Archives de catégorie : r.exc.

Ni les roses, ni l’air morose que tu siffles — 1924 (8)

Tristan Derème La verdure dorée

LXV

Ni les roses, ni l’air morose que tu siffles
Sous les ifs, en gardant ces chèvres et ces buffles
Au crépuscule, vieux berger, joueur de flutes,
Sous la lune que frôle un ibis insolite,

Ni le soir calme, ni ces palmes immobiles
Ni les astres montant comme de lentes bulles,
Rien ne me distraira de la source où se mire
Son blanc visage au vert de la fraîche ramure.

Et dussè-je mener par les aubes allègres
Le troupeau jaune et noir des tigres et des zèbres,
Ou cueillir sur les monts la branche souveraine,

Que j’entendrais sa voix douce sur les fanfares
Et que son souvenir embaumerait mon rêve
Comme une rose à mes couronnes triomphales

Assonnances en deux systèmes :  a) (vocalique) Q14 (i-u)  T14 (è-ê-a)  b) (consonnantique, incertain dans les tercets ) Q55 (fl-t  l-r)   ?

Les forteresses des Karpathes — 1924 (3)

Georges LimbourSoleils bas

Faux château

Les forteresses des Karpathes
étaient de grands châteaux de pâte.
les princesses y étaient de spectres oppressées
mais qui étaient là-haut la ronde de nos pensées.

A cause d’un Seigneur aux épais favoris
nous rêvions la beauté fragile et sans patrie
et cette voix bourrue d’un bourreau podestat
fit cette mélodie qui tout bas nous hanta.

mais les Karpathes étaient courbes comme faucille
et dans la nuit leur ombre lentement s’avançait
pour faucher dans la plaine barrée de longs fossés

nos cœurs qui avaient osé
contempler presque à leur hauteur ses forts branlants
par le regard oblique de leurs maints cerfs-volants

Q57 – xccc  dd – m. irr

L’habitude — 1920 (7)

Aragon Feu de joie
(sonnet caché dans Lever, (Feu de joie))


L’habitude
Le pli pris
L’habit gris
Servitude
Une fois par hasard
Regarde le soleil en face
Fais crouler les murs les devoirs
Que sais-tu si j’envie être libre et sans place
Simple reflet peint sur le verre

Donc j’écris
A l’étude
Faux Latude
Et souris

Que les châles
les yeux morts
les fards pâles

et les corps
n’appartiennent
qu’aux riches
Le tapis déchiré par endroits.

r.exc. – m.irr

Lorsque je serai mort depuis plusieurs années, — 1908 (4)

Valéry LarbaudLes poésies de A.O. Barnabooth

Vœux du poète

Lorsque je serai mort depuis plusieurs années,
Et que dans le brouillard les cabs se heurteront,
Comme aujourd’hui (les choses n’étant pas changées)
Puissè-je être une main fraîche sur quelque front!
Sur le front de quelqu’un qui chantonne en voiture
Au long de Brompton Road, Marylebone ou Holborn,
Et regarde en songeant à la littérature
Les hauts monuments noirs dans l’air épais et jaune.
Oui, puissè-je être la pensée obscure et douce
Qu’on porte avec secret dans le bruit des cités,
Le repos d’un instant dans le vent qui nous pousse,
Enfants perdus parmi la foire aux vanités;
Et qu’on mette à mes débuts dans l’éternité,

L’ornement simple, à la Toussaint, d’un peu de mousse.
ababcdcdefeffe – sns  – disposition d’un seul bloc, ‘à l’anglaise’.

Je ne sais pas ce que je dis, — 1900 (11)

Camille Mauclair Le sang parle

Epilogue, I

Je ne sais pas ce que je dis,
Car c’est un autre qui le dit:
Moi, vous me connaissez, mais lui seul vous connaît
Et vous mourez lorsqu’il renaît.

Je ne sais pas, mais il sait tout,
Puisqu’il est Dieu, j’ai l’air d’un fou
N’écoutez pas, puisqu’il entend,
Méprisez-moi, il me pardonne.

Tout ce que j’ai, je vous le donne,
C’est lui qui me l’avait donné:
Voici mes fleurs qui sont des fleurs,

Voici mes pleurs qui sont ses larmes,
Voici mon cœur qui vient de lui,
Prenez-moi pour l’amour de Lui.

aabb ccxd dyz uee – octo sauf vers 3

Le soleil a chauffé notre toit tout le jour — 1898 (11)

Jean Amade


Notre toit

Le soleil a chauffé notre toit tout le jour
faisant luire comme une rose chaque tuile,
tandis que pour bercer leur rêve et leur amour
dans les frênes chantaient les cigales divines ;

autour de lui ont bourdonné toutes les guêpes
cherchant à prendre quelque chose de sa vie ;
et maintenant, Myrta, il tombe sur la terre
du silence, de la fraîcheur et de la nuit.

Rentrons : nous serons mieux sur le lit séculaire
l’un près de l’autre dans la chambre aux rideaux clairs ;
l’abri est sûr, reposons-nous en confiance …

Demain quand sourira l’aurore, notre toit
élèvera dans l’air comme une fumée blanche
sa petite prière et sa petite joie.

Q59  T14  r.exc.

L’impertinent petit vieillard, — 1898 (9)

Franc-Nohain Les flûtes

Sonnet de l’inutile impertinence

L’impertinent petit vieillard,
Ayant tiré de sa poche une énorme
Tabatière en corne,
Me dit d’un air goguenard:

‘Voilà du bon tabac, cher Monsieur, je m’en flatte,
Mais pour vous c’est comme des dattes;
Vous pouvez admirer comme on l’a bien râpé,
Mais d’en prendre un seul grain il vous faut vous taper. »

– Monsieur, dis-je au vieillard, vous ignorez sans doute
Que je chique, et ne prise pas;
Gardez-le donc, votre sale tabac:
Qu’est-ce que vous voulez que j’en foute?

12v – métrique irrégulière