Archives de catégorie : rons-2

Q15 (abba abba) – T30 (cdd cee)

J’aimais autrefois la forme païenne; — 1871 (12)

Parnasse contemporain, II

Théophile Gautier

Sonnet

J’aimais autrefois la forme païenne;
Je m’étais créé, fou d’antiquité,
Un blanc idéal de marbre sculpté
D’hétaïre grecque ou milésienne.

Maintenant j’adore une italienne,
Un type accompli de modernité,
Qui met des gilets, fume et prend du thé,
Et qu’on croit anglaise ou parisienne.

L’amour de mon marbre a fait un pastel,
Les yeux blancs ont pris un ton de turquoise,
La lèvre a rougi comme une framboise,

Et mon rêve grec dans l’or d’un cartel
Ressemble aux portraits de rose et de plâtre
Où la Rosalba met sa fleur bleuâtre.

Q15 – T30 – tara

Comme la perle fine avec art enchâssée, — 1869 (36)

Charles Coligny in l‘Artiste

Le sonnet

Comme la perle fine avec art enchâssée,
Brille en un cercle d’or étroit et pur écrin
Comme entre les parois d’un corset de satin,
Une taille légère est doucement pressée.

Comme le gant moulant une main parfumée,
Dessine exactement les ongles de carmin,
Au vers quatorzième imposant le mot : Fin !
Strictement le sonnet enserre la pensée.

Mais de tous ces liens se joue en souriant,
L’art calme et radieux, l’art fier que rien n’entrave,
Qui se relève roi quand on le croît esclave.

Chaque mot caressé par son doigt triomphant,
Etincelle parmi les frêles dentelures,
Comme un brillant orné de riches ciselures.

Q15  T30  s sur s

O truffes ! diamants d’ébène, sœurs et mères — 1868 (25)

Eugène Vermersch Sonnets culinaires

Les truffes

O truffes ! diamants d’ébène, sœurs et mères
De la subtile joie et du savant baiser !
Sans lesquelles il n’est point permis de priser
La table épiscopale & les royales chères !

Quand la pourpre du vin saigne en nos coupes claires,
Et que la lèvre en fleur commence à se griser,
Dans l’argent mat où vous aimez à reposer,
Vous brillez sur la nappe aux lueurs des torchères.

Truffes, salut ! … si dans les tubercules bruns
L’aï mousseux a fait pénétrer ses ivresses,
Un soufle plus chaud tremble aux bouches des maîtresses,

Et pour toi délaissant leurs blancs nids de caresses,
Dans les boudoirs secrets, loin des yeux importuns,
Les amoureux désirs nagent dans tes parfums.

Q15  T30

Une ville gothique, avec tout son détail, — 1868 (12)

coll sonnets et eaux-fortes

Théophile Gautier

Promenade hors des murs

Une ville gothique, avec tout son détail,
Pignons, clochers et tours forme la perspective;
Par les portes s’élance une foule hâtive,
C’est déjà le printemps, des prés verdit l’émail.

Le bourgeois s’endimanche et quitte son travail.
L’amoureux par le doigt tient l’amante craintive,
D’une grâce un peu roide, ainsi que sous l’ogive
Une sainte en prison dans le plomb d’un vitrail.

Quittant par ce beau jour, bouquins, matras, cornues,
Le docteur Faust, avec son famulus Wagner,
S’est assis sur un banc et jouit du bon air.

Il vous semble revoir des figures connues:
Wolgemuth et Cranach les gravèrent sur bois,
Et Leys les fait revivre une seconde fois.

Q15 – T30

Pétrarque, au doux sonnet je fus longtemps rebelle; — 1855 (10)

Auguste Brizeux Histoire in oeuvres vol II 1884 –


Formes et pensées, II

Pétrarque, au doux sonnet je fus longtemps rebelle;
Mais toi, divin Toscan, chaste et voluptueux,
Tu choisis, évitant tout rythme impétueux,
Pour ta belle pensée une forme humble et belle.

Ton poème aujourd’hui par des charmes m’appelle:
Vase étroit mais bien clos, coffret, plaisir des yeux,
D’où s’exhale un parfum subtil, mystérieux,
Que Laure respirait, le soir, dans la chapelle.

Aux souplesses de l’art la grâce se plaisait,
Maître, tu souriras si ma muse rurale
Et libre a fait ployer la forme magistrale;

Puis, sur le tour léger de l’Etrusque, naissait,
Docile à varier la forme antique et sainte,
L’urne pour les parfums, ou le miel, ou l’absinthe.

Q15 – T30 – s sur s

J’aime encor le sonnet, ce médaillon sans prix — 1854 (1)

Ernest PrarondLes impressions & pensées d’Albert

Le Sonnet

J’aime encor le sonnet, ce médaillon sans prix
Où nous pouvons, sitôt qu’un caprice nous tente,
Réduire adroitement dans la pierre éclatante
Les sujets les plus hauts dont nous soyons épris.

