Archives de catégorie : Q63 – abba a’b’b’a’

Pour chanter sous le ciel ce que j’ai dans le coeur, — 1845 (2)

Arsène Houssaye La poésie dans les bois

La Muse

Pour chanter sous le ciel ce que j’ai dans le coeur,
Je demandais un luth à la muse amoureuse,
Quand ma jeune beauté vint, fraîche et savoureuse,
S’asseoir sur mes genoux avec un air moqueur.

– Pour accorder ainsi la raison et la rime,
Ah que de temps perdu dans les jours précieux,
C’est chercher le soleil quans la nuit est aux cieux:
Crois-moi, ne lasse pas ton coeur à cette escrime.

Enfant, où t’en vas-tu prendre la poésie!
Ma bouche n’est donc pas la coupe d’ambroisie?
Va, surprends-en ma lèvre, enivre, enivre-toi!

La plus belle chanson ne vaut pas, mon poëte,
Un baiser éloquent sur la lèvre muette:

La lyre, c’est l’Amour, et la Muse, c’est moi.

Q63 – T15

Je compte maintenant mes jours, heure par heure, — 1833 (7)

Charles Brugnot Poésies

Sonnet

Je compte maintenant mes jours, heure par heure,
Comme un pâle blessé, sur la terre étendu,
Qui, parmi les flots noirs du sang qu’il a perdu,
Sent sa vie échapper, goutte à goutte, et la pleure ;

Ma jeunesse sans joie, avide du passé
Ne rêvant qu’avenir, que fruits d’or au rivage,
Et, le soir, abordant une grève sauvage,
Ainsi qu’un nageur nu dont le bras s’est lassé.

Rien hier, rien demain ! – Rien dans toute ma vie
Qu’un flot après un flot ; – Frêle barque suivie
D’un sillage léger, qu’une brise aplanit ;

Au moins si j’emportais aux rives éternelles,
Pauvre oiseau, regrettant mes forêts maternelles,
Une herbe, un brin de jonc pour me faire mon nid !

Q63  T15

Modèle d’amitié pour un sujet perfide, — 1828 (1)

Casimir Delavigne
La princesse Aurélie

Acte I, sc III: Alphonse, amoureux de la princesse: « J’écrivais … Malheureux! à qui pensais-je écrire?  / A ma verve amoureuse alors rien ne coûtait; / Mon inspiration jusqu’aux vers se montait: / Oui, j’ai jusqu’aux sonnets poussé la frénésie! / Quelle flamme éloquente et quelle poésie! / Allez, si du public un beau jour ils sont lus, / De Laure et de Pétrarque on ne parlera plus. /

Acte II, Scène I

Vers composés à Nola, sur le tombeau d’Auguste

Béatrix, lisant
Modèle d’amitié pour un sujet perfide,
Sans pitié pour l’amour, ton coeur, qui pardonna
Le crime avéré de Cinna,
Punit les torts secrets d’Ovide.

Aurélie Je veux voir l’écriture
(elle lit)

Amant d’une princesse, il trahit son devoir;

Une si douce erreur est-elle si coupable?
Sans y prétendre on est aimable,
Et l’on aime sans le vouloir.

Béatrix C’est bien vrai

Aurélie
Loin, bien loin du beau ciel dont l’azur nous éclaire,
Il meurt, mais il avait su plaire,
Et l’amour dut le regretter.
Sur ce froid monument, où mon exil m’enchaîne,
Je consens à subir sa peine,
Mais je voudrais la mériter.

Q63 – T15 – 2m : octo:v.3,4,7,8;10,11,13,14

Salut monarque heureux qui protegeas Molière, — 1826 (1)

L.M. Perenon Promenades poétiques

Sonnet aux manes de Louis XIV

Salut monarque heureux qui protegeas Molière,
Les Racine, Boileau, Corneille & Fénelon,
Bossuet & Fléchier, D’Aguesseau, Massillon,
Fontenelle et Rousseau, Sévigné, Deshoulière;
Descartes, Cassini, Pascal et Lafontaine;
Les Couston, les Andreau, le Poussin, & Mignard,
Richelieu, Mazarin, Jean-Bart, Vauban, Villard;
Villeroy, Cativaud, Saxe, Condé, Turenne
Mille contemporains qui tous ont mérité
Tant de bienfaits, vivront dans la postérité!

