Archives de catégorie : Q17 – abba baba

A quoi bon ? me disais-je. A quoi bon ? A quoi bon ? — 1958 (14)

Raymond Queneau – (sonnets écartés des sonnets de 1958)

Mon adolescence immédiatement présente

A quoi bon ? me disais-je. A quoi bon ? A quoi bon ?
(Car je me croyais né d’une couple d’andouilles.)
Je me grattais le corps du nez jusqu’aux couilles.
« Ah ! que je suis ! (me disais-je) Ah ! que je suis con !

As-tu vu le homard au frais parmi les nouilles ? »
Non ! je l’avais pas vu ! j’étais pourtant planton …
Alors tu aperçois dans la plaine des douilles ?
(J’étais mauvais tireur au fusil à piston …)

Ah ! lài lài mais tout ça ce n’est que souvenir !
Je ne supportais plus le passé dans mes songes
Et je levais le poids des regrets … un soupir ..

A quoi bon ! me disais-je Est-ce que le tapir
Vole beaucoup plus haut que ne font les éponges ?
Peut-être ces questions n’ont aucun avenir

Q17  T17

Nous avons vu la liberté — 1944 (6)

Jean Tardieu in Margeries (1986)

Sur les bords de la Seine

Nous avons vu la liberté
Sous des couleurs sans consistance:
Elle prend une autre existence
Au fond de nos cœurs déchirés!

Tout ce qui fut la Connaissance
Dans nos veines est bien resté
Et remonte à la conscience
Comme le cri de la clarté.

Je vois la Seine qui s’allonge
Et déroule autour de nos songes
Ses arbres d’or et ses palais.

Que nos regards trop lourds s’y posent
Pour trouver la lumière éclose
Aux feux d’un immortel reflet.

Q17 – T15 – octo

Il n’y avait que des troncs déchirés, — 1944 (2)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

VIII

Il n’y avait que des troncs déchirés,
que couronnaient des vols de corbeaux ivres,
et le château était couleur de givre,
ce soir de fer où je m’y présentai.

Je n’avais plus avec moi ni mes livres,
ni ma compagne, l’âme, et ses péchés,
ni cette enfant qui tant rêvait de vivre,
quand je l’avais sur terre rencontrée.

Les murs étaient blanchis au lait de sphynge
et les dalles rougies au sang d’Orphée.
Des mains sans grâce avaient tendu des linges

aux fenêtre borgnes comme des fées.
La scène était prête pour des acteurs
fous et cruels à force de bonheur.

Q17 – T23 – déca

Comme un beau vase il doit être parfait ou plein. — 1928 (10)

Mathilde Delaporte Sonnets

Le sonnet

Comme un beau vase il doit être parfait ou plein.
Lorsqu’il est vide il faut, sans tache et sans jaspure,
Que les vers, épousant l’harmonieuse épure,
Soient d’un corps précieux, opaque ou cristallin.

Qu’on tremble d’y toucher, si l’on n’est pas enclin
A chercher au travers des mots la forme pure !
Pour oser modeler la parfaite courbure,
Il faut être un Seigneur de l’art, par un Vilain.

Cependant j’ai tenté la tâche difficile,
Et les flancs imparfaits de mon vase d’argile,
S’emplissent lentement d’une rare liqueur,

Ayant pour concentrer l’atome qu’il réclame,
Pressé de mes deux mains ma pensée et mon cœur
J’ai pu dans le Sonnet mettre des gouttes d’âme.

Q15  T14  s sur s

La danseuse avec art multipliant l’espace — 1921 (3)

Charles Morice Le rideau de pourpre

La Danseuse

La danseuse avec art multipliant l’espace
Tandis que l’Ange au ciel chante d’éternité,
Je me sacre le roi d’un monde illimité
De par une, aile et gaze, unique et double grâce.

C’est mon rêve qu’on joue au Théâtre Enchanté
Du ciel et de la mer, des choses et des races!
C’est mon âme, la voix divine et la beauté
Humaine, c’est mon âme et qui reste et qui passe!

Mais, bien qu’au bout d’un acte à peine, blanc et bleu,
L’héroïne, déjà de l’illusoire lieu
Lasse, dans l’infini, que le pli de ses voiles

Désigne et que son jeu de pas nous révéla,
A hâte d’être ainsi que les autres étoiles,
Hors du temps aboli d’un bond, de l’au-delà.

Q17 – T14

Le palais de Gormaz, comte et gobernador, — 1909 (2)

Georges Fourest La négresse blonde

Le Cid

Le palais de Gormaz, comte et gobernador,
Est en deuil : pour jamais dort couché sous la pierre
L’hidalgo dont le sang a rougi la rapière
De Rodrigue appelé le Cid Campeador.

