Archives de catégorie : Q63 – abba a’b’b’a’

Sur un monceau fuyant s’exerce ma chimère. — 1969 (7)

Joseph Djirian Kaléidoscope

L’écume

Sur un monceau fuyant s’exerce ma chimère.
Calme, calme la mer d’un bleu étourdissant,
Teinté par le soleil ; elle brasse le sang ;
Et mon âme s’émeut d’un parfum d’éphémère.

L’instant ce n’est qu’écume éjectée en dentelles
Qui se répand comme l’heur entravé. L’ardeur
De s’exalter ainsi que ces flots en fureur
Se pourchassant, hélas !, mais sans croiser leur zèle.

Tout bouillonne à souhait dans ce chaos sans bornes.
Ses crêtes se touchant, la frange qui les borne
Tisse le pavillon d’un royaume inconnu

Disputé par les flots. Illusion solitaire
Où baigne ma vigueur, qui teinte à son insu
L’élan fallacieux que la vie exaspère.

Une trouée en l’eau, la colombe s’immole
Quand d’ériger dessus, mon âme se console.

Q63  T14  -ff    16v

A noir (un blanc), I roux, U safran, O azur : — 1969 (3)

Georges PerecLa disparition

Trois sonnets lipogrammatiques en ‘e’; les deux premiers des traductions en ‘français sans ‘e’.


Vocalisations

A noir (un blanc), I roux, U safran, O azur :
Nous saurons un jour dit ta vocalisation:
A, noir carcan poilu d’un scintillant morpion
Qui bombinait autour d’un nidoral impur,

Caps obscurs; qui cristal du brouillard ou du taud,
Harpons du fjord hautain, rois blancs, frissons d’anis?
I, carmins, sang vomi, riant ainsi qu’un lis
Dans la punition d’un courroux, d’un sanglot;

U, vibrations, ronds divins du flot marin,
Paix du pâtis tissu d’animaux, paix du fin
Sillon qu’un fol savoir aux grands fronts imprima;

O, finitif Clairon aux accords d’aiguisoir,
Soupirs ahurissant Nadir ou Nirvana;
– O l’omicron, rayon violin de son Voir

Arthur Rimbaud.

Q63 – T14 lipogramme en ‘e’

A chacune âme éprise et gentil cœur — 1962 (3)

Pierre-Jean JouveGénie

(Rêve de la Vita nova)

A chacune âme éprise et gentil cœur
En qui viendra la parole présente
Pour que me renvoie la sienne pensante
Salut en son seigneur qui est Amour

Déjà c’était presque la troisième heure
Du temps qui fait tous les astres brillants
Quand m’apparut Amour subitement
Essence qui fait peur à la mémoire

Joyeux me semblait l’Amour il tenait
Mon cœur en main, et dans ses bras avait
Ma dame en un drap voilée endormie

Puis il la réveillait, et de ce cœur brûlant
Il la paissait humblement attendrie:
Mais à la fin je le voyais partir pleurant

Q63 – T14 – 10s – tr

Vos froideurs froissées, héritière — 1959 (1)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

Rose & mon droit

Vos froideurs froissées, héritière
Des rosées, volent une et une.
Aussi le nid du noir sans lune:
Mes toutes puissantes paupières.

Horizon libéral assiège
Moi: ce trou noir debout, colonne
Où l’ombre pensive empoisonne
Un cœur sans mains, sans bras d’acier.

Archet-né sonnons plein silence!
Je crache au baiser d’air du temps
Il bruit – flèche-moi – sans parler.

Fais le jeu d’un biceps géant
Ma droiture! Pour Qui te lance
Sans yeux dehors Ni au dedans.

Q63 –cdx cdc – octo

Arrête-toi! Je suis ici, mais tant de nuit — 1943 (6)

Robert DesnosEtat de veille

Fantôme

Arrête-toi! Je suis ici, mais tant de nuit
Nous sépare qu’en vain tu fatigues ta vue:
Tu te tais, car l’espace, où se dissout la rue,
Nous-même nous dissout et nous saoule de bruit.

C’est l’heure où panaché de fumée et de suie,
Le toit comme une plage offre au fantôme nu
Son ardoise où mirer le visage inconnu
De son double vivant dans un miroir de pluie.

Fantôme, laisse-nous rire de ta sottise,
Tu habites les bois, les châteaux, les églises
Mais tu es le valet de tout homme vivant.

