Toute douceur contient une part d’amertume
Et le moindre abandon penche vers un danger.
L’amour seul est parfait mais il est mensonger,
Où chaque instant vêcu semble déjà posthume.

Et c’est à quoi jamais le coeur ne s’accoutume
Faudrait-il pour autant gémir ou s’insurger?
Passer, réglant son pas sur un mètre léger
Entre le ciel trop pur et le sombre bitume.

Tout au fond d’une chambre en été – noir et blanc
Où palpite un rayon fauve – mais  en tremblant
Un peu, tu reconnais parfois dans ta mémoire

L’image d’une femme: elle tire ses bas
Et l’on entend fermer la porte d’une armoire,
Tant (pour la rime aussi) vous parliez bas.

Q15 – T14 – banv

J’ai manqué de peu l’autocar qui dessert — 1990 (5)

Jacques RédaSonnets dublinois

Galway

J’ai manqué de peu l’autocar qui dessert
Les bords occidentaux du Connemara
Dont j’avais rêvé : son brusque démarrage
M’a fait voir l’inconsstance des dieux. Et certes

Autrefois j’aurais mieux couru. Mais que sert
De courir après la chance qui m’aura
Servi plus souvent qu’à mon tour de courage ?
Le dépit avec la raison se concerte.

En effet en un jour, touriste pressé,
Qu’aurais-je appris de la farouche étendue
Qu’il faut affronter seul et presque perdu

Loin, lontemps, sans but, sans arrière-pensée
De retour, si l’on veut atteindre le port
Où s’embarquer enfin comme on s’évapore ?

Q15  T30  rimes « hétérosexuelles »  11s

Rien de plus attirant, une ville qu’on voit — 1990 (2)

Jacques RédaSonnets dublinois

Une arrivée

Rien de plus attirant, une ville qu’on voit
Apparaître la nuit après qu’un long nuage
Qui semblait essuyer et polir un vitrage
D’horlogerie, a fui sous les ailes. Tout droit

Au fond de cet abîme, on toucherait du doigt
Chaque perle de ces colliers, chaque rouage
Qui sont un carrefour, une rue, une sage
Petite lampe auprès de laquelle s’assoit

Un vivant inconnu mais humain. Il écoute
Le bourdonnement vague où l’on a fait sa route
Sans herbe ni talus, sans asphalte, en volant

Entre la mer obscure et l’astre étincelant.
Et l’on descend enfin, sur des lambeaux de voiles,
Vers un éblouissant pâturage d’étoiles.

Q15 – T13 – disp: 4+4+4+2

Qu’à son plaisir mon œil te considère — 1988 (7)

Bernard Manciet (trad) André du Pré Sonnets gascons

X

Qu’à son plaisir mon œil te considère
Il fait de toi toute sorte de fleur
La fraîche rose en sa belle couleur
C’est ton menton, ton col, ta main légère

Qu’avec des lis candides il tempère.
Sur ton front naît le souci de pudeur
Dedans tes yeux violette se meurt
Et giroflée aux lèvres fait enchère.

De fleurs sont faits et la joue et le nez.
Oreille et sein carmin vous soutenez.
Mais ce doux voir est tout ce qu’on me laisse.

Et tout ainsi qu’au ciel, quand serai mort
Dieu regarder sera mon réconfort
Sur cette terre est te voir ma liesse.

Q15 T15 tr

Même quand le silence aura bu mon passage — 1988 (6)

Michel Vaillant in Dictionnaire de poétique et rhétorique (4ème ed.)


Couronne de sonnet : sonnet maître

Même quand le silence aura bu mon passage
Immolé sur la borne obscure du chemin,
Ce nom qui, sans écho, n’aurait plus rien d’humain,
Houle incertaine qui s’éloigne du rivage

Et que remportent les ténèbres sans partage,
Laisse qu’il chante encore au creux chaud de ta main,
Vaine, vaine rumeur de croire que Demain
A la conque fragile a livré son message.

Innombrable mensonge, un jour et puis un jour !
La terre s’épaissit et s’engraisse d’amour,
Le monde s’engloutit d’entasser la lumière.

