Archives de catégorie : T23 – cdc dee

Que d’élégantes chairs habillent ton squelette! — 1959 (6)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

L’astronome du navire ‘Sylvaine’

Que d’élégantes chairs habillent ton squelette!
O dentelle absolue, toute solidité;
L’Armature – et ton sein se gonfle de beauté
Navire d’existence à l’utile toilette.

Heureux qui dans tes bras suit voiles et voilettes
Qu’il brise enfin la coupe au vin d’anxiété
A dénouer ton corps de l’ivoire habité
Tes courbes et son bras que marie la tempête.

Plus heureux l’astronome accepté par tes yeux
Les souffles de choisir pour ta poitrine avide
Et converser avec tes yeux silencieux,

Changeants, folle toilette au plus humain des vides.
Elu, pour choisir vents et courants, sans mentir
J’irais droit à l’apothéose où t’engloutir.

Q15 – T23

Au sein du sang quel déchiré drapeau — 1959 (2)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

A ma bête noire
(tracé au fouet)

Au sein du sang quel déchiré drapeau
Intérieur (comme un poison dans l’air)
Se mord la queue si je claque ta peau
Comme un sourd de soif – Moïse ô désert.

Les purs profils dont les cuirs m’auréolent
Maîtrisent seuls – oui  c’est ta proie que moi;
Eux forcent moins, en musicaux émois,
Ton noir que l’air, timidement créole.

De destinée l’innocent contrepoint
Se zébra-t-il d’humaines discordances
Gestes, gifles dédoublées aux doigts joints

Ma solitude inséparable danse
Dompté défroissons dompteur ce grimoire Cinglé:
la dentelle étreint ses loups noirs.

Q60 – T23 – 10s – disp: 4+4+4+2

Tout ce que je demande c’est de mettre un peu de terre dans le creux de la main — 1958 (10)

Raymond Queneau Sonnets

Terre meuble

Tout ce que je demande c’est de mettre un peu de terre dans le creux de la main
Juste un peu de terre dans laquelle je pourrais m’enfouir et disparaître
Regardez comme je l’étale grande cette paume on croirait qu’à tous je veux serrer la main
Et pourtant mon seul désir mon unique but et mon vœu le plus cher c’est de disparaître

J’écrivais dans de petits carnets des tas de choses au crayon qui étaient destinées à disparaître
Comme allaient s’évanouir aussi la verdure des graminées et la poussière des chemins – oui tout ça s’évanouirait demain
Je suivais la même courbe que les rails du tramouai qui déjà semblaient prêts à disparaître
Et je savais déjà oui déjà que je ne penserais qu’à une seule chose à tout finir, à finir tout ça – demain

Peintres échafaudés le long des murs de la chapelle Sixtine!
Sculpteurs agrippés le long des monts marmoréens!
Sachez sachez bien que je ne confonds pas ah mais non votre art avec de la bibine

Poètes qui sondez les mystères héraclitéens!
Prosateurs! Dramaturges! Essayistes! N’éprouvez aucun remords!
De mes amis je n’attends qu’un peu de terre dans la main – et des autres la mort

Q11 – T23 – m.irr  – quatrains sur deux mots-rimes – vers longs

Oh tu pleures, Silence obscur larme perdue — 1957 (1)

Pierre-Jean JouveLA VIERGE DE PARIS

Oh tu pleures, Silence obscur larme perdue
Et fleur de la maison sous le nuage noir
Et la menace de la mort d’antique nue
Le drapeau de la honte avec le ciel du soir,

Tu pleures. Des brillants descendent sur ta pierre
Et touchent à ton sein. Les miracles lointains
Sont errants et l’amour voit périr ta paupière
O toi qui inspirais le poète prochain

Dans une odeur de bois augustes et de livres
Regardant des trésors par d’anciens carreaux
Mère de notre amour et Vierge qui ne livres

Pas le secret de liberté mystique et beau
Mais conserve l’hymen sous la robe de pierre
Et rêves l’éternel pardon comme du lierre.

Q59 – T23

Notre chemin passe par les traverses — 1954 (8)

Jean Sénac Les leçons d’Edgard in Oeuvres poétiques (1999)

1

Notre chemin passe par les traverses
Il est large et précis comme un cou de taureau,
Il craint le cœur dans les heures adverses
Dans le plaisir il craint les mots.