Aussi n’as-tu jamais fait de mal à ces êtres,
Tant, s’ils ouvraient un soir la porte et les fenêtres,
Tu dissoudrais la nuit dans le bruit et le vent.

Q63 (a’=a*; b’=*) – T15   Les rimes du premier quatrain sont masculines; féminines celles du second.

Je goûte, à ton fil de lait, — 1943 (1)

Audiberti Toujours

Ruth

Je goûte, à ton fil de lait,
tes creuses raisons, drôlesse
Laissant ce qui ne me laisse,
Je te choisis. Le fallait.

Mon soleil vit sous les feuilles
Des penseurs que je perdis.
Va-t-il se dissoudre, dis,
dans le golfe où tu m’accueilles?

Si c’est toi, beauté, ce soir
la porte du péché noir
qu’elle s’ouvre, et que je passe …

-Non! non! je ne veux, je ne
veux pas maintenant, limace!
toucher la face de Dieu.

Q63 – T14 – 7s

Ici que, déroulant une éternelle chaîne, — 1934 (4)

Vincent Muselli Sonnets moraux

Naissance

Ici que, déroulant une éternelle chaîne,
L’Univers, aujourd’hui, se retrouve enfanté,
Qui d’imiter leur œuvre eut la témérité,
Suscite des grands dieux le secours et la haine.

Aussi bien, ce n’est point, sous leur œil vigilant,
La sainte angoisse ou l’angélique maladie,
Ce n’est point seulement une branche alourdie,
Ni d’un lait généreux un beau sein se gonflant!

C’est de sang et de nuit la mixture créée,
C’est la torture ouvrant une cruelle entrée
Sur ce vivre qui n’est qu’un incessant finir.

Seule, à ce long chevet, l’espérance infirmière
Berce un ventre rempli d’orage et d’avenir,
Mais, du cloaque enfin dégainée, ô lumière!

Q63 – T14

‘Au Robert Guy l’an neuf’, hurlait, blême et sauvage, — 1934 (3)

Georges Fourest in Robert Guy d’Helle Poèmes actinimorphes

Pseudosonnet truculent et liminaire

‘Au Robert Guy l’an neuf’, hurlait, blême et sauvage,
l’aubage sourd-muet, debout sur le menhir
et, parmi la rafale, on entendait hennir
l’adultère homard tout nu sur le rivage.

Robert Guy, Robert Guy, sur le Gaurisankar,
tes chants feront saigner le quartz et le basalte
et ton verbe, déjà, que le sinople exalte,
bleuit les dahlias d’Arckangel à Dakar!

En vain, le corbillard, traîné par vingt licornes,
trucidant l’étendue infinie et sans bornes,
écrase les têtards pêle-mêle et sans choix,

car, bravant le klaxon de nos automobiles,
dans le golfe d’Oman des éponges nubiles,
au rythme de tes vers, berceront les anchois.

Q63 – T15

Jeune apprenti, parfois d’un geste négligent, — 1927 (2)

Roger Vitrac Cruautés de la nuit

Jeune apprenti ….
A Henri de Régnier

Jeune apprenti, parfois d’un geste négligent,
Je délaisse l’argile et le tour, et je rêve
De ciseler dans l’or un Bacchus qui soulève
Sur ses bras incurvés une coupe d’argent.

Mon vieux maître qui sait fuseler une amphore
Et sur la glaise rouge animer les dieux noirs
Devine et, souriant à mes faibles espoirs,
Caresse de la main le vase qu’il décore.

Il sait que je m’adosse aux arbres du hallier
Et que ma flûte est douce aux faunes de Sicile.
Aussi m’a-t-il promis son rustique atelier.

… Et je n’assouplirai sous mon doigt malhabile
Lorsque la terre fine aura détruit ses os
Qu’un frêle vase orné d’acanthes et d’oiseaux.

Q63 – T23

Sous quelle lampe penchée — 1925 (4)

Pierre Camo Cadences

Psyché

Sous quelle lampe penchée
Penses-tu, vaine Psyché,
Reveiller l’amour caché
Dont mon âme est détachée ?

Si le beau charme épuisé
Parfume encor ma pensée,
C’est comme la fleur blessée
D’un printemps désabusé !

Cette chère inquiétude
Qui fait ta sollicitude
Ne te découvrira rien

D’une secrète blessure
Où ta flamme ne peut bien
Raviver que ta brûlure !

Q63  T14  7syll  on remarque, dans les quatrains, que b est la ‘rime hétérosexuelle’ de a, et b’ de a’.