Le soir tombe. Invoquant les deux saints Paul et Pierre
Chimène, en voiles noirs, s’accoude au mirador
Et ses yeux dont les pleurs ont brûlé la paupière
Regardent, sans rien voir, mourir le soleil d’or…

Mais un éclair soudain fulgure en sa prunelle :
Sur la place Rodrigue est debout devant elle !
Impassible et hautain, drapé dans sa capa,

Le héros meurtrier à pas lents se promène :
« Dieu ! » soupire à part la plaintive Chimène,
« Qu’il est joli garçon l’assassin de Papa ! »

Q17 – T15

 » Ce ne sont pas des yeux, ce sont plutôt des dieux, — 1905 (11)

Georges Courteline La conversion d’Alceste

Alceste veut parler, mais déjà Oronte a tiré un papier de sa poche. … Il annonce: « Sonnet composé à la gloire de deux jeunes yeux, amoureux, dans lequel le poète, attaché à louanger comme il faut, à célébrer comme il convient, leur feu, leur mouvement, leur couleur, leur éclat, renonce à trouver, même dans le domaine du chimérique, une image digne de leur être opposée.  »

Il lit:

 » Ce ne sont pas des yeux, ce sont plutôt des dieux,
Ayant dessus les rois la puissance absolue.
Des dieux? … Non! Des cieux plutôt, par leur couleur de nue
Et leur mouvement prompt comme celui des cieux

Des cieux? … Non!…Deux soleils nous offusquant la vue
De leurs rayons brillants clairement radieux! …
Soleils? … Non! … mais éclairs de puissance inconnue,
Des foudres de l’amour, signes présagieux …

Car s’ils étaient des dieux, feraient-ils tant de mal?
Si des cieux, ils auraient leur mouvement égal!
Des soleils? … Ne se peut! Le soleil est unique.

Des éclairs alors! … Non … car ces yeux sont trop clairs!
Toutefois, je les nomme, afin que tout s’explique:
Des yeux, des dieux, des cieux, des soleils, des éclairs!  »

Q17 – T14

Parmi les bruyères, penil des menhirs, – 1897 (21)

Alfred Jarry – Les jours et les nuits

Parmi les bruyères, penil des menhirs,
Selon un pourboire, le sourd-muet qui rôde
Autour du trou du champ des os des martyrs
Tâte avec sa lanterne au bout d’une corde.

Sur les flots de carmin, le vent souffle en cor.
La licorne des mers par la lande oscille.
L’ombre des spectres d’os, que la lune apporte
Chasse de leur acier la martre et l’hermine.

Contre le chêne à forme humaine, elle a ri,
En mangeant le bruit de hannetons, C’havann,
Et s’ébouriffe, oursin, loin sur un rocher.

Le voyageur marchant sur son ombre écrit.
Sans attendre que le ciel marque minuit
Sous le batail de plumes la pierre sonne.

Q17  T21 11s

Il a vêcu tantôt gai comme un sansonnet, 1897 (16)

Gérard de Nerval ? in Petite Revue Internationale

L’Epitaphe

Il a vêcu tantôt gai comme un sansonnet,
Tour à tout amoureux insoucieux et tendre,
Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre,
Un jour il entendit qu’à sa porte on sonnait.

C’était la Mort! Alors il la pria d’attendre
Qu’il eût posé le point à son dernier sonnet;
Et puis sans s’émouvoir, il s’en alla s’étendre
Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.

Il était paresseux, à ce que dit l’histoire,
Il laissait trop sécher l’encre dans l’écritoire.
Il voulait trop savoir mais il n’a rien connu.

Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d’hiver, enfin l’âme lui fut ravie,
Il s’en alla disant: « Pourquoi suis-je venu? »

Q17 – T15

Sur l’éblouissement splendide dont la flore — 1893 (1)

– Comte Robert de Montesquiou-Fezensac Le Chef des odeurs suaves

Nymphe .
Une peinture de M. Gustave Moreau

Sur l’éblouissement splendide dont la flore
Marine aux anguleux bocages en corail
Compose la rousseur éparse de vitrail
Où sa blancheur fluide incessamment s’éplore ….

Entre mille clameurs égoïstes, sérail
De tons près d’éclater, de gemmes près d’éclore,
De fleurs près de vibrer, dont le vif attirail
Redoute de sa chair la splendeur incolore ….

O l’inexpérience aimable du danger!
Ruisselante, lactée, astrale, et vers qui grimpe
Un frisson violet de fleurs comme une guimpe,

Galatéa sommeille en un rêve étranger
Sous l’adoration triste dont l’enveloppe
L’unique fixité songeuse du Cyclope.

Q17 – T30