Archives de catégorie : Q17 – abba baba

Sous une voûte, comme aménagée exprès, — 1890 (13)

Ernest Raynaud Les cornes du faune

La fontaine

Sous une voûte, comme aménagée exprès,
De feuillage, au loin, son murmure la dénonce;
Elle s’épanouit dans un cadre de ronce,
Et c’est, autour, comme de l’or qui friserait.

D’un masque de sylvain hilare, qui se fronce,
L’eau jaillit! Pour s’épandre à foison dans le grès,
Si claire, que l’on voit jusqu’où le grès s’enfonce,
D’or rose, et que le lit de graviers transparaît.

L’argent n’a pas le flamboiement de cette eau pure
Où le feuillage met l’ombre de sa guipure;
Et tout le bois semble illuminé de cristal.

Séjour clair (sinon des Hespérides) d’Armide,
Où c’est de mille oiseaux quels adorables lieds!
Dès l’heure où l’Aube en pleurs attendrit les pétales!

Q17 – T15  tercets : ccd ee*d*

Trêve — 1887 (15)

Georges Proteau Les cent sonnets d’un fumiste

L’AMIE NOYÉE
Echantillon de style nègre à l’usage des poètes décadents

Trêve
Au
Beau
Rêve.

L’eau
Crève
Peau
D’Eve.

Pleurs,
Fleurs,
Piste.

Port
Triste
Mort.

« L’amant se désole sur la mort de sa maîtresse. Tout d’abord il avait cru à l’abandon mais des fleurs qu’il connait bien le mettent sur la piste. Arrivé sur le port il trouve le cadavre de son amie gonflé par l’eau. Alors, fou de douleur, il déplore le trépas qui déforme aussi prosaïque-ment le beau corps de l’adorée.
N. B.—Ces quelques mots d’explication’étaient pas superflus pourla compréhension de ce vilain charabia. »

Q17  T14  sns mono

Fille de mon portier! l’Erymanthe sonore, — 1885 (10)

Victor HugoToute la Lyre
Roman en trois sonnets

I

Fille de mon portier! l’Erymanthe sonore,
Devant vous, sentirait tressaillir ses pins verts;
L’Horeb, dont le sommet étonne l’univers,
Inclinerait son cèdre altier qu’un peuple adore;

Les docteurs juifs, quittant les talmuds entr’ouverts,
Songeraient; et les grecs, dans le temple d’Aglaure
Le long duquel Platon marche en disant des vers,
Diraient en vous voyant: Salut! déesse Aurore!

Ainsi palpiteraient les grecs et les hébreux,
Quand vous passez, les yeux baissés sous votre mante:
Ainsi frissonneraient sur l’Horeb ténébreux

Les cèdres, et les pins sur l’auguste Erymanthe;
Je ne vous cache pas que vous êtes charmante,
Je ne vous cache pas que je suis amoureux.

Q17 – T21

Je voudrais habiter, ermite en plein Paris, — 1883 (26)

Paul Arène in L’Artiste

Hoc erat in votis

Je voudrais habiter, ermite en plein Paris,
Dans le quartier bourgeois et neuf qui la renferme,
Cette vieille maison avec des airs de ferme,
Et ce petit jardin qui fut un champ jadis.

Le bon endroit pour vivre heureux et piocher ferme !
Les journaux trop bavards y seraient interdits,
Et le seul espalier payant l’argent du terme,
J’aurais pour moins que rien hanté ce paradis.

La chambrette joyeuse et claire ; et qui domine
Le jardin, sentirait en mai la balsamine,
Aux mois chauds une odeur de grappe et de fruit mûr,

Et l’hiver, quand le ciel rit par un coin d’azur,
A travers les rideaux qu’un rayon illumine,
Des ombres de moineaux passeraient sur mon mur.

Q17  T10

Quand j’étais tout petit, j’aimais les godiveaux, — 1880 (18)

Charles Monselet Poésies complêtes

Le godiveau

Quand j’étais tout petit, j’aimais les godiveaux,
Où, modeste traiteur, souvent tu te révèles.
A présent que je vais aux recettes nouvelles,
Et que mon appétit vole aux gibiers nouveaux,

Je me souviens. Malgré grives et bartavelles,
Je regrette le temps où, fou de maniveaux,
Je dévorais la croûte où nageaient les cervelles
Et les crêtes de coq avec les ris de veaux.

Les godiveaux, orgueils des bourgeoises familles
Etaient, en ce temps-là, pareils à des bastilles;
La salle s’imprégnait de leurs puissants parfums:

Et, jeune âme déjà conquise à la cuisine,
J’oubliais de presser le pied de ma cousine.
– Et je pleure, en songeant aux godiveaux défunts.

