Archives de catégorie : bl

Les vers ne riment pas

Un instant tu as oublié le nom — 1996 (1)

Lionel Ray Syllabes de sable

Un instant tu as oublié le nom
des choses: la nuit est vide,
l’heure n’est plus cette écriture
du sable et des oiseaux.

Un instant tu es entré dans
la non-vision du soleil, dans
l’immobile minuit, dans la cave
de l’impossible naissance

Du monde. Il n’y avait nulle
apparence, nul être, pas même
la trace d’un brin d’herbe ou l’hypothèse

D’un nuage, ni début ni fin,
Seulement cette mesure de l’in-
connaissable et le parfait absolu.

bl – m. irr

Certains riment encore en cruche — 1995 (11)

Jude Stefan Prosopopées

Poésie pire

Certains riment encore en cruche
des neuf portes de la perception
avec deux jambes en queue de poisson
pour course d’autruche

à 6 ans une crise cardiaque enlève le boxer
la foudre frappe le sanctuaire
le lièvre dort les yeux ouverts
pour l’anthologie d’une nouvelle ère

miss Hardwick insistait sur les rétroflexes
comme un sanscrit
nous citait les chefs-d’oeuvre à l’index

tous sauf la bible
pourtant sinistrissime rhapsodie
digne de Raspoutine et d’Ivan le Terrible

r.exc. –  m.irr.

Verlaine? Il est dressé sur l’herbe — 1995 (8)

Hedi Kaddour Les fileuses

Verlaine
à Guy Goffette

Verlaine? Il est dressé sur l’herbe
Lyre et palme dans le dos, Verlaine,
En buste au sommet de trois bons
Mètres de pine granitique où se tordent

D’improbables muses affolées d’être
Prises en sa compagnie sous le regard
De promeneurs bien plus novices
Aux combats du plaisir. Le hurlement

Amer d’une moto trouble soudain
Le petit chant de pluie sur les platanes
Et châtaigners, un rayon de soleil,

Tranche en clair-obscur le massif rouge
Et vert, et Verlaine renfrogné rêve encore
L’air qui ferait tout tenir ensemble.

bl – m.irr

Surgit soudain la dissonance — 1995 (7)

Hedi Kaddour Les fileuses

La belle

Surgit soudain la dissonance
En si majeur, brutale comme
Un coup d’oeil hypocrite qu’à
Surpris l’intérieur du genou

D’une femme et ne sait plus
Que faire de sa rage. Elle traverse
La pièce et revient en violence
De poing sur le clavier: joue donc

La fausse erreur, rétorquent
Les sons rieurs qui vont quand même
Au vent avec les cris, le grand

Soleil et les ballons d’enfants,
Car la belle, tu le sais, ça n’est
Jamais qu’un des temps de la bête.

bl – m.irr  octosyllabes plutôt

La main fait glisser une légère — 1995 (6)

Hedi Kaddour Les fileuses

Les pommettes

La main fait glisser une légère
Bretelle noire le long de l’épaule
Trempée de pluie, et la ville
Sous le vent devient l’égale

Des gestes les plus clairs.
Réjouissons-nous un instant
De croire à la figure
, récite
La femme aux pommettes saillantes,

Alors qu’à petits pas les montres
Vont leur chemin dans le jour
Véritable.
Elle fut la première

A embrasser, et se surprend encore
De sa douceur en regardant sa jambe
Monter vers le vieux lustre.

bl – m.irr  plutôt octosyllabes

Etre là est absolument inexplicable, — 1995 (5)

Robert Marteau Registre (1999)

( Samedi 9- mardi septembre 1995)

Etre là est absolument inexplicable,
Vu que nous n’avons pas la possibilité
De voir l’infini non plus que l’infiniment;
Ni d’entendre la gravitation des corps
Célestes à l’intérieur de ce qui n’a
Pas de circonférence à proposer à l’oeil,
Même mathématique; et quant à la musique,
Nous ne savons pas expliquer qu’elle ait son chiffre
Dans les métaux consonnant aux sphères, et qu’elle
Sonne à l’esprit sans qu’en soit rompu le silence,
Nous autres jetés au centre qui est partout
Sans que nous sachions rien de ce qui nous entoure,
Mais voués à ce qui s’en va vers l’éternel
Où nous voulons renaître à ce que nous étions.

