Archives de catégorie : shmall

Since I left you mes yeux sont de mémoire. — 1970 (2)

Marcel Thiry Attouchements des sonnets de Shakespeare


CXIII – ‘Since I left you mine eye is in my mind’

Since I left you mes yeux sont de mémoire.
Vous me voilez la montagne ou la mer.
Laissez mes yeux attoucher cette moire
De nos instant dont j’abolis la mort.

A vous les yeux de ma secrète vue
Qui semblent voir le monde et n’ont que vous
Pour ciel, montange, et la mer, et la vie,
Et n’ont plus vu que vous since I left you.

Laissez que ma mémoire vous compose
Comme au matin l’arbre sort de la nuit;
Pendant qu’avec des vers aux doigts de rose,

Frère des yeux pour défaire la nuit,
Un lent Sonnet que le Temps vous dévoue
Change l’absence en essence de vous.

abab cdcd efef gg=shmall – disposition de rimes des sonnets de Shakespeare   déca – tr

La beauté nous suggère un désir de surcroît. — 1967 (1)

Igor Astrow, trad. – Cent sonnets de Shakespeare


1

La beauté nous suggère un désir de surcroît.
Rose, on ne la vit pas fanée et transitoire.
Et, comme avec le temps mûrie, elle déçoit,
Par un tendre héritier se transmet sa mémoire.

Or, toi plein de toi-même et de ton propre éclat,
De ta substance exquise alimentant ta flamme,
Tu fais famine, alors que l’abondance est là
Et toi-même es le pire ennemi de ton âme.

Tu parais aujourd’hui le plus frais ornement
Du Monde et seul héraut des printanières fêtes.
Mais en te cantonnant en ton contentement,
Tu prépares ainsi ton ultime défaite.

Prends donc pitié du monde et ne le prive pas
De beauté sans pareille, à l’heure du trépas.

shmall – sh1

Le monstre dans lequel j’ai glissé: minotaure — 1962 (2)

Pierre-Jean JouveMoires

Sur le théâtre

Le monstre dans lequel j’ai glissé: minotaure
De la querelle morne et des bas longs et noirs
Brandis par la danseuse obscène vers le centre
Labyrinthe ou trésor ou meurtre ou nonchaloir;

Monstre confus formé des étreintes bestiales
Enfermé au dédale des cœurs journaliers
Partout tuant baisant comme des saturnales
Le spectacle banal aux riches chandeliers;

Le monstre dont riront dans les fauteuils stupides
Ces messieurs-dames qui ne veulent rien savoir
Des cris des coups des mondes souterrains avides,

Mais s’esclaffent car il s’agit de désespoir;
Tel est ce labyrinthe où des buissons vivants
Ont écorché l’esprit en ruisselets de sang.

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A chaque doigt sourd la goutte — 1959 (8)

Paul Valéry Douze poèmes inédits (ed. Octave Nadal)

A chaque doigt

A chaque doigt sourd la goutte
Et tu trempes tes mains pour
Mieux feindre sur qui t’écoute
L’onde d’un premier amour

Né limpide flamme ou bulle
D’azur qu’on croit étranger
A tous les sus et sans nulle
Epaule à boire ou manger

Sans se pencher ton visage
Ou l’autre qu’on dirait tel
Vers ses sœurs du paysage
Que le vacarme immortel

Peur de la chèvre camuse
Inonde de cornemuse.

shmall 7s

J’ai vécu dans ces temps et depuis mille années — 1944 (13)

Robert Desnos Contrée

L’épitaphe

J’ai vécu dans ces temps et depuis mille années
Je suis mort. je vivais, non déchu mais traqué.
Toute noblesse humaine étant emprisonnée
J’étais libre parmi les esclaves masqués.

J’ai vécu dans ces temps et pourtant j’étais libre.
Je regardais le fleuve et la terre et le ciel
Tourner autour de moi, garder leur équilibre
Et les saisons fournir leurs oiseaux et leur miel.

Vous qui vivez qu’avez-vous fait de ces fortunes?
Regrettez-vous les temps où je me débattais?
Avez-vous cultivé pour des moissons communes?