Q17 – T15 (Tlf) godiveau : Hachis composé de viande, de graisse de rognons de bœuf et d’œufs, ou de poisson, et utilisé comme farce pour des quenelles ou pour la garniture d’un pâté chaud – maniveau : Vieilli. Petit plateau d’osier sur lequel on présente certains comestibles destinés à la vente

Leurs noms, presque connus, s’homonyminisaient. — 1879 (18)

L’Hydropathe

Cabriol

Sonnet de la dernière heure

Leurs noms, presque connus, s’homonyminisaient.
C’était vers l’an mil huit cent soixante et dix-neuf
Leurs rêves de savants se volatilisaient
Dans un essor puissant vers un monde plus neuf.

Ils s’appelaient tous Cros, sur le parchemin veuf
Les tons de l’arc-en-ciel, un beau jour, s’irisaient.
L’air ouvrait ses chemins. Par leurs efforts de boeuf
Sur le verre les mots se phonographisaient

Par eux, buveurs de bière et fumeurs de cigares
Coquelin faisait rire en monologuisant
Le Coffret de Santal rayonnait, séduisant.

Le bonheur s’étendait jusques au fond des gares,
La voix des sourds-muets sortait de son linceul,
Et tous ceux-là ……. n’était qu’un seul.

Q17  T30 v.14 lacunaire

Que t’a fait le sonnet, réponds-moi, cher moqueur, — 1873 (5)

Joseph AutranSonnets capricieux

A un dédaigneux

Que t’a fait le sonnet, réponds-moi, cher moqueur,
Pour que ta plume ainsi l’agace et le lutine?
En vain je fais valoir sa forme florentine,
Je ne désarme pas pour si peu ta rigueur.

« Le sonnet ne vient pas d’une source latine,
C’est étroit pour l’esprit, c’est chétif pour le coeur.
Hugo n’en fit jamais, pas plus que Lamartine.
L’océan ne tient pas dans un verre à liqueur ».

Je l’avoue en effet, ces colosses de gloire
Vous donnent quelque fois toute la mer à boire.
La bois-tu jusqu’au fond, critique mon ami?

Je ne sais; mais pour moi, sans être trop sévère,
Quand le verre est si grand je n’y bois qu’à demi,
Et, quand il est petit, j’avale tout le verre.

Q17 – T14 – s sur s

Midi. Pas d’ombre. Un ciel d’acier, pulvérulent. — 1871 (11)

Parnasse contemporain, II

Ernest d’Hervilly

A Cayenne

Midi. Pas d’ombre. Un ciel d’acier, pulvérulent.
La terre, brique sombre, au soleil se fendille.
Par moments, une odeur lointaine de vanille
Flotte, exquise, dans l’air immobile & brûlant.

Là-bas, longeant la mer huileuse qui scintille,
S’alignent les maisons aux murs bas peints en blanc,
En rose, en lilas tendre, en vert pâle, en jonquille,
De la Ville, où chacun sommeille pantelant.

Sur la plage, qu’un fou traverse à lourds coups d’aile,
Seul, & nu comme un ver, flâne un négrillon grêle,
Au gros ventre orné d’un nombril proéminent;

Ouvrant sa lèvre rouge où la dent étincelle,
Heureux comme un poisson qui nage, il va, traînant
Un crapaud gigantesque au bout d’une ficelle.

Q17 – T7

O chair lactée, ô cheveux d’or, — 1870 (3)

Charles Legrand

VII – Pierson

O chair lactée, ô cheveux d’or,
O front d’ivoire, ô rire rose,
Glauque regard qui, frais, repose,
O sein de neige au doux essor!

C’est Vénus de la lame éclose,
C’est Eve étincelant au jour,
La fraîcheur, le parfum, la rose,
C’est le printemps et c’est l’amour.

Donc, comment voulez-vous madame,
Quand vous prenez les yeux et l’âme
Et nous perdez de désirs fous,

Qu’on puisse votre jeu décrire?
Est-ce qu’on entend? On admire.
Que ne vous enlaidissez-vous!

Q17 – T15 – octo

D’aspect simple, n’ayant rien de prime-sautier — 1867 (6)

Charles Monselet Les potages Feyeux

Semoule d’Italie

D’aspect simple, n’ayant rien de prime-sautier
La bourgeoise Semoule appelle la faience,
La soupière massive arrondissant sa panse,
Où reluit l’art naïf du Rouen ou du Moustier.

Céréale modeste, ange de bienfaisance,
Elle répand ses dons parmi le monde entier.
L’oncle qui s’en nourrit, trompant mainte espérance,
Refait son estomac et nargue l’héritier.

Robuste au grand-parent et légère à l’adulte,
Dans toutes les maisons elle est l’objet d’un culte.
En fait-on des gâteaux, il faut voir les babys

Devant ce Panthéon spongieux, ébaubis,
Battre gaiement des mains devant leur mère heureuse!
Acte de Florian! Intérieur de Greuze!

Q17 – T13