Archives de catégorie : Q52 – abba b’aab’

Silencieusement, la Nuit qui s’épanchait — 1991 (29)

–       Emmanuel Signoret in Le Saint-Graal

La pente des heures

Silencieusement, la Nuit qui s’épanchait
Etreignait d’ombre molle et croissante les choses,
La Nuit tombait des cieux telle une pluie de roses :
Comme se fane un pré, pâlissaient les objets.

Et c’étaient des soupirs sous les gazons qu’immerge
L’ombre inondante ainsi qu’un fleuve débordé –
La robe de la Nuit effleurait les archets
Qui luisent, endormis parmi les fleurs des berges !

Nos croisées s’entr’ouvraient comme des yeux, riant
Au paysage blanc couché sous nos croisées
Mais soudain tout le ciel d’étoiles palpita.

L’Aube en des lys ardents couchée à l’Orient
Tressaillit allumant sur les fleurs, les rosées –
Jeanne, qui dans ses yeux porte l’Aube, chanta !

Q52  T36

Les cheveux bruns ou blonds en boucles sur le front, — 1890 (17)

Ernest Raynaud Les cornes du faune

Pastels

VII

Les cheveux bruns ou blonds en boucles sur le front,
Et la joue en couleur un peu, d’enfant de choeur;
Près des dressoirs où rit l’arc-en-ciel des liqueurs,
C’est tout splendeur! Le joli coeur de leur plastron!

Ils jonglent avec les verres de leurs doigts souples,
Et les soucoupes qu’ils enlèvent – à leur front
Découpent , folle, une auréole et quels vols prompts
Sur le sol blond, des escarpins aux vernis souples!

D’un siège à l’autre ils vont! Et les tabliers blancs
– Leurs plats d’étain aux mains c’est si vite qu’ils passent! –
Décrivent une parabole dans l’espace,

Cependant qu’au comptoir, Irma trône, de glace!
Dans les cristaux, dans les ruolz* et dans les glaces
Etincelant du feu tremblant des globes blancs,

Q52 – T33 *(TLF) Alliage à base de cuivre, argenté ou doré par galvanoplastie, utilisé en orfèvrerie

Il est, dit-on, un puits éternellement vide, — 1883 (18)

René de Labry Premiers et derniers poèmes

Les Danaïdes

Il est, dit-on, un puits éternellement vide,
Un puits où l’on versa, sans pouvoir le combler,
Des flots qui, nuit et jour, ne cessent de couler,
Et qui, jamais rempli, sera toujours aride.

Les Anciens le plaçaient dans l’empire des morts,
Moi, j’en sais un second plus sombre et plus aride
Que celui qui verra la triste Danaïde
Jusqu’à la fin des temps se pencher sur ses bords.

Celui-là, c’est mon coeur: morne et désespérée,
La pâle passion dans le gouffre sans fond
Epanche chaque jour son flot large et profond,

Sans étancher la soif de mon âme altérée,
Et sans qu’il reste rien dans l’abîme béant,
Que l’implacable oubli, frère aîné du néant.

Q52 – T30

Brr ! qu’il fait froid ! chère frileuse, — 1879 (23)

Alfred Aubert Caprices et boutades

Sonnet d’hiver

Brr ! qu’il fait froid ! chère frileuse,
Pose tes pieds sur le chenêts,
Tes pieds mignons que je connais
Etends-toi bien sur la causeuse .

Que les coussins ploient sous ton corps
Afin que d’une main fiévreuse
Je parcoure, ô mon amoureuse
L’écrin de tes tièdes trésors.

Depuis un mois pour toi, Ninette,
Ainsi qu’un pauvre anachorète
Je tiens bon devant Brididi*.

Le cœur si vite est refroidi !
Ravivons la chaude amourette
Depuis minuit jusqu’à midi.

Q52  T10 – octo

*Danseur professionnel

Vous restez au pays de l’éternel printemps, — 1874 (19)

Dubosc de Pesquidoux in L’Artiste

Vous restez au pays de l’éternel printemps,
Et je fuis le rivage. Adieu mes belles fées !
En chantant avec vous la chanson des Orphées,
J’ai cueilli par vos mains les roses au beau temps.

Vous êtes l’idéal, et versez l’ambroisie
Avec l’urne des dieux aux âmes de vingt ans,
Vous êtes la jeunesse et ses rayons flottants :
La jeunesse ! Je pars, et ne l’ai pas saisie … )

Cependant le vaisseau m’entraîne en pleine mer,
Et comme Desgrieux, dans sa douleur sauvage,
Je dis aux matelots : Retournons au rivage.

Car j’ai mis au tombeau, sur le rivage amer,
Mon amour le plus cher, ma maîtresse adorée :
La jeunesse divine. Adieu, belle éplorée !

Q52  T30