Archives de catégorie : carn-2

Q8 (abab abab) – T30 (cdd cee)

Un jour au cabaret, dans un moment d’ivresse, — 1890 (26)

G. de Viney in L’Aurore

Mots carrés syllabiques

Un jour au cabaret, dans un moment d’ivresse,
L’ivrogne Mathurin en se disputant fort,
A son ami Denis cherchait dernier sans cesse
Armé de son couteau pour lui donner la mort.

Il fond sur lui soudain et fortement le blesse ;
Arrêté sur le champ en prison il s’endort.
Ensuite condamné, pour la Nouvelle, en laisse,
On le conduit ; mais lui mécontent de son sort,

S’évade dans le bois et rencontre un deuxième
Que l’on nomme premier. de cet homme méchant
Il craint la dent cruelle, et veut, en se cachant

Echapper à la mort et se sauver quand même …
Plus loin un caïman, au milieu des roseaux,
Le happant en passant, l’entraîne au fond des eaux.

Q8  T30

Sur cinq pieds je suis oiseau — 1879 (12)

L’union littéraire et le Sonnetiste réunis

Arsène Thevenot

Anagramme-Logogriphe

Sur cinq pieds je suis oiseau
D’une grande renommée,
Ou bien du poisson dans l’eau
La qualité présumée.

Puis sur quatre, de nouveau
Je redeviens emplumée
Mais quand j’affecte la peau
Je suis assez mal famée

Sur trois au sein de la mer
On me voit grande ou petite,
Et plus d’un peuple m’habite.

Ou je suis breuvage amer
Que l’on verse à la taverne:
Vois, lecteur, si je te berne.

Q8 – T30 – 7s

Solution d’Alain Chevrier:

Sur cinq pieds je suis oiseau = AIGLE
D’une grande renommée,
Ou bien du poisson dans l’eau
La qualité présumée. = AGILE
Puis sur quatre, de nouveau
Je redeviens emplumée = AILE
Mais quand j’affecte la peau
Je suis assez mal famée = GALE
Sur trois au sein de la mer
On me voit grande ou petite,
Et plus d’un peuple m’habite. = ILE
Ou je suis breuvage amer
Que l’on verse à la taverne: = ALE
Vois, lecteur, si je te berne.

En résumé :

Aigle, agile, aile, gale, île, ale.

La Mélencolia se tient sur une pierre, — 1866 (32)

Le Parnasse contemporain

Devant la Mélencolia d’Albert Durer

La Mélencolia se tient sur une pierre,
Le visage en sa main, cependant que le soir,
Triste, comme elle, étend son ombre sur la terre
Et qu’au loin le soleil s’éteint dans un ciel noir.

Que bâtit-on près d’elle? Est-ce un grand monastère
Pour une foi qui meurt, ou bien quelque manoir
Dont les canons un jour feront de la poussière?
– Le soleil, lentement, s’éteint dans le ciel noir. –

La Mélencolia, songeant à ce mystère,
Qui fait que tout ici s’en retourne au néant,
Et qu’il n’est nulle part de ferme monument,

Et que partout nos pieds heurtent un cimetière
Se dit: Oh! puisque tout se doit anéantir,
Que sert donc de créer sans fin et de bâtir?

Henri Cazalis

Q8 – T30

Ce matin, nul rayon n’a pénétré la brume, — 1866 (26)

Le Parnasse contemporain


Journée d’hiver

Ce matin, nul rayon n’a pénétré la brume,
Et le lâche soleil est monté sans rien voir.
Aujourd’hui, dans mes yeux, nul désir ne s’allume;
Songe au présent, mon âme, et cesse de vouloir!

Le vieil astre s’éteint comme un bloc sur l’enclume,
Et rien n’a rejailli sur les rideaux du soir.
Je sombre tout entier dans ma propre amertume;
Songe au présent mon âme, et vois comme il est noir!

Les anges de la nuit traînent leurs lourds suaires;
Ils ne suspendront pas leurs lampes au plafond;
Mon âme, songe à ceux qui sans pleurer s’en vont!

Songe aux échos muets des anciens sanctuaires!
Sépulcre aussi, rempli de cendres jusqu’aux bords,
Mon âme, songe à l’ombre, au sommeil, songe aux morts!
Léon Dierx

Q8 – T30

L’élégante à la mode a mis de côté — 1866 (11)

Eugène de Lonlay (sans titre)

La Vénus moderne – Sonnet de onze pieds

L’élégante à la mode a mis de côté
La pudeur d’autrefois qui faisait son charme,
Elle porte culotte et son pied botté
Imite à s’y tromper le pan d’un gendarme.

Le cigare à sa lèvre et l’oeil effronté
Sont même pour les fous un sujet d’alarme ;
La femme perd ses droits à la royauté
Quand elle ne sait plus répandre une larme.

Le chapeau de travers et le ton mutin
Vont à ravir sans doute à toute lorette
Mais de l’hymen jamais ne font la conquête:

A la fille qui prend un air masculin
L’homme le plus épris hésite à se rendre
Il craint de n’épouser qu’un amas de cendre

Q8 – T30 – 11s             Monsieur de Lonlay signale fièrement son emploi de l’hendécasyllabe, bien négligé jusque là dans le siècle

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé, — 1854 (5)

Gérard de Nerval Les Chimères

El Desdichado

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie:
Ma seule Etoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phoebus? … Lusignan ou Biron?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la Syrène …

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron:
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

Q8 – T30

Notre vie est semblable aux monts de Pyrénées ; — 1850 (5)

Armand de Flaux Nuits d’été

Sonnet

Notre vie est semblable aux monts de Pyrénées ;
Aux pieds naissent des fleurs dans toutes les saisons,
Et du haut des glaciers les neiges entraînées,
Coulent plus mollement sur des lits de gazons.

Des forêts de sapins sur leurs flancs inclinées,
A jamais, du soleil leur cachent les rayons,
Et, dans l’azur des cieux, leurs têtes couronnées
Sont éternellement couvertes de glaçons.

Ces gazons et ces fleurs n’est-ce pas la jeunesse ?
Ces forêts, d’un aspect plus grave et plus obscur
Dont l’oeil est attristé, n’est-ce pas l’âge mûr ?

Ces sommets dévastés, n’est-ce pas la vieillesse ?
Puis cette immensité des pics au firmament
N’est-ce pas de la mort le vide et le néant ?

Q8  T30

« Immobile Destin, muette sentinelle, — 1844 (12)

Nerval Le Christ aux oliviers

III

« Immobile Destin, muette sentinelle,
Froide Nécessité! … Hasard qui, t’avançant
Parmi les mondes morts sous la neige éternelle,
Refroidis, par degrés, l’univers pâlissant,

« Sais-tu ce que tu fais, puissance originelle,
De tes soleils éteints, l’un l’autre se froissant …
Es-tu sûr de transmettre une haleine immortelle,
Entre un monde qui meurt et l’autre renaissant? …

 » O mon père! est-ce toi que je sens en moi-même?
As-tu pouvoir de vivre et de vaincre la mort?
Aurais-tu succombé sous un dernier effort

« De cet ange des nuits que frappa l’anathème? …
Car je me sens tout seul à pleurer et souffrir,
Hélas! et, si je meurs, c’est que tout va mourir!  »

Q8 – T30