Du plus grand de nos rois, quand on revoit l’image,
Colbert parle à nos sens, revis ô Belle-Cour :
L’équestre de Louis des beaux-arts doux langage
A son aspect français, nous dicte un cri d’amour.

Q63 – T14- disp: 10+4

J’ai huit pieds, cher lecteur, et mon tout fait pour plaire —1808 (7)

P.J. Charrin Mes loisirs ou Recueil de poésies

Logogriphe A Mademoiselle *** A ***

Sur son nom

J’ai huit pieds, cher lecteur, et mon tout fait pour plaire
S’il s’offrait à tes yeux maîtriserait ton coeur.
Tu me nommes souvent pour peindre ton bonheur,
J’habite en même temps et les cieux et la terre.

Cherche, et tu trouveras, en me décomposant
D’un peuple quel qu’il soit la moins brillante classe,
Un meuble précieux, duquel on ne se passe
Sans qu’on y soit contraint par un événement.

Un arbre, un des quartiers de cette grande ville,
Une substance amère, et parfois très-utile,
Un endroit isolé, défendu par les eaux,

Le corps le plus vaillant, le plus beau d’une armée,
Enfin, un de ces jours dont l’enfance est charmée,
Et qui furent toujours consacrés au repos.

Q63 – T15

On a affaire ici à un de ces jeux de société dont le dix-huitième siècle fut friand. (Je renvoie à l’indispensable ouvrage de Claude Gagnaire ‘Pour tout l’or des mots‘, pour la définition du logogriphe).

Solution due à Alain Chevrier:

J’ai huit pieds, cher lecteur, et mon tout fait pour plaire
S’il s’offrait à tes yeux maîtriserait ton coeur.
Tu me nommes souvent pour peindre ton bonheur, = FéLICITÉ
J’habite en même temps et les cieux et la terre. = FéE (ou ELFE ?)

Cherche, et tu trouveras, en me décomposant
D’un peuple quel qu’il soit la moins brillante classe = LIE
Un meuble précieux, duquel on ne se passe
Sans qu’on y soit contraint par un événement: = LIT

Un arbre, = IF un des quartiers de cette grande ville = CITÉ,
Une substance amère = FIEL et parfois très-utile,
Un endroit isolé, défendu par les eaux, = ILE

Le corps plus vaillant, le plus beau d’une armée, = ÉLITE
Enfin, un de ces jours dont l’enfance est charmée, = FêTE
Et qui furent toujours consacrés au repos.

En résumé :
Félicité : fée (ou elfe), lie, lit, cité, fiel, île, élite, fête.

Froid Désappointement! pâle auteur de mes peines, — 1808 (1)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Les poèmes du marquis de Boufflers sont des adaptations de sonnets de la poète anglaise Hélène-Maria Williams. J’en ai retenu plusieurs, qui offrent diverses caractéristiques formelles

Le Désappointement *

Froid Désappointement! pâle auteur de mes peines,
J’éprouve, à ton seul nom, le frisson de la peur;
La vie en moi s’arrête; et mes traits sans couleur
Attendent que mon sang dégèle dans mes veines.

Je t’accuse pourtant bien moins que mes erreurs;
L’amour & l’amitié, dans mon âme insensée,
Se montraient tout brillans du feu de ma pensée;
Je leur prêtais la foi qui n’est pas dans les coeurs.

Mais dans les champs des airs si quelque beau nuage
Offre un brillant palais à mon oeil enchanté,
Puis-je exiger des vents de n’y point faire outrage?

Puis-je attendre de lui quelque solidité?
Non, je sens que c’est moi qui suis mon ennemie
Mais je sens trop, aussi combien j’en suis punie.

*  » Ce terme est nouvellement emprunté de l’anglais, et absolument étranger à notre poésie; mais on doit le pardonner dans la traduction d’une pièce où il est personnifié, parce qu’il fallait le nommer par son nom, et que ce mot n’a pas de correspondant connu dans notre langue.  »

Q63 -T23

Après un quatrain abba, le deuxième quatrain renouvelle entièrement les rimes (en effet, dans la prosodie classique, le singulier ne rime pas avec le pluriel; donc ‘peur’ ne rime pas avec erreurs’); je le note a’b’b’a’. La disposition des tercets est cdc dee. Le sonnet s’achève donc par un distique plat, choix très ‘anglais’ (c’est le cas des sonnets de Shakespeare).