Archives de catégorie : alal-2

Q8 (abab abab) -T23 (cdc dee)

Notre chemin passe par les traverses — 1954 (8)

Jean Sénac Les leçons d’Edgard in Oeuvres poétiques (1999)

1

Notre chemin passe par les traverses
Il est large et précis comme un cou de taureau,
Il craint le cœur dans les heures adverses
Dans le plaisir il craint les mots.

Notre chemin quand tombent les averses
Sent la luzerne et l’églantine à crocs,
Et si l’ornière au feu central nous verse,
Notre pied garde assez de flot.

Notre chemin procède par énigmes,
Quoique très clair ton sourire conduit,
Ton corps charrie les pigments et les rythmes.

Ta voix consent aux laves de la nuit.
Mais l’or au front, il trace, solitaire,
Notre chemin de paix dans les plis de la terre.

Q8 – T23 – 2m : déca;  octo: v.4, v.8; alexandrin: v.14

A quoi, mon cher amour, servirait l’exercice, — 1944 (10)

Robert Mélot du Dy Rimes des rhétoriqueurs

Chaîne d’amour

A quoi, mon cher amour, servirait l’exercice,
Si ce n’est à former de beaux corps amoureux?
Regarde ces danseurs, ivres de leurs délices:
Lis ce sonnet dansant que j’invente pour eux.

Heureux, l’amant bien fait, qu’en secret il jouisse
Ou hisse l’étendard de son cœur valeureux;
Heureux que la beauté deux fois les éblouisse,
Oui! ces corps deux fois beaux sont doublement heureux.

Regarde encor: voici qu’on accouple avec rimes,
Crimes délicieux du langage, les mots,
Modulant la musique amoureuse des mimes:

Imminent, le baiser sur les lèvres éclos
(L’eau m’en vient à la bouche) unira leurs tendresses …
Dresse-toi, mon sonnet, libre de maladresses!

Q8 – T23   s sur s

Exercice de ‘rime annexée’ (ACh): la fin de vers est reprise au début du vers suivant: exercice / Si cepour eux / heureux

Le chat lutte avec une abeille — 1944 (7)

Henri Thomas Signe de vie

Sonnet du chat

Le chat lutte avec une abeille
autour de sa fourrure,
je vois l’azur et ses merveilles,
un arbre, une mâture,

la mer apporte à mon oreille
le bruit des aventures
que nous vivrons si tu t’éveilles,
témérité future.

Je me consacre aux vertes îles,
favorables au sage
qui sait trouver un dieu tranquille

entre palme et rivage.
Le chat s’en va, brillant et beau,
pour guetter les oiseaux.

Q8 – T23 -2m : octo; 6s: v.2, v.4, v.6, v.8, v10, v.12, v.14

Ferrée à rouge te voilà devant l’enclume — 1921 (2)

Roger VitracLe faune noir – in Des-lyre (ed.1964)


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Ferrée à rouge te voilà devant l’enclume
Bouche au collier de larmes Forgeron
Que l’ombre de ton bras lève la femme plume
Et que ton bras lui plante une harpe en plein front

Et qu’elle chante avec l’écharpe de bitume
Hyperbole des cils, gril où nous rôtirons
Sous l’arbre ensanglanté dont elle se parfume
Et nos poumons légers sont là pour le clairon

Ah nature insensible à l’étincelle mâle
Fille du vin Elle est jolie au bord de l’eau
A ses dents tu peux voir si son squelette est pâle

Mais si tu veux passer par les coups de marteau
D’un poing fêlé comme le cœur de l’étrangère
Frappe Le Forgeron est bien en chair ma chère

Q8 – T23

A vous seule qui ne fûtes l’étrange poupée — 1913 (12)

André Breton in ed. Pléiade

A vous seule

A vous seule qui ne fûtes l’étrange poupée
Sœur ai-je dit je pressens que sous vos mains petites,
En précieux chignon ne fuserait la poupée
Tout ce qu’orne l’audace verte des clématites.

Un seau de femme où gèle en bleuissant l’eau pompée
Porte à voir au milieu de salores des stalactites
Un bout de corne pointe ustensile d’épopée
Au front des pauvres moutards de banlieue à otites.

On rapporte la fumée aux losanges de natte
Ainsi le rêve du forain mou je l’enviai
Que ce fut mordre à belles dents la baie incarnate

Ange vous selon mes paradoxes de janvier
Retintes ce long talus qui bée au vent moqueur
Et me pardonnâtes l’équipée à contre-coeur.

