Archives de catégorie : alal

Q8 – T14

Toi qui pâlis au nom de Vancouver, — 1924 (2)

Marcel Thiry Toi qui pâlis au nom de Vancouver

Toi qui pâlis au nom de Vancouver,
Tu n’as pourtant fait qu’un banal voyage;
Tu n’as pas vu les grands perroquets verts,
Les fleuves indigos ni les sauvages.

Tu t’embarquas à bord de maints steamers
Dont par malheur aucun ne fit naufrage
Sans grand éclat tu servis sous Stürmer,
Pour déserter tu fus toujours trop sage.

Mais il suffit à ton orgueil chagrin
D’avoir été ce soldat pérégrin
Sur le trottoir des villes inconnues,

Et juste, un soir, dans ce bar de Broadway,
D’avoir aimé les grâces Greenaway
D’une Allemande aux mains savamment nues.

Q8 – T14 – déca – Le vers 4 est césuré en position 6.

Rampant d’argent sur champ de sinople, dragon — 1921 (4)

Alfred Jarry in Le Disque vert

Le Bain du Roi

Rampant d’argent sur champ de sinople, dragon
Fleurie, au soleil la Vistule se boursoufle.
Or le roi de Pologne, ancien roi d’Aragon
Se hâte vers son bain, très nu, puissant maroufle.

Les pairs étaient douzain: il est sans parangon.
Son lard tremble à sa marche et la terre à son souffle;
Pour chacun de ses pas son orgueil patagon
Lui taille au creux du sable une creuse pantoufle.

Et couvert de son ventre ainsi que d’un écu
Il va. La redondance illustre de son cul
Affirme insuffisant le caleçon vulgaire

Où sont portraiturés en or, au naturel,
Par derrière, un Peau-Rouge au sentier de la guerre
Sur un cheval, et par devant, le tour Eiffel.

Q8 – T14

Bruit qui ne s’énumère, et sous l’atone nue — 1920 (5)

René Ghil – in Oeuvres Complètes

Mer montante.

Bruit qui ne s’énumère, et sous l’atone nue
le rond soleil qui transparaît
en point ardent d’où s’amasse la révolue
cendre du soir désert, la Mer ne saurait

d’éternel arrêter la respiration tûe
de tous les hommes morts en trophées! arrivait
de dessous l’horizon qui limite ma vue
et le soupir de ma poitrine – et elle avait

immensément le mouvement qui outre-passe
et la grève et les pas et les mots qu’en vain tasse
le poids multiplié de nos vivants trépas:

et elle était – qui vient de soi-même suivie –
de l’étendue que le temps ne tarit pas
et sur ma lèvre un goût de sel, mouillé de vie ….

1916

Q8 – T14 – 2m: octo: v.2:

Tue en l’étonnement de nos yeux mutuels — 1920 (2)

René Ghil – in Oeuvres Complètes


Pour l’enfant ancienne

Tue en l’étonnement de nos yeux mutuels
Qui délivrèrent là l’or de latentes gloires,
Que, veuve dans le Temple aux signes rituels,
L’onde d’éternité réprouve nos mémoires.

Tel instant qui naissant des heurts éventuels,
Tout palmes de doigts longs aux nuits ondulatoires
Vrais en le dôme espoir des vols perpétuels
Nous ouvrit les passés de nos pures histoires

Une moire de vains soupirs pleure sous les
Trop seuls saluts riants par nos vœux exhalés,
Aussi haut qu’un néant de plumes vus les gnoses.

Advenus rêves des vitraux pleins de demains
Doux et nuls à plumer, et d’un midi de roses
Nous venons l’un à l’autre en élevant les mains.
1886

Q8 – T14 – vers 9 : un article comme mot-rime

Bien loin, lecteur, de ces bucoliques barbus — 1915 (10)

Henri Béraud Glabres

Dédicace

Bien loin, lecteur, de ces bucoliques barbus
Qui paissent leur bercail aux champs de Montparnasse,
Loin de ces brasseries, emmi les bons poilus,
Les anciens et les bleus (tous d’ailleurs de la classe))

La guerre donna l’être à ces vers ingénus,
Jusqu’aux lieux du carnage Apollon se prélasse.
L’Hélicon se transporte à Mesnil-les Hurlus,
Un boyau mène Eros aux crêtes du Parnasse.

