Archives de catégorie : Tercets excentriques

Nous somme arrivés sur le treizième parallèle. — 1983 (1)

William Cliff America


Talavera. 7.

Nous somme arrivés sur le treizième parallèle.
J’ai déja vu sur l’eau deux ou trois poissons volants
L’Anglais chargé des chambres froides est venu tout courant
Dans le château pour qu’on lui prête un moment les jumelles

Il prétend avoir vu bouger au loin une baleine
On se met à scruter tous les cantons de l’océan
Mais on ne voit bouger au loin que des clapotements
Le cétacé n’a visité l’Anglais que dans son rêve

Ainsi à force de ne voir à longueur de semaines
Que rien et toujours rien faire le vide autour de nous
On se met à jeter sur le désert des rêves fous

Pour tenter d’alléger le poids de n’être que notre être
L’Anglais est retourné s’occuper de ses chambre froides
Et l’officier a recouché la tête sur ses cartes

Q15 – T exc – 14s  Les rimes sont très lâches

Les mots nouveaux me donnent de la tablature, — 1973 (11)

OulipoLa Littérature potentielle

Francois le Lionnais

L’unique sonnet de treize vers et pourquoi*

Les mots nouveaux me donnent de la tablature,
Ils ne figurent pas au Larousse illustré
Et bien souvent je suis quelque peu étonné
Par ceux-ci, dont l’aspect semble contre nature:

Arnalducien, bensilloscope, bergissime,
Blavièrement, braffortomane, duchater,
Lattisssoir, lescurophage, queneautiser,
Quevaloïde, schmidtineux, à quoi ça rime?

Mais il est parmi tous un mot imprononçable,
Sous un parler rugueux son sens est délectable,
C’est le mot: oulichblkrtssfrllnns.

J’eus tort de faire appel à lui pour un sonnet
Car je ne trouve pas de rime à frllnns.

* Après adoption d’un quatorzième vers, le titre deviendra:
Sonnet de quatorze vers.

Q63 – ccd xd – 13v

Souvent me suis, comme un con, pris — 1965 (7)

Olivier Larronde L’ivraie en ordre (ed. 2002)

A sa queue

Souvent me suis, comme un con, pris
A rêver, un doigt sur ta nuque
De trancher le sphinx incompris
Qui, bien membré, me laisse eunuque.

Puisque tu n’appartiens qu’à toi.
Si je t’osais tailler en pipe
Gicler au visage des rois
Plutôt que visiter la tripe.

Exaspérant bête. Joie
Lors, à mâchonner impuissant
Ton pétale, qui le rougeoie.

Son menstruel frère de sang!
Va, d’autre tunique – mon chat, loir
Sans griffe et d’épine que toi -,
Cauchemarde le nonchaloir.

Q59 – cdc dec e – octo – 15v

L’arbre sentait le vent qui naissait dans ses branches — 1962 (5)

Georges Perros Poèmes bleus

Absurdité

L’arbre sentait le vent qui naissait dans ses branches
Et le vent donnait âme aux bourgeons du printemps
L’oiseau se demandait si c’était le dimanche
Ou un huitième jour pour les adolescents.

Le ciel ne respirait plus que par habitude
Sa chemise lavée au grand air du levant
Le bûcheron trouvait que la vie était rude
Mais l’arbre tenait bon, en tremblant doucement.

La vache dans le pré regardait l’oeil humide
Le dernier train du soir sans aucun voyageur
Le passage à niveau conjura le malheur

Restant obstinément horizontal. C’est là
Qu’un homme et qu’une femme aimèrent pour la vie
L’arbre, le vent l’oiseau la vache sans envie.

Q59 – xdd yee

Le jour fourmille introuvable; —1959 (3)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

Arqué

Le jour fourmille introuvable;
L’écraser trace un chemin!
Son lever strident sème
un Désarroi. Ce jour lavable

Au passé fils de tes mains
Qu’en est-il? Jour repassable
Entre deux, ses lendemains.
Et tant repris que ma fable.

S’improvisa sur du sale
Tout départ pris sans la fin
Quand l’un l’autre se croisant

Nous font ce beau présent dont
L’abîme se retourne en
Athlète, et croissant: le PONT.