Q8 – T23 – 13s

– Lettre à Paul Valéry du 9 janvier 1916:  » Et voici même un  sonnet trop irrégulier. Que ne puis-je me retenir de vous faire part , avec la puérilité que vous condamnez, d’essais toujours malheureux ».
Réponse de P.V.:  » Nous avons lu ces derniers vers que vous m’avez envoyés. Ils font penser que vous êtes dans un état que les physiciens nommeraient critique. Leur brisement, leur art situé entre les types définis, le hasard introduit, voulu, rétracté à chaque instant, assurent que vous touchez un certain point intellectuel de fusion ou d’ébullition, bien connu de moi, quand le Rimbaud, le Mallarmé, inconciliables, se tâtent dans un poète. Début capital, perceptible si clairement dans ce sonnet où le solitaire, le volontaire, le seul soi, mais la rime exacte, la forme fixe, la recherche des contrastes coexistent ».

Dans les rameaux des ifs et des cèdres en cône, — 1911 (10)

Léon Vérane Terre de songe

Dans les rameaux des ifs et des cèdres en cône,
Les perroquets rouges et verts se sont juchés
Et troublent d’un frôlis d’ailes le soir d’automne
Au long des boulingrins de corolles jonchés.

Et le nain, sous son chaperon de velours jaune
Où comme un bleu panache un iris est fiché,
Jongle avec des citrons, des cédrats et des pommes
Aux cris rauques des grands oiseaux effarouchés.

Mais la lune surgie au ciel de lazulite,
Ecorne sa rondeur aux ifs pointus du bois,
Et le nain qui jonglait, soudain devenu triste,

Songe qu’il a manqué pour la première fois
Un citron, un cédrat ou une pomme blanche,
Puisqu’un fruit est resté dans la fourche des branches

Q8  T23  quelques assonances

Incitatus est morne. Un mal, dont la naissance — 1903 (4)

Paul BilhautÇa … et le reste

Incitatus (sonnet obscur)
– A lire comme quelques autres – avec un Larousse à portée de la main

Incitatus est morne. Un mal, dont la naissance
Echappe aux plus savants, en stabulation
A figé les élans de son adolescence
Et sa spumeuse ardeur meurt en supputation.

Lui, si svelte jadis, n’est qu’une turgescence;
Rien ne peut ranimer l’éteinte coction,
Rien, ni squine, ni spic. Il gît sans connaissance.
L’Inmerator est dans la consternation.

Ils implorent les dieux qui veillent près de l’âtre;
Sans que des favoris s’allège le tourment.
Mais paraît un lapithe, un habile hippiâtre;

Son art, nouveau pour tous, tient de l’enchantement!
Si bien qu’Incitatus, les jambes sanguinées,
Renaît, sous le baiser ling des hirudinées.

Q8 – T23  –  (H.N.) stabulation : séjour ou entretien continu des bestiaux à l’étable. squine : sorte de bois soporifique fourni par la racine ligneuse du ‘smilax china’  hirudinée : qui ressemble à une sangsue – quant au lapithe, il combat le Centaure – pour hippiâtre cf Notice sur les mots hippiâtre, vétérinaire et maréchal, par J.-B. Huzard. – Les hirudinés ou sangsues sont totalement dépourvus de parapodes et de soies. Ces vers ont un nombre de segments constant (33) auquel il faut ajouter le prostomium. L’extrémité antérieure est pourvue d’une ventouse buccale. L’extrémité postérieure est également pourvue d’une ventouse discoïdale.

Sous votre petit blanc bonnet, — 1902 (11)

F.A CazalsLe jardin des ronces

Sonnet à l’infirmière

Sous votre petit blanc bonnet,
Blanc bonnet, bonnet blanc qu’on jette
Par-dessus – sautez et tournez –
Tous les moulins de la Galette !

Vous trottez et vous trottinez,
Telle, en d’autres temps, Marinette,
Souriant à quel Gros-René
Sous votre bonnet de soubrette ?

Vous prenez un air virginal
Pour, avec un geste adorable,
Présenter, quoi donc ? l’urinal ! …

Cependant qu’un vieil incurable,
Mis en goût par son lavement,
Vous mange des yeux goulûment !

Q8  T14  octo

Elle laissa tomber près du lit sa chemise, — 1899 (10)

Jules MoulinRefuges

Quand même

Elle laissa tomber près du lit sa chemise,
Et m’apparut alors dans toute sa splendeur:
Superbe, elle m’offrait sa chair, Terre Promise;
– Je ne vis sur son front nul signe de rougeur.

Je l’avais rencontrée, au soir, dans une église.
Elle venait ainsi prier avec ardeur,
Chaque jour que Dieu fait, et c’était sans surprise,
Qu’elle avait accepté mon hommage et mon coeur.

Elle fut en tous points très bien, je dois le dire,
Et j’allais m’assoupir amplement satisfait,
Heureux d’avoir trouvé Sapho ‘Toute la Lyre »,

Quand je sentis glisser son corps qui m’étreignait:
A genoux, près du lit, je la vis très austère:
Elle avait oublié de faire sa prière!

Q8 – T23