Dans un ovale étroit d’indestructible onyx
L’image est découpée éternelle et riante,
Si bien que Delia, la belle survivante,
Sert encor de parure aux belles de Paris.

Et j’aime le sonnet dans sa forme elliptique
Malgré le dur effort des labeurs irritants,
Et vers lui je me tourne encor de temps en temps;

Je l’aime; car plus d’un comme un camée antique
Parmi ceux qu’autrefois j’ai taillé par milliers
Me garde des traits chers et du monde oubliés.

Q15 – T30 – s sur s

Pendant les guerres de l’Empire, — 1852 (1)

Théophile GautierEmaux et camées

Préface

Pendant les guerres de l’Empire,
Goethe, au bruit du canon brutal,
Fit le Divan occidental ,
Fraîche oasis où l’art respire.

Pour Nisami quittant Shakespeare,
Il se parfuma de çantal,
Et sur un mètre oriental
Nota le chant qu’Hudud soupire.

Comme Goethe sur son divan
A Weimar s’isolait des choses
Et d’Hafiz effeuillait les roses,

Sans prendre garde à l’ouragan
Qui fouettait mes vitres fermées,
Moi, j’ai fait Emaux et Camées.

Q15 – T30 – octo

Au beau cauchois, la plus humble chaumière, — 1846 (11)

Victor Fleury, secrétaire de la mairie d’Ingouville Lointains

Sonnet

Au beau cauchois, la plus humble chaumière,
Sur son toit vert de mousse a des Iris d’azur,
Et sa vigne, accrochée à des clous sur les murs,
Pour jeter l’ombre au seuil inondé de lumière ;

Quelques poules, un coq, dont la voix la première
Salue à l’orient le jour encore obscur ;
Une mare dormante, ou bien un ruisseau pur,
Ou vient souvent puiser une fraîche fermière.

Et, devant la masure, un jardin, où les fleurs
– Doux emblêmes laissés comme choses fertiles, –
Ne poussent qu’au hasard parmi les biens utiles.

Une haie, en été, la défend des chaleurs,
Et les sureaux touffus, et la blanche aubépine
Y neigent, vers le soir, au vent de la colline.

Q15  T30

Ce qui m’incite à t’aimer, ô mon Dieu, — 1840 (16)

Sainte-Beuve Œuvres poétiques

Sonnet de Sainte Thérèse
A Jésus crucifié

Ce qui m’incite à t’aimer, ô mon Dieu,
Ce n’est pas l’heureux ciel que mon espoir devance,
Ce qui m’incite à t’épargner l’offense,
Ce n’est pas l’enfer sombre et l’horreur de son feu !

C’est toi, mon Dieu, toi par ton libre vœu
Cloué sur cette croix où t’atteint l’insolence ;
C’est ton saint corps sous l’épine et la lance,
Où tous les aiguillons de la mort sont en jeu.

Voilà ce qui m’éprend, et d’amour si suprême,
O mon Dieu, que, sans ciel même, je l’aimerais ;
Que, même sans enfer, encor je te craindrais !

Tu n’es rien à donner, mon Dieu, pour que je t’aime ;
Car, si profond que soit mon espoir, en l’ôtant,
Mon amour irait seul, et t’aimerait autant !

Q15 – T30  – 2m (v.1-3-5-7 : déca) –  tr.

Adieu ! je pars, Madame, et pour toujours peut-être ! — 1830 (9)

Antoine Fontaney d’après René Jasinski : Une amitié amoureuse, Marie Nodier et Fontaney (1925)

A madame Marie Manessier

Adieu ! je pars, Madame, et pour toujours peut-être !
Il faut boire à longs traits dans le calice amer ;
Bien que le temps soit gros, il faut tenir la mer ;
L’oiseau doit s’exiler du ciel qui le vit naître.

Où sont les jours plus purs dont je me suis cru maître ?
Ces hautes amitiés dont mon cœur était fier ?
Les consolations dont je rêvais hier ?
Tout s’engloutit et meurt, et n’a fait qu’apparaître.

Insensé qui voulait enchaîner l’avenir !
Je livre à son courant ma vie aventureuse :
Vous aimez, on vous aime, et je vous laisse heureuse.

Ah ! gardez quelque temps un vague souvenir
De celui qui plongeant dans les flots de votre âme
Y vit tant de trésors. – Adieu, je pars, Madame.

Q15  T30

Fontaney n’a pas oublié son Misanthrope et en place un hémistiche au début et à la fin de son sonnet (procédé qu’il emploie dans les autres sonnets de lui ici choisis. Il ne me semble pas qu’il ait eu des imitateurs)