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je me souviens de la Libération — 1993 (5)

William CliffAutobiographie

8

je me souviens de la Libération
nous fûmes déguisés ma soeur et moi
en petits pages tenant les cordons
d’un écusson et le cortège alla

à travers les rues au milieu des sons
de fanfare et ne comprenant rien à
cette fiesta que les gens faisaient là
j’ouvrais mes grands yeux de petit garçon

sans savoir où nous conduisait tout ça
ce jour-là ce fut sur une étendue
où toute la cité s’était rendue

plus jamais je n’ai vu un tel fatras
de gens massés errant sans autre vue
que celle de se voir et d’être vus

Q9 – T29 – déca

Le semeur qui semait se trouve pris d’angoisse — 1968 (1)

Raymond QueneauBattre la campagne


L’instruction laïque et obligatoire

Le semeur qui semait se trouve pris d’angoisse
car le soleil se tient bien haut sur l’horizon
de longues heures à sillonner les sillons
avant que cette étoile à l’ouest ne disparaisse

le semeur qui semait se trouve pris d’angoisse
il s’arrête et se dit à quoi bon à quoi bon
j’aurais bien mieux fait de me casser le citron
pourquoi donc fallut-il que point ne m’instruisisse

le semeur qui se meurt se trouve pris d’angoisse
il n’a plus de temps pour avoir de l’instruction
et savoir s’il eut raison de dire à quoi bon

le semeur qui se meurt redevient philosophe
il reprend son chemin à travers les sillons
en distribuant son grain pour une autre moisson

Q15 – T29 –  y=x : c=a , d=b

Merci pour la Vérole et gardez le Pourboire. — 1966 (8)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé


Sonnet attribué

Merci pour la Vérole et gardez le Pourboire.
Je m’en vais vers là où on va.
J’ai des soucis, comme la Loire,
J’ai des sourcils froncés très bas.

Je vais, triste et certain des fruits de ma Victoire.
Je suis Vainqueur. Je ne sais pas de Quoi.
Vous êtes de passage au plafond de ma Gloire.
Les Manèges de la Graisse ont fait de nous Trois.

Trois par un puis par quatre et l’air
Pousse dans son trombone une expression divine.
Ce qui est noir ici par là-bas d’illumine.

On dirait la clarté; on dirait cet œil clair,
Et ce Spectacle aussi que mon regard termine:
L’Ovale Vérolé du Visage d’Hermine.

Q32 – T29 – 2m : octo: v.2, v.3, v.4, v.9 ; déca:v.6

Je me suis installé entre deux cimetières — 1956 (2)

Jacques BaronL’imitation sentimentale

Premier et dernier poème de Montmartre

Je me suis installé entre deux cimetières
A l’âge où les amours ne font plus de mystères
Et d’un pas de silence j’entre dans la maison
Nouvelle au beau moment de la juste raison

Je me suis installé dans la vie coutumière
Avec mes amours et premières et dernières
A Montmartre un beau soir de la jolie saison
Laissant quelques remords sans consolation

Oubliant aussi bien de pauvres rendez-vous
Négligeant aisément de futiles promesses
Mesurant largement mes superbes faiblesses

Et faisant peu de cas de mon histoire de fou
Et faisant peu de cas de toutes les richesses
Je me demande un peu ce qu’on nomme sagesse

Q1 – T29 alexandrins parfois approximatifs

Mon premier, pavé d’or des palais merveilleux — 1890 (25)

Paul Bourget in L’Aurore

Sonnet-charade

Mon premier, pavé d’or des palais merveilleux
Que baigne une lumière éblouissante et pâle
Dans le scintillement magique de l’opale,
Résonne sous les pas et fait baisser les yeux.

Entre le double azur de la mer et des cieux,
Et parmi la rumeur confuse et sépulcrale
De l’immense Océan qui sanglote et qui râle,
Mon second dans les flots se dresse, radieux.

Quand votre sang s’étend en pourpre triomphale,
Lamentable troupeau des héros expirants
Vous criez mon troisième aux cieux indifférents.

Aucin, Sémiramis, Penthésilée, Omphale,
Visages tour à tour perfides et charmants,
Mon tout vient prendre place, ô femmes, dans vos rangs !

