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Incise 1835

Dans ses Grotesques, publiés cette année-là dans La France Littéraire, Théophile Gautier, qui est en train de devenir, pour les jeunes poètes de l’époque, l’autorité en matière de sonnet, fait référence au traité de Colletet qui, dit-il, « donne les règles et en quelque sorte la syntaxe … que devraient lire et méditer avec soin beaucoup de jeunes gens de maintenant qui se mêlent d’en faire et ne se doutent pas le moindrement du monde de ce que c’est ».

« Colletet était un grand admirateur du sonnet et il en parle avec amour ». Il cite le sonnet que cet auteur a écrit en l’honneur de Ronsard (peut-être en guise de complément ou de correction à l’attitude condescendante de Sainte-Beuve)

incise 1834

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A de Beauchesne – Toute préface se résume ainsi : « Sonnet … c’est un sonnet » Il m’en coûte de redire cet hémistiche au lecteur, toujours prêt à répondre : « Monsieur, nous verrons bien ».

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incise 1832

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En 1832 comme en 1831 les sonnets sont encore fort rares; on les trouve principalement dans des revues. Un petit traité de versification, paru cette année-là, exprime assez bien ce qui est encore le sentiment général à propos du sonnet: J.M.M. Saugeon Théorie analytique de la versification française:  » Comme personne ne s’avise plus de faire ni sonnets* ni rondeau, on me dispensera d’en parler. Dans aucun des traités de versification qui suivent les grammaires ou précèdent les dictionnaires, on n’a oublié le sonnet. Ce poëme, composé de deux stances de quatre vers, et de deux autres stances de trois, ne pouvant être harmonieux, c’était un tour de force très fatigant pour l’auteur & pour le lecteur.  »

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Incise 1830 (1)

