Archives de catégorie : QTTQ

Le chemin est facile et doux, la marche lente, — 1921 (17)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Sonnet renversé

Le chemin est facile et doux, la marche lente,
L’œil va des champs pleins d’ombre au soleil éclatant,
Et rien ne presse encor l’allure nonchalante
Du voyageur timide au regard innocent.

Puis, c’est une colline âpre mais verte encore ;
L’horizon plus voisin s’échauffe et se colore,
On marche plus ardent vers un but souhaité ;

Plus loin, c’est la montagne abrupte ; les broussailles
A nos pieds fatigués font de rudes entailles ;
Le souffle est court, le col tendu, le pas heurté.

Le mont s’abaisse enfin : le long de l’autre pente,
Pesamment, le front lourd et courbé, l’on descend,
Et, las de soutenir sa course chancelante,
Le voyageur dans l’ombre éternelle s’étend.

QTTQ

Le grésil frileux hérisse les mousses — 1920 (16)

Joséphin Soulary sonnets

Intus et in cute*

Le grésil frileux hérisse les mousses
Où je vous cueillais, rêve et muguet blanc.
L’âpre vent du nord, des mêmes secousses,
Bat l’âme oppressée et l’arbre tremblant !

Es-tu l’agonie, angoisse indicible ?
Es-tu le tombeau, nature insensible ?
Es-tu ‘l’oubli morne, horizon de fer ?

– Ne crois pas au sol enchaîné de glace,
Ne crois pas au cœur mort à la surface :
L’éternel printemps couve sous l’hiver.

Dans le fond du sol ses haleines douces
Font germer le chêne au giron du gland :
Dans le fond du cœur son souffle indolent
D’un nouvel amour fait poindre les pousses.

Q9  T15  tara  QTTQ

* « intérieurement et sous la peau. » (citation de Perse, satire III, v.30)

Je te croyais, mon cœur, aux chocs plus résistant ! — 1895 (18)

Alexis Chavanne Murmures

Vains remparts

Je te croyais, mon cœur, aux chocs plus résistant !
D’un triple airain j’avais cuirassé de bonne heure
Ton épiderme trop subtil, que rien n’effleure
Sans y laisser empreint un strigmate irritant.

Voilà qu’en se jouant une flèche furtive
A transpercé soudain bouclier et chair vive !
Que l’œil noir d’une femme est un habile archer !

En tes veines circule une subite ivresse :
Le dard qui l’apporta, tu ne veux l’arracher.
C’est avec volupté que l’angoisse t’oppresse.

Cependant la coquette au regard séduisant,
Dont l’image obstinée en tes veines demeure,
Sur d’autres, comme toi victimes de ce leurre,
Au hasard & d’instinct s’exerce en s’amusant !

QTTQ

Zut, il n’en faut plus, c’est une hypocrite — 1894 (12)

Verlaine Dédicaces (2ème ed.)

A***

Zut, il n’en faut plus, c’est une hypocrite
A rebours ou c’est une folle ou, mieux,
Une sotte en cinq lettres, mais de vieux
Jeu, trop Second Empire, – et qui s’effrite.

Car jeune elle est très loin de l’être encor
Et la date de sa naissance est un trésor
De suppositions contradictoires.
Cela ne ferait rien sans doute au cas présent,

Moi n’étant plus non plus l’adolescent
Epris de sa cousine, lys! Ivoires!
Mais surtout elle est sotte, démérite

Pire à mes yeux que tous maux sous les cieux
Et, tort non moindre en surplus à mes yeux,
Elle a le don qui fait que je m’irrite.

QTTQ mais disposition standard – 10s 

Le soleil tendre couve à travers le brouillard — 1893 (23)

Paul Delair La vie chimérique

Aux langes

Le soleil tendre couve à travers le brouillard
La terre que la neige enveloppe de langes
Et la terre vagit avec des pleurs étranges …
L’hiver est un enfant et non pas un vieillard.

Il a souffle petit, grand besoin, plainte amère,
Mais il joue au soleil comme au sein de sa mère,
Têtant le bonne flamme aussitôt qu’elle a lui.

Ses sens dorment encor, mais les sillons augustes
Sentent prémir le germe et s’agiter en lui
‘âme de l’avenir, & l’espoir, pain des justes.

Oh ! passe t main d’or sous le pâle brouillard,
Soleil !, mère & nourrice, & berce dans ses langes,
Le dieu futur des blés et des saintes vendanges …
L’hiver est un enfant et non pas un vieillard.