Amer laurier l’espoir de penser que mes cris
Nocturnes retournés au repos de la pierre,
T’aideront à descendre au silence où je suis.

Q15  – T14  – banv – acrostiche

Je voudrais écrire un sonnet. — 1988 (5)

Pierre Gripari Marelles

Sonnet

Je voudrais écrire un sonnet.
– Un sonnet? Mon Dieu, c’est horrible!
– Mais non! Ce n’est pas si terrible!
Voici le premier quatrain fait!

Pour le second, j’avoue que c’est
Plus dur de taper dans la cible!
D’autant qu’il me faut, c’est visible,
Une nouvelle rime en « ê »!

Enfin voici les deux tercets,
Que je peux bâtir, s’il me plaît,
En utilisant d’autres rimes …

Encore un vers à vue de nez,
Puis un tout dernier coup de lime,
Et le poème est terminé!

Q15 – T7 – y=x : c=a – octo – s sur s

Quando en vesper blanc s’extourbit lougarou — 1986 (4)

René BellettoLoin de Lyon – XLVII sonnets –


XLVII

Quando en vesper blanc s’extourbit lougarou
Et dravant tout sbubu in vivo castrati
Barjaque parlamor nonobstant qui est qui
Anscrut les stachichi au su des roudoudous,

Quando maliss (tendo limass) il vi dermou
S’éruminentérut au verso des étri
Au persu des foutrons sevré de mal en pis
Et ris noir aïe jailli tout prurit et rectou,

Alor alor, pastan hors les basoubasax
(Mais par un trou carré esquintant tous les axes),
Rinlaidron touboubou kif kif kes amours fussent

Dénérénélés déjà éternels par l’art
Sans loup, effaçons ma chérie hors papyrus
De lapins et moutons à jamais le départ

Q15 – T14 – banv

Casque à Manda casqua; plaqua Leca, l’Apache. — 1985 (3)

Maurice Millereau dit Mirall et Georges Théron in Jacques CellardAnthologie de la littérature argotique

Le grand combat de Leca contre Manda pour les beaux yeux de Casque d’or

Casque à Manda casqua; plaqua Leca, l’Apache.
Manda ballada Casque à la barbe à Leca.
Leca, mâle à gras bras, qu’a pas la rate à plat,
Baba, bava, ragea: « Ah! la carne! Ah! la vache!

Manda crâna, blagua, nargua Leca, bravache.
Hagard, Leca clama: « Tabac, tabac! tabac!  »
A la dague, à la lame (à la hâte), attaqua.
Manda para; cana; cavalcada .. Macache!

Par sa cape alpaga, l’Apache happa Manda,
L’agrafa, l’accabla, malaxa sa ganache,
La tanna, saccagea, savata, salada.

La carda, la scalpa … Manda brama: « Ah! lâche! … »
S’affala, patatras! – cracha, râla, claqua …
L’Apache, à la papa, pas à pas, cavala.
1902?

Q15 – T19 – y=x : c=a, d=b – Quasi-monovocalisme en ‘a’, les ‘e muets’ n’étant pas pris en compte

Un brave homme de bègue, assez cu-cultivé, — 1984 (2)

Boris Vian Cent sonnets


Simple histoire de bègue

Un brave homme de bègue, assez cu-cultivé,
Vivait de son ja-jardinet plein de fleurettes,
Plein de ca-calme et de repos, de violettes
Et de pi-pissenlits. Rien ne fut arrivé

S’il n’eût été go-goberger au pied levé
Sa cousine Julie, fille fort coqué-quette,
L’emmené-ner aux champs, pour faire la dînette,
Sur son baudet qui ruait sur les pa-pavés.

Mais dans les roseau-seaux, Pan vint se promener.
En le voyant-y-ant, l’âne brait. Etonné:
– Pan-Pan! fait notre bègue et le dieu tombe mort.

Le pauvre devint fou. Fou plus que lui n’y a.
Tous les matins dans sa cami-misole il sort,
Donner un biberon à ses bé-bégonias …

Q15 – T14 – Ces sonnets ont été composés vers 1944. On admirera la manière dont l’hendécasyllabe devint alexandrin