Archives de catégorie : s.rev

Sonnet renversé

Un chant dans une nuit sans air …. — 1873 (22)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Le crapaud

Un chant dans une nuit sans air ….
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.

… Un chant; comme un écho, tout vif.
Enterré, là, sous le massif…
– Ça se tait: Viens, c’est là, dans l’ombre…

– Un crapaud! – Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle!
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue … – Horreur! –

– Il chante. – Horreur!! – Horreur pourquoi?
Vois-tu pas son oeil de lumière…
Non: il s’en va, froid, sous sa pierre.
……………………………………………….

Bonsoir – ce crapaud-là c’est moi.

Ce soir, 20 juillet.

s.rev: eec ddc b’a’a’b’ baab – octo – 15v – La ligne de points en fait un sonnet renversé de quinze vers.

Je suis élu, je suis damné! — 1872 (39)

Verlaine ed.Pléiade p.215

Le bon disciple

Je suis élu, je suis damné!
Un grand souffle inconnu m’entoure.
O terreur! Parce, Domine!

Quel Ange dur ainsi me bourre
Entre les épaules tandis
Que je m’envole aux Paradis?

Fièvre adorablement maligne,
Non délire, benoît effroi,
Je suis martyr et je suis roi,
Faucon je plane et je meurs cygne!

Toi le jaloux qui m’a fait signe,
(Or) me voici, voici tout moi!
Vers toi je rampe, encore indigne!
– Monte sur mes reins, et trépigne!

s.rev:  ede dcc abba abaa – octo

Mon cœur est une tour perdue — 1871 (6)

Joséphin Soulary Oeuvres poétiques

Le sonneur

Mon cœur est une tour perdue
En vedette sur l’étendue;
Il y pend deux timbres d’airain.

L’un est la cloche d’allégresse,
L’autre est le tocsin de détresse;
Le sonneur les mène bon train!

Toujours en quête d’un nuage;
Toujours le nez au firmament,
De ses cloches; à tout moment;
L’espiègle intervertit l’usage;

Il sonne en mort le mariage,
En baptême l’enterrement.
Se tromperait-il sciemment?
N’est-ce qu’un fou! Serait-ce un sage?

s.rev  – octo

Fardée et peinte comme au temps des bergeries, — 1869 (37)

Verlaine Fêtes galantes

L’Allée

Fardée et peinte comme au temps des bergeries,
Frêle parmi les nœuds énormes de rubans,
Elle passe, sous les ramures assombries,
Dans l’allée où verdit la mousse des vieux bancs,
Avec mille façons et mille afféteries
Qu’on garde d’ordinaire aux perruches chéries.
Sa longue robe à queue est bleue, et l’éventail
Qu’elle froisse en ses doigts fluets aux larges bagues
S’égaie en des sujets érotiques, si vagues
Qu’elle sourit, tout en rêvant, à maint détail.
— Blonde en somme. Le nez mignon avec la bouche
Incarnadine, grasse et divine d’orgueil
Inconscient. — D’ailleurs, plus fine que la mouche

Qui ravive l’éclat un peu niais de l’œil.

s. rev sns

C’est ici la case sacrée — 1864 (8)

Baudelaire in Revue Nouvelle


Bien loin d’ici

C’est ici la case sacrée
Où cette fille très-parée,
Tranquille et toujours préparée,

D’une main éventant ses seins,
Et son coude dans les coussins,
Ecoute pleurer les bassins:

C’est la chambre de Dorothée.
– La brise et l’eau chantent au loin
Leur chanson de sanglots heurtée
Pour bercer cette enfant gâtée.

Du haut en bas, avec grand soin,
Sa peau délicate est frottée
D’huile odorante et de benjoin.
Des fleurs se pâment dans un coin.

s.rev. – eee ddd babb abaa – octo

As-tu vu les grands bois, à la jeune saison ? — 1863 (9)

T.Quinaud in Académie Belles-Lettres La Rochelle


A M.E.G.

As-tu vu les grands bois, à la jeune saison ?
La sève imp&étueuse afflue à larges doses,
Monte au soleil, et sourd en mille bourgeons roses ;

Des nids, des fleurs, des chants, des parfums à foison ;
On éprouve une vague et douce pamoison,
Sous l’effluve qui sort des êtres et des choses.

Bientôt bûche et ramée encombrent la maison ;
L’homme, narguant l’hiver, pieds au feu, portes closes,
Voit l’esprit du printemps, dans ses métamorphoses,
Crépiter à travers la flamme du tison.

Laissons éclore, ami, nos rêves grandioses ;
Plus tard les jets touffus de cette floraison,
Ces débris de jeunesse, à forte exhalaison ,
Dilateront le cœur de deux vieillards moroses.

rev   sur deux rimes

Les rimeurs ont posé le sonnet sur la pointe, — 1855 (11)

Auguste Brîzeux Histoire


IV

Les rimeurs ont posé le sonnet sur la pointe,
Le sonnet qui s’aiguise et finit en tercet:
Au solide quatrain la part faible est maljointe.

Je voudrais commencer par où l’on finissait.
Tercet svelte, élancé, dans ta grâce idéale,
Parais donc le premier, forme pyramidale.

Au-dessous les quatrains, graves, majestueux,
Liés par le ciment de la rime jumelle,
Fièrement assoiront leur base solennelle,
Leur socle de granit, leurs degrés somptueux.

Ainsi le mouvement s’élève harmonieux,
Plus de base effrayante à l’oeil et qui chancelle,
La base est large et sûre et l’aiguille étincelle,
La pyramide aura sa pointe dans les cieux.

s.rev: ede dcc abba abba ‘Sonnet renversé’ de Briseux. Louis Ayma, en 1839, l’a précédé, contrairement à ce que répètent les traités

Lorsqu’en mes jours semés de beaux soleils et d’ombre, — 1839 (7)

Louis Ayma Les préludes


XXXIX – Invocation

« Quelle âme est sans faiblesse et sans accablement » V.Hugo

Lorsqu’en mes jours semés de beaux soleils et d’ombre,
Tu veux intercaler, mon Dieu, quelques jours sombres,
Et me faire expier par des pleurs mes plaisirs.

Quand tu veux sous mes pas entr’ouvrir un abîme,
Des complots des méchants me faire la victime,
De fermer ton oreille à mes pieux soupirs!,

Quand tu veux que je souffre, et que la calomnie
Triomphe quelque jour de ma vertu honnie:
Quand tu veux que je doute, et que sur mon chemin
L’esprit du mal se jette et me tende la main:

Daigne, dans ces moments de secrète agonie,
M’inonder, ô mon Dieu, de torrents d’harmonie;
Fais que la poésie alors sur ses genoux
Me prenne, et sur mon front pose un baiser bien doux.

s.rev. eec ddc bb’a’a’ bbaa – Un sonnet renversé, genre qu’il pratique avant Auguste Briseux.