QTTQ v14=v4

Là-haut, sur ton rocher, comme un aigle en son aire, — 1880 (27)

Louis Audiat in Le feu follet

Angoulème, sonnet
(devise d’Angoulème : FORTITUDO MEA CIVIUM FIDES)

Là-haut, sur ton rocher, comme un aigle en son aire,
Tu vois passer, passer les hommes et les temps,
Calme, te souvenant de ces longs cris de guerre
Qu’ont jetés à tes murs Visigoths et Normands.

La Charente, ce Nil qui dort plus qu’il ne coule,
En un ruban d’argent par tes près se déroule
Et crée autour de toi le printemps éternel.

Tes fils, actif essaim d’une ruche trop pleine,
Qui sont, sans te quitter, descendus dans la plaine,
Ont l’Or, fruit du commerce, et l’Art, rayon du ciel.

Heureuse la cité qui n’a ni meurtrières,
Ni herse, ni créneaux, ni porte à lourds battants,
Et qui, dans sa fierté, dit de ses habitants :
« Leur fidélité vaut des murailles de pierre ! »

QTTQ

Voici l’Hiver aux mains livides — 1871 (7)

Joséphin Soulary Oeuvres poétiques


Jours froids

Voici l’Hiver aux mains livides
Ses dents sans pain claquent de froid
Sa voix pleure comme un beffroi;
Ce sont des fosses que ses rides.

L’Ennui bat nos fronts assombris;
La brume abaisse le ciel gris;
Adieu les horizons sans bornes!

Comme un essaim d’oiseaux mouillés,
Nos beaux Amours éparpillés
Rentrent au nid, frileux et mornes.

Chaque hiver leur nombre décroit;
Et le cœur trébuche en ses vides,
Comme un promeneur à l’étroit
Dans l’enclos des tombes humides.

QTTQ octo

Oeuvre de Colomban, abri fait pour le deuil, — 1866 (1)

Louis GoujonSonnets. Inspirations de voyage


L’église de Brou

Oeuvre de Colomban, abri fait pour le deuil,
Qu’un désespoir de femme éleva dans la Bresse,
Ton marbre est pénétré d’un rayon de la Grèce,
L’art gothique allemand dort dans ton blanc cercueil.

Marguerite a bâti ton ardente merveille,
Pour donner à l’époux son immuable veille;
C’est le tombeau d’un rêve après les pleurs du jour.

Partout, sur le Carrare ou les murailles grises,
Le culte de la mort a sculpté leurs devises:
Leurs chiffres enlacés éternisent l’amour.

Les regrets personnels ont rempli cette enceinte;
Là, l’Eglise infidèle à son céleste voeu,
Aux tendresses du coeur livra la cité sainte:
C’est la maison d’une âme et non celle de Dieu.

abba ccd eed a’b’a’b’= QTTQ – disp: 4+3+3+4 Les tercets sont mis entre les quatrains : un exemple de permutation des strophes du sonnet

Tout homme digne de ce nom — 1861 (8)

Baudelaire in Revue Européenne

L’avertisseur

Tout homme digne de ce nom
A dans le cœur un serpent jaune,
Installé comme sur un trône,
Qui, s’il dit « Je veux ! » répond « Non ! »

Plonge tes yeux dans les yeux fixes
Des Satyresses ou des Nixes,
La Dent dit : « Pense à ton devoir ! »

Fais des enfants, plante des arbres,
Polis des vers, sculpte des marbres,
La Dent dit « Vivras-tu ce soir ? »

Quoiqu’il ébauche ou qu’il espère,
L’homme ne vit pas un moment
Sans subir l’avertissement
De l’insupportable Vipère.

abba ccd eed a’b’b’a’= QTTQ (tercets enchassés dans les quatrains)  – octo

La vie et son matin me disaient : Espérance ! — 1849 (6)

– Auguste Brizeux in Revue de Lille (1900)

L’arbre du Nord

La vie et son matin me disaient : Espérance !
Une immense journée apparaît devant toi :
Dans ton magique empire arrive, jeune roi ;
L’oiseau chante, la fleur embaume, et c’est en France !

Voici venu midi, morne, silencieux ;
L’oiseau cache, endormi, sa tête sous son aile,
La fleur tombe, épuisée et l’âme fait comme elle.

Ranime ces langueurs, ô matin gracieux !
Que rapide elle a fuit, la journée éternelle !
La nuit tombe, un long crêpe enveloppe les cieux.

Mais une autre, plus belle, à l’horizon commence,
Elle vient, doucement, poindre aux yeux de la foi.
Chantez, oiseaux du ciel ! fleurs d’or, brillez sur moi !
Ah ! voici la journée invariable, immense.

Q1 (abba) T1 (cdd) T2 (cdc) Q2 (abba) – Tercets embrassés dans les quatrains. a.ch : ‘sonnet polaire’.