Archives de catégorie : Tercets excentriques

Ah! vraiment c’est triste, ah! vraiment ça finit trop mal. — 1884 (10)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Sonnet boiteux
A Ernest Delahaye

Ah! vraiment c’est triste, ah! vraiment ça finit trop mal.
Il n’est pas permis d’être à ce point infortuné.
Ah! vraiment c’est trop la mort du naïf animal
Qui voit tout son sang couler sous son regard fané.

Londres fume et crie. O quelle ville de la Bible!
Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles.
Et les maisons dans leur ratatinement terrible
Epouvantent comme un sénat de petites vieilles.

Tout l’affreux passé saute, piaule, miaule et glapit
Dans le brouillard rose et jaune et sale des sohos
Avec des indeeds et des all rights et des haôs.

Non vraiment c’est trop un martyre sans espérance,
Non vraiment cela finit trop mal, vraiment c’est triste:
O le feu du ciel sur cette ville de la Bible!

Q59 – cdd efa’– 13s – Ça boite sévérement en effet. Mais quel talent ! Le mot-rime du vers 14 est le même que celui du vers 5. Les tercets ne sont que partiellement rimés. Le premier quatrain est à rimes masculines, le second à rimes féminines. Sans oublier le mètre ‘boiteux’: 13 syllabes.

Sur la grande galère à quatre rangs de rames, — 1876 (2)

Catulle Mendès Les Poésies

Calonice

Sur la grande galère à quatre rangs de rames,
Calonice ramène une fille d’Asie
Qui, nue et frissonnante et belle s’extasie
De fouler des tapis de pourpre aux rouges trames!

« O vierge, dit la grecque, entre toutes choisie
Pour apaiser mon coeur percé de mille lames,
Tu connaîtras le sens des longs épithalames,
Et de mon amitié la chaste hypocrisie! »

Dans l’air, à ce moment, on vit deux hirondelles
Caresser les cheveux épars des fiancées
Et la brise chantait: Hyménée! autour d’elles.

Mais la lune baisa les vagues balancées,
Et tu parus, le front couronné d’asphodèles,
Ô nuit, ô blanche nuit, ô nuit mystérieuse ….

Q16 – cdc dcx – Deux particularités: – le sonnet est entièrement en rimes féminines – Le mot-rime du dernier vers n’a pas d’écho.

Dans un lilas en fleurs, au pied de ma maison — 1869 (2)

– Theodoric Geslain (ed.) – Sonnets provinciaux

2-4 Une anthologie de lutte des sonnettistes anti-parisiens – Le compilateur se présente comme « Membre de la Société des travaux littéraires de Paris. De la Société académique de St Quentin, de la Société d’agriculture, sciences et arts de Poligny; de la Société littéraire d’Apt; membre fondateur du Journal Littéraire: Le Concours des Muses  »

Son but? : La majeure partie des volumes collectifs sont publiés en vue de la décentralisation; mais la décentralisation littéraire, telle que la comprend la province, est-elle possible? C’est là la grande question.


Le nid de chardonneret

Dans un lilas en fleurs, au pied de ma maison,
Il venait de bâtir sa couche circulaire;
Comme des doux oiseaux renaissait la saison,
Il avait accueilli l’amour, – il savait plaire.

Ses oeufs sentaient déjà sa chaleur tutélaire;
L’espoir d’une famille égayait sa prison,
Et, sans peur d’éveiller aucune trahison,
Il donnait au poète un chant gai pour salaire.

Mais du logis de l’homme on réparait le toit! …
Une tuile, au hasard, – lourd débris séculaire, –
S’échappe, roule, tombe au bord du nid étroit ….

Et, ce soir, il est vide, ouvert par la secousse,
Laissant pendre le brin, le duvet et la mousse,
Montrant ses oeufs brisés au sol qui les reçoit.

Louis Goujon

Q10 – cbc ddc

On se sent malheureux: on va chercher bien loin — 1855 (5)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Le vrai bien
« Aimer c’est la moitié de croire » Victor Hugo

On se sent malheureux: on va chercher bien loin
L’égoïste travail, l’orgueil vain, l’or avare,
Et comme on oublîrait son bâton dans un coin,
On laisse à la maison le bonheur, cher cousin.

Pourtant c’est ici-bas le trésor le plus rare.
Nos pères nous traçaient un paisible destin,
Mais par d’autres sentiers le hasard nous égare,
Et nous voudrons, trop tard, suivre le bon chemin.

Quand je vois l’humble tour du tranquille domaine
Où doucement coulaient les jours de nos aïeux,
Limpides comme l’eau que verse ta fontaine,

Je sens que pour l’enfant le seul vrai bien, le seul!
Habite sous le toit où mourut le vieux père,
Où vous aimaient vos soeurs, où priait votre mère.

abaa babacxc ydd Remarquons que si ‘seul’ ne rime pas avec ‘aïeux’, il rimerait avec le singulier ‘aïeul’. J’ai accueilli 7 sonnets de ce poète dans mon choix, ce qui est beaucoup. Ils présentent chacun quelque particularité assez rare. Comme ils sont, poétiquement, plutôt médiocres, comme Auguste Blanchot (c’est son vrai nom) était un provincial dont l’œuvre est resté quasi inconnue, on pourrait croire que la présence de deux vers ne rimant pas dans ce sonnet est due à l’ignorance. Or, l’auteur montre dans son livre qu’il connaît bien la versification. Il sait ce qu’est un alexandrin et respecte les règles de la rime admises à son époque. Je pense qu’il aurait très bien pu écrire ‘les jours de mon aïeul » et que le pluriel, intentionnel, fait partie de son traitement expérimental de la forme-sonnet. L’inventivité formelle n’est pas une garantie de la valeur poétique du résultat.

O mon fils! Ne sois plus triste. Dis-moi, qu’importe — 1855 (4)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Consolation

O mon fils! Ne sois plus triste. Dis-moi, qu’importe
Ces luths toujours muets à tes murs suspendus;
Les pierres des méchants pleuvant contre ta porte,
Et tes meilleurs amis au tombeau descendus?

Coursier sans frein, le temps, dans sa fuite t’emporte,
Il franchit au galop un pays dévasté:
N’arrête pas tes yeux sur cette terre morte,
Regarde seulement le but: l’éternité!

Fortune, gloire, amour: vanité, vanité.
Tout plaisir, tout savoir, toute douleur est vaine:
Seul, je suis le vrai bien et ta route est certaine.

– Père, sous votre joug nous plions à genoux;
Ecrasez le néant de la raison humaine:
Seigneur, Seigneur, Dieu bon, ayez pitié de nous.

Q32 – b’cc dcd rare exemple de rime ‘orpheline dans les tercets’

Mais sur le rocher énorme — 1835 (2)

Julien TraversSonnets sur le Mont st Michel in Mémoires de la Société Royale Académique de Cherbourg

X

Mais sur le rocher énorme
Se dresse un second rocher!
Du sommet qu’il rend difforme
Hâtons-nous de l’arracher.

Pour unir la plate-forme
Qu’embellira mon clocher,
Un pied sur la masse informe
Suffit pour le détacher;

Non le sentier des chansons,
Non la sandale des mères,
Non l’éperon triomphant,

Ni la soque de l’Ibère,
Ni la mule du Saint Père;
Mais le pied nu d’un enfant.

Q8 – xcd ccd – 7s