Q16 – abc dcd – 7s

L’amoureuse immuable au fétiche de bête — 1957 (2)

Pierre-Jean JouveLA VIERGE DE PARIS

L’homme fatal

L’amoureuse immuable au fétiche de bête
N’avait pas négligé son soulier de satin
Remuements de peau neuve et toisons cris de têtes
Assouvissement vaste! Et des années plus loin

Il recherchait partout une sombre catin
Voisine: aux armes de Ses poids et de Ses bêtes
Sans jamais revenir à Son cœur clandestin
Sans être désembrassé de Ses bras funestes.

Cependant d’autres femmes nues et élancées
Dont les mains rappelaient le pouvoir de la mer
Dans les villes passant lui faisaient souvenir

Par son étrange ride et forte dignité
De la Nudité rousse au sein décapité
Qui plus ancienne encor que l’amoureuse amère
De son enfance avait plongé jusqu’à la mort.

Q8 – ccx ddx y – 15v

Sur l’éparse viande des morts — 1947 (7)

Roger Gilbert-Lecomte in Jean Paulhan, Dominique Aury – Poètes d’aujourd’hui

Formule palingénésique

Sur l’éparse viande des morts
Jetez la poudre des griffons
Pour que d’un cadavre en haillons
Naisse un fantôme dont le corps

Veuf de sang orphelin d’eau-mère
Se sculpte au sel marin des pleurs
Dont le cristal d’essence amère
Mime le nombre de la fleur

De la fleur-serpent de l’abîme
Fleur du soleil noir qui fascine
Fleur-vertige des mondes creux

Cette fleur par son cœur de perle
Etant la fleur de ce nouvel
Intersigne et spectre-de-sel.

Q62 – ccx yee – octo

J’ai fini de trébucher: adieu les essais — 1947 (5)

Henri ThomasLe monde absent

Homo faber

J’ai fini de trébucher: adieu les essais
De l’âge ingrat, je foule allègrement la terre,
Je vais, robot sacré, dans ma propre lumière,
Ecoutant bourdonner mes rouages secrets.

Mon cœur a son déclic, mon sexe est une roue,
comme l’eau d’un moulin le sang la fait tourner,
éveil, et l’engrenage interminable joue,
le poème est parfois un graphique léger.

Oscillant dans le vent d’automne je m’avance,
par trois ou quatre feuilles mortes poursuivi,
le moteur est bercé par sa propre cadence.

Les tôles du fossé, lamentables débris
ont beau parler du grand déglingage final,
tranquille et composant chaque pas, je souris,

étant certain qu’un jour une flamme magique
ou logique consumera la mécanique

Q15 – cdc dxd + ee – 16v

Des croix basques décoraient la maison — 1946 (6)

Armen Lubin Le passager clandestin

Sanatorium dans les Hautes -Pyrénées

Des croix basques décoraient la maison
Où des choses élevées étaient en danger de chute.
Les poitrinaires ne pensaient qu’à leurs minces cloisons
Des leurs membres étendus amortissant les disputes.

Au milieu d’une jeunesse restée à l’état larvaire
Les outils nobles avaient été posés de travers
Et tout se refusait. Absence complète
Dans le sentier réservé au passage du prophète.

Mais le pays d’automne bruissait le soir
Lorsqu’une mésange sur une poitrine en dentelle
Se posait avec sa confiance intacte.

Délicates ondes et bondissantes goutelettes
Nous rassuraient sur les intentions réelles des Pyrénées
Déjà presque seraines par endroit,
La boite à outils devenait visible au sommet de l’Ararat.

Q58 – T exc – m.irr – 15v

Combien de temps ô mère du Seigneur avant — 1944 (9)

Pierre-Jean JouveLa Vierge de Paris

Combien de temps ô mère du Seigneur avant
Que ne revive à ce vieux sol le fils en gloire
Que de travaux de pleurs combien de battements
Pour que le rayon doux revienne à notre histoire

Pour que nous retrouvions le bois sacré des ans
Et le soleil du jour patient labyrinthe
D’amour et de folie avec art caressant
Ta robe de grandeur et ton regard sans plainte

O vierge de Paris c’est à présent que l’art
Obscur emplit l’abîme alors que dans tes plis
Disparaissant, que tu n’es plus la vierge mère,

C’est à présent que nous voyons le vent du temps
Mêlant nos murs cassés à nos tristes parvis
Demander durement si nous sommes Lazare.

Q32 – cdx ydc