Que ce luth de bivouac par ses accents rassure
Le cœur de l’apeuré Thersite. Et toi, Censeur,
Muse du caviar, tu chercheras en vain,

Dans ce recueil : rébus, parabole ou satire*.
Ce n’est que badinage, et pour montrer enfin
Aux ciblots épatés qu’on garde le sourire.

* Hélas ! la censure a cherché, et ce ne fut pas en vain. Voir page 17.

Q8  T14

‘ciblot’ est absent du TLF ; sans doute= civil.

Belladones et Cimarose — 1915 (9)

Paul Dermée in Sic

Jeu

Belladones et Cimarose
Miroirs lumineux des Songhas
Ma seule amie au cœur de rose
Touffes d’ivresse ô Seringa.

Cinnamones et primerose
Subtil horizon des lampas
La chair que ma tendresse arrose
Semble un lotus clos sous mes pas.

Cétoine à l’eau vive d’aurore
L’azur est là que le ciel dore
La cinéraire est mis au bois.

Vois la surprise aux yeux qu’on aime
Les soudains appels d’un hautbois
Soupirs ailés du dieu suprême.

Q8  T14  octo

Si je contemple le plafond — 1914 (2)

Jean de La Ville de Mirmont – in Oeuvres complètes ed. 1992 –

Si je contemple le plafond
Avec tant de mélancolie,
Gentlemen, avouerai-je, au fond
Le motif de ma rêverie?

Lorsque j’ai bu trois carafons
De gin, de rhum et d’eau de vie,
Goddam! Tous ces alcools me font
Songer à la mère-patrie …

J’en partis à vingt ans à peine
Pour acheter du bois d’ébène
Sur la côte des Somalis.

Négrier plus qu’aux trois-quarts ivre
(En vérité je vous le dis),
J’ai gardé tout mon savoir-vivre.

Q8 – T14 – octo

Dès longtemps, sur le luth, j’exerce — 1908 (6)

Emmanuel Signoret Poésies complètes


Invocation

Dès longtemps, sur le luth, j’exerce
Mes doigts, sur tous, les mieux instruits:
Qu’une nouvelle mer me berce
Sur des vaisseaux par moi construits.

Ma hache brillante renverse
Un pin couronné de ses fruits,
Qui coupe le ciel et qui verse
Des torrents d’ombres et de bruits.

Qu’en ses flancs je taille ma barque!
Après Ronsard, après Pétrarque,
Légers sonnets, emportez-moi!

Jusqu’à ce qu’en l’or des trompettes,
Faisant trembler les cieux d’effroi,
Ma bouche souffle des tempêtes!

Q8  T14  octo  s sur s

Sous le Notos hurleur et sous l’Euros paterne, — 1908 (5)

Robert de MontesquiouLe parcours du rêve au souvenir

Sous le Notos hurleur et sous l’Euros paterne,
Flots, berceaux des soleils, et vagues, leurs tombeaux:
O mer, versicolore azur, redite terne,
Ou luisante, des faits et gestes de Phoibos;

Peut-être, déplorant ton rôle subalterne,
Corail épanoui sous ses levers dispos,
Sanglant rubis, sous ses couchers, d’une citerne
Aux paisibles reflets, crois-tu les sorts plus beaux?

O tain inconscient, impersonnel mirage
Qui répètes la paix, qui rabâche la rage
Du ciel capricieux, du ciel supérieur;

Ton flux et ton reflux vocifèrent des lieues
De paradoxes forts, que le remous crieur
Construit de saphirs verts et d’émeraudes bleues.

Q8 – T14

Bruit de l’homme, pas, cris, rires, appels, devant, — 1905 (5)

Paul Claudel Vers d’exil

V

Bruit de l’homme, pas, cris, rires, appels, devant,
Derrière, chants, amours, rixes, marchés, paroles!
Je te veux étouffer, ô peuple en moi mouvant!
Tais-toi, sonore esprit! Eteignez-vous, voix folles!

Bruit de la mer! Bruit de la terre! bruit du vent!
Murmure au bois profond, l’oiseau chante. Frivoles
Jours! Dors, passé! Que me veux-tu encore, enfant?
Fleur de ce monde-ci, referme  tes corolles?

Et toi aussi, tais-toi, cœur! Taisez-vous, soupir!
Le vieux murmure en moi dure et ne peut finir.
Tout s’est tu. Viens, ma nuit! Viens-t-en, ombre de l’ombre!

Viens, silence sacré et nuptial! Soleil
De mon âme, viens, paix! Viens amitié! Viens, nombre!
Viens avec moi, viens, mon Dieu, viens, ardent Sommeil!

Q8 – T14