bl – 12s- sns

Le Christ a écrit sur le sable pour que tout — 1995 (4)

Robert Marteau Registre (1999)

(Dimanche 16 juillet 1995)

Le Christ a écrit sur le sable pour que tout
Soit dit en même temps qu’effacé. Même nous,
Nous ne sommes que des traces qui ont perdu
La mémoire de leur origine. Au début,
Il y avait le divin vide où tout était
Tenu en perpétuel renouvellement
Comme en perfection perpétuellement
Nouvelle. Il n’y avait, bien entendu, ni poids
Ni mesure: nous étions avec tout au sein
Des trois principes et par eux constitués
Ainsi que l’était tout ce qui fut et sera.
Qui donc alors se souviendrait de qui jeta
Hors du cercle infini la pierre inexistante,
Inaugurant la Chute et la Division?

bl – 12s- sns

Et ce serait un grand bonheur d’en finir à l’automne — 1995 (3)

Claude Esteban Quelqu’un commen ce à parler dans une chambre

Et ce serait un grand bonheur d’en finir à l’automne
avec ce corps qui n’en peut plus et dans les arbres un peu de vert,
tout resterait à sa place, sans nous, jusqu’à l’hiver
et puis viendrait la neige et la Noël pour tous les autres

quelqu’un dirait peut-être, connaissiez-vous cet homme-là,
je  ne sais plus son nom, il lui arrivait parfois de sourire
pour pas grand-chose, un nuage qui passe, mais il faut vivre
avec les siens, mais c’est déjà beaucoup de se souvenir

et l’on serait cet homme-là qui n’intéresse plus personne
mais qui ne souffre plus de son corps et ce serait déjà beaucoup,
peut-être qu’on serait mêlé dans la terre aux feuilles jaunes

et qu’on descendrait comme les fourmis au-dedans du chaud,
on dormirait, on n’aurait plus de mauvais rêve, on pourrait croire
que les morts sont heureux dans leurs demeures sans échos.

bl – m.irr

Comme partout ailleurs le ciel à Bezons — 1995 (2)

Guy Goffette Le pêcheur d’eau

Paix de coucou
A Gérard Noiret

I

Comme partout ailleurs le ciel à Bezons
Est par-dessus le toit, et peu s’inquiètent
En bas de la qualité d’une étoffe
Si commune – sauf le vieux boxer peut-être

Qui ne dort plus et rumine sa fin
Prochaine à la fenêtre du troisième
Cité des Lilas tandis que les petits
Pavillons de meulière font corps avec

Le souvenir l’oubli des jours maigres et
Du pain dur. C’était hier et ça reste
Comme le ciel dans la mémoire, un bleu

De plus en plus rapiécé: le retour
De mon père à la maison et ses mains
Nues et meurtries près de l’assiette à fleurs.

bl – 10 s

O vous qui écoutez dans mes rimes éparses — 1994 (4)

André Rochon trad. Pétrarque in Anthologie bilingue de la poésie italienne
O vous qui écoutez dans mes rimes éparses
Le son de ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Au temps de ma première errance juvénile,
Quand j’étais en partie autre que je ne suis

Le style varié, en quoi je pleure et parle
Parmi les vains espoirs et la vaine douleur,
Chez qui comprend l’amour pour l’avoir éprouvé,
Trouvera, je l’espère, et pardon et pitié.

Mais je vois aujour’d’hui comment du peuple entier
Je fus longtemps la fable, en sorte que souvent
De moi-même à part moi j’éprouve de la honte,

Puisque honte est le fruit de mes délires vains,
Ainsi que repentir et claire connaissance
Que ce qui plaît au monde est un songe éphémère.

bl  alexandrins  tr (rvf 1)