Avez-vous enrichi la ville où j’habitais?
Vivants, ne craignez rien de moi, car je suis mort.
Rien ne survit de mon esprit ni de mon corps.

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Le soleil bas, à flots bouleversés, déferle; — 1919 (3)

Jules SuperviellePoèmes

Coucher de soleil basque

Le soleil bas, à flots bouleversés, déferle;
Et le ciel épuisé par sa pourpre et ses fleurs
Passe insensiblement du rubis à la perle;
Un grave repentir pénètre les couleurs.

L’azur devient lilas et l’écarlate rose;
Et les meules de foin qui gaspillaient leur sort
Semblent se recueillir. Le chemin se repose
D’avoir été si blanc comme d’un grand effort.

Un fleuve de blé mûr coule entre les collines,
Il n’est plus, maintenant, mille fois hérissé,
Et roule du velours en transparence fines.
Son éclat en pâleurs légères a passé.

C’est l’heure où, chaque jour, dans une étreinte pure,
La Montagne et le Ciel mêlent leurs chevelures.

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Toi qui tends à l’Amour les trésors de ta robe — 1917 (3)

Jean Royère Par la lumière peints


Soeur de la rose, ô mer

Toi qui tends à l’Amour les trésors de ta robe
D’un geste qui dédie aux astres les tombeaux,
Fane sur eux encor les pétales de l’aube,
Afin que les couchants de la rose soient beaux.

Soeur de la rose, ô mer, et tes rythmiques flots
Qui pâment sous l’aurore en la chair descendue,
Tu feindras la fureur humaine des sanglots
Pour figurer l’amour à qui la mort est due.

Mais ton écume, azur moutonnant à sa suite,
Fera s’émerveiller la ligne du baiser
Si la vague du soir se précise et m’invite,
Presque une soeur vivante, à te paraphraser,

Toi qui nous fait un ciel des clartés de l’espace,
Amour, ô mort blottie en une chair qui passe.

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Je m’isolais pour vivre en mon âpre Désir, — 1900 (3)

Hady-Lem (E. Bouve?) – Ophir – sonnets –

Je m’isolais pour vivre en mon âpre Désir,
L’Esprit d’un paradis, devenu lors mon culte;
Je m’isolais; jamais je n’ai pu le saisir
Ce souffle des Esprits de l’Imprécis occulte.

Tout en moi, devenait agent excitateur;
Tout dansant sous mes yeux me chantait leur caresse:
Musique, danse, chant, geste, parfum, couleur,
Corps à corps délicieux sur des lits de paresse.

…Et toujours je vivais les choses par les soirs;
Soupirant les chansons qu’ont les vents de l’Automne,
Je défeuillais mon âme en des larmes d’Espoir:
Mon Désir assouvi, lors, lui, plus ne chantonne.

Il semble un exhumé devenu revenant
Sans force, sans esprit; un exhumé mourant.

shmall 2-3 Les deux sonnets ont la disposition de rimes shakespearienne; le premier a la répartition standard des strophes, le second le découpage barbiero-mallarméen.

Au seul souci de voyager — 1899 (48)

Mallarmé Poésies

additions de l’éd. Deman

Au seul souci de voyager
Outre une Inde splendide et trouble
— Ce salut soit le messager
Du temps, cap que ta poupe double

Comme sur quelque vergue bas
Plongeante avec la caravelle
Ecumait toujours en ébats
Un oiseau d’annonce nouvelle

Qui criait monotonement
Sans que la barre ne varie
Un inutile gisement
Nuit, désespoir et pierrerie

Par son chant reflété jusqu’au
Sourire du pâle Vasco.

shmall – octo

Indomptablement a dû — 1899 (31)

Mallarmé Poésies

II

Indomptablement a dû
Comme mon espoir s’y lance
Eclater là-haut perdu
Avec furie et silence,

Voix étrangère au bosquet
Ou par un écho suivie,
L’oiseau qu’on n’ouït jamais
Une autre fois en la vie.

Le hagard musicien,
Cela dans le doute expire
Si de mon sein pas du sien
A jailli de sanglot pire

Déchiré va-t-il entier
Rester sur quelque sentier!

shmall – 7s