Notre chemin quand tombent les averses
Sent la luzerne et l’églantine à crocs,
Et si l’ornière au feu central nous verse,
Notre pied garde assez de flot.

Notre chemin procède par énigmes,
Quoique très clair ton sourire conduit,
Ton corps charrie les pigments et les rythmes.

Ta voix consent aux laves de la nuit.
Mais l’or au front, il trace, solitaire,
Notre chemin de paix dans les plis de la terre.

Q8 – T23 – 2m : déca;  octo: v.4, v.8; alexandrin: v.14

Dans une contrée étrangère — 1947 (7)

Pierre-Jean JouveDiadème


Mandala

Dans une contrée étrangère
Entretien sur ce qui n’est pas:
Recherche du Nom sans personne
Et de la personne sans nom

Recherche des routes sans pont
Et de lacs où nulle eau ne sonne
Des temples bâtis sans lumière
Nuit où le soleil ruissela

Désir du membre sans moteur
De l’action sans corps de bête
De l’éternité sans pâleur

Et par le silence des fêtes
Faim du Souverain qui là-bas
Se dérobe dedans l’état.

abcc bcab – T23 – octo

Folle douce, dans ses augures — 1949 (3)

Pierre-Jean JouveDiadème

Ophélie

Folle douce, dans ses augures
Celui qui t’adore n’a pas
Tant de mémoriales figures
Qu’il puisse pêcher vers le bas

Ta figure au fil des roseaux
Enfoncée dans le verdi charme
Des choses qui brouillent les eaux
Ont fait ta chute sans alarme;

Mais il gémit de ta nature
Sous les grands arbres du départ
Les vaches du palais où dure

La terreur profonde du dard
Amoureux, les remous d’oiseaux,
Et les bouches jusqu’aux tombeaux.

Q59 – T23 – octo

Je ne veux pas que tu sois triste — 1945 (6)

Paul Valéry Corona & Coronilla (Ed. De Fallois, 2008)
Sonnets à Jean Voilier

Romance

Je ne veux pas que tu sois triste
Puisque tu sais que je le suis,
Ma lointaine, moi qui ne puis
Ignorer que l’amour existe

Depuis que mes jours et mes nuits
De tes yeux mirent l’améthyste
Et m’agitent cette batiste
Qui voilait ce que je poursuis …

Amèrement ma bouche avide
Baise une place que je vois :
Mes mains se perdent dans le vide

Où se perd l’ombre de ma voix …
Ö fantôme du château mien,
Ne sois pas triste : c’est mon bien.

T16  Q23 – octo

A quoi, mon cher amour, servirait l’exercice, — 1944 (10)

Robert Mélot du Dy Rimes des rhétoriqueurs

Chaîne d’amour

A quoi, mon cher amour, servirait l’exercice,
Si ce n’est à former de beaux corps amoureux?
Regarde ces danseurs, ivres de leurs délices:
Lis ce sonnet dansant que j’invente pour eux.

Heureux, l’amant bien fait, qu’en secret il jouisse
Ou hisse l’étendard de son cœur valeureux;
Heureux que la beauté deux fois les éblouisse,
Oui! ces corps deux fois beaux sont doublement heureux.

Regarde encor: voici qu’on accouple avec rimes,
Crimes délicieux du langage, les mots,
Modulant la musique amoureuse des mimes:

Imminent, le baiser sur les lèvres éclos
(L’eau m’en vient à la bouche) unira leurs tendresses …
Dresse-toi, mon sonnet, libre de maladresses!

Q8 – T23   s sur s

Exercice de ‘rime annexée’ (ACh): la fin de vers est reprise au début du vers suivant: exercice / Si cepour eux / heureux

Le chat lutte avec une abeille — 1944 (7)

Henri Thomas Signe de vie

Sonnet du chat

Le chat lutte avec une abeille
autour de sa fourrure,
je vois l’azur et ses merveilles,
un arbre, une mâture,

la mer apporte à mon oreille
le bruit des aventures
que nous vivrons si tu t’éveilles,
témérité future.

Je me consacre aux vertes îles,
favorables au sage
qui sait trouver un dieu tranquille

entre palme et rivage.
Le chat s’en va, brillant et beau,
pour guetter les oiseaux.

Q8 – T23 -2m : octo; 6s: v.2, v.4, v.6, v.8, v10, v.12, v.14