Q15  T29

Il fait nuit. Pas de lune. Au fond d’un vallon noir — 1874 (14)

Ernest d’Hervilly – Etrennes du Parnasse pour l’année 1874

Aurore nocturne

Il fait nuit. Pas de lune. Au fond d’un vallon noir
Brillent tranquillement, étoiles de la terre,
Les feux clairs des maisons. – Toi qui passes le soir
Au flanc de la colline, étranger solitaire,

Toi dont le pas s’éteint sans bruit sur le gazon,
Comme le pas d’un Elfe à l’oeil plein de malice,
Vois-tu cette lueur immense à l’horizon?
C’est l’Aube du Viveur! C’est l’Aurore du Vice!

Paris est là! – Paris, l’ogre énorme qui veut
Toujours boire, toujours manger, aimer sans trève
Et qui, pour s’éclairer, lorsque le jour s’achève

S’est fait avec la houille un astre sans saveur!
Or, là-bas, sur la ville, à l’heure où nait le rêve,
Ce n’est pas le soleil, c’est le Gaz qui se lève!

Q59 – T29

Je pars content Seigneur. Est-ce amusant de vivre, — 1869 (28)

Léon Charly in La Jeunesse du 7 février 1869

Dernier sonnet

Je pars content Seigneur. Est-ce amusant de vivre,
De traîner quelques jours, forçat, un lourd boulet ?
Pour moi tout réveil fut un  visiteur fort laid,
Et cette vie, en somme, un détestable livre.

De mes vers dédaignés que ta main me délivre,
O mort ! Laisse ta faulx, il suffit d’un balai.
Arrête, omnibus noir ! ne me dis pas : ‘complet ! »
Mes parents – si j’en ai – n’oseront pas te suivre.

Tristes … comme des gens n’allant pas hériter,
– Ah ! je ne valais rien, laissant si peu de chose :
Mon linceul est trop court, et ma bière est mal close.

Sois doux, sombre valet qui viendra m’emporter :
Un poète est léger : mon âme en haut repose ;
Mon corps ne pèse pas un volume de prose.

Q15  T29  ‘balai’ rime mal

Un jour, j’étais assis sur une terre anhydre, — 1866 (4)

Louis Goujon Sonnets. Inspirations de voyage

Rimes Humouristiques, trio de sonnets à Théodore de Banville

III

Un jour, j’étais assis sur une terre anhydre
Au pied d’un châtaignier, gros comme un baobab,
J’avais soif à rêver tous les puits de Moab,
Et, quoique Bourguignon, j’aurais lampé du cidre.

J’aurais même, je crois, bu l’eau d’une clepsydre, …
Lorsque vint à passer la fille de Joab,
Vieux juif parcheminé, plus riche qu’un nabab,
Dont l’or très-mal acquis renaissait comme l’hydre!

Il était laid, vorace, et sale comme un porc;
Mais Elle … on aurait dit la soeur du dieu de Delphes;
Elle avait, en courant, le vaporeux des elfes.

Et ma soif disparut. Cet enfant de New-York
Pouvait tout transformer .. jusqu’aux haines des Guelfes.
Son amour était doux comme un vers des Adelphes.

Q15- T29 Rimes rares, mais quatre seulement: – idre -ab – orc – elphes

Quand sous votre corps nu craque un soyeux coussin, — 1859 (1)

Mallarmé Entre quatre murs

Sonnet
A.R.

Quand sous votre corps nu craque un soyeux coussin,
Fumer dans l’ambre et l’or un tabac qu’on arrose
De parfums espagnols: voir voltiger l’essaim
Des houris à l’oeil noir, dont l’enivrante pose

Vous fait rêver au ciel; renverser sur le sein
De celle qui, rieuse, entre vos bras repose
Un verre de Xérès, et dans le frais bassin
Mouiller en folâtrant ses tresses d’eau de rose,

C’est l’Eden! – pense Hassan: et je lui fais écho!
Mais le Ciel, c’est pour moi comme à mon vieux Shakspeare
Un sonnet! – où l’esprit jouit d’être au martyre

Comme en son fin corset le sein de Camargo!
– Quoi! J’ai tant bavardé! plus qu’un vers pour te dire
Mon voeu: « Pour moi commande un sonnet à ta lyre. »

Q8 – T29