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Année décisive dans l’histoire du sonnet. Certes Nestor de Lamarque (1) donne encore une traduction de l’italien (de Vicenzo Monti). Et Viollet-Leduc, « auteur de plusieurs ouvrages », dans son Précis d’un traité de Poétique et de Versification, … ne se montre guère élogieux.  » Du sonnet – Le sonnet a été considéré long-temps comme le poème par excellence et le plus difficile à exécuter. Boileau paraît être encore de cet avis. On a bien appelé de ce jugement . … par les préceptes de Boileau, on voit que le sonnet est composé de quatorze vers d’une même mesure. Les premiers vers sont partagés en deux quatrains; ils roulent sur deux rimes, qu’il faut y placer dans le même ordre. Les six derniers vers, qui doivent rimer différemment des premiers, sont partagés en deux tercets, dont les deux premiers vers sont du même genre. Les quatre autres vers qui terminent la pièce, forment un quatrain dont les rimes doivent se trouver dans un ordre différent de celui qu’elle ont dans les deux quatrains. Il est de rigueur qu’après chacun des quatrains qui commencent la pièce et le premier tercet, il doit y avoir un repos, et que le sens doit être complet. … on s’était plu à accumuler tellement les entraves pour la composition de cette pièce bizarre, que le sonnet sans défaut dont parle Boileau est encore à trouver, et qu’on a renoncé avec raison à chercher ce phénix.  »
Mais en offrant à Victor Hugo, à l’occasion de son mariage, l’exemplaire des oeuvres de Ronsard sur lequel il avait travaillé, Sainte-Beuve attirait l’attention de l’avant-garde sur le sonnet. Outre le 4, de Sainte-Beuve lui-même, il contenait celui d’Ernest Fouinet, celébrant le mariage de son ami Victor (2), et le 3, que Fontaney avait adressé à Victor Hugo, le 19 août 1829, au moment où le poète venait de refuser l’indemnité que lui offrait le ministère, en compensation du refus de laisser jouer Marion Delorme. (Les Annales Romantiques le publièrent l’année suivante). (Fouinet est l’introducteur du Pantoum dans la poésie française)
Et ce fut, enfin, la sortie de l’opuscule Sainte-beuvien, Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, où se trouvent douze sonnets. Outre le 4 déjà mentionné, on y lit un sonnet sur le sonnet, (5), où Sainte-Beuve adapte Wordsworth au contexte français en mentionnant Du Bellay à côté de Ronsard. Des sonnets d’inspiration personnelle du livre, le 6 est caractéristique: plutôt bêlant (le ton bêlant, s’il est naturel pour l’expression des sentiments chez le mouton, n’est pas nécessairement à recommander pour la poésie humaine).
Sainte-Beuve ne connaissait que très superficiellement la poésie de Wordsworth, et la poésie anglaise en général (où le renouveau de la forme-sonnet datait déjà de presque trois-quarts de siècle (la ‘Sonnet-Revival’ de 1758)). Ce n’est en tout cas pas la forme du sonnet anglais qu’il emprunte. (On a proposé d’autres modèles: Pouchkine, par exemple!). Les n°s 4 à 6, comme 11 des douze sonnets du recueil de 1829, sont du type dominant chez Ronsard quatrains abba  abba, tercets ccd  eed).
Les Romantiques, à l’exception de Sainte-Beuve, n’ont composé qu’un petit nombre de sonnets. Il est difficile de savoir si c’est par fausse modestie, par une sorte de dénégation perverse, que Sainte-Beuve écrivait, en 1862 (cinq ans après la première édition des Fleurs du Mal), alors qu’on lui faisait gloire d’avoir réintroduit le sonnet dans la poésie française (éloge qu’il accepte, avec quelque mauvaise foi): « jamais les grands poètes de ce temps-ci n’ont fait de sonnets: ceux de Musset sont irréguliers, Lamartine et Hugo n’en ont fait d’aucune sorte, Vigny non plus. Les cygnes et les aigles, à vouloir entrer dans cette cage y auraient cassé leurs ailes. C’était affaire à nous autres, oiseaux de moins haut vol et de moins large envergure. Certes, et je ne l’ai pas oublié, tous les grands poètes de la Renaissance ont fait des sonnets: qui ne connait ceux de Dante, de Shakespeare, de Milton? C’était alors un genre à la mode, et chacun lui payait tribut en passant, une fois au moins dans sa vie. De nos jours le sonnet a été un genre restauré, légèrement artificiel, une gageure ou une gentillesse. Ceux de nos maîtres qui n’y étaient point intéressés par curiosité ou par goût s’en sont passé et n’ont que faire de cette prison. Je me flatte d’être le premier chez nous, qui ait renouvelé l’exemple du sonnet en 1828; mais je n’en ai jamais fait que de temps à autre, par-ci par-là, et en entremêlant cette forme aux autres rythmes plus modernes » (Il y en a quand même 93 dans ses oeuvres complètes). (On remarque qu’il ne mentionne pas Ronsard).
Profitons de l’occasion pour examiner le cas des Romantiques qui viennent d’être cités. Lamartine a dédaigné le sonnet, c’est  vrai, mais en traduit un, de Pétrarque, dans son cours de litrtérature. Vigny en a quelques uns, 6 en tout, marginaux dans son oeuvre. Musset en a produit 29, que Sainte-Beuve traite dédaigneusement ‘d’irréguliers’, ce qui suppose qu’il sait ce qu’est un sonnet régulier.
Le cas de Hugo est intéressant. On en trouve 5 dans son oeuvre poétique, plutôt vaste, 1 dans le ‘Théâtre en liberté » Ils sont tous postérieurs à 1862. L’un, daté de juillet 1870, a paru dans Les quatre vents de l’esprit ; les quatre  autres dans Toute la lyre (le premier dédié à Judith Gautier). (L’idée de sonnet est si peu associée à Hugo que des rares auteurs qui ont parlé de la question, certains affirment qu’il n’en a jamais écrit, d’autres lui en attribuent un seul; même Rachel Killick (qui a fait la seule étude sérieuse de la forme du sonnet au dix-neuvième siècle) se trompe, qui ne lui en accorde que quatre!). On les trouvera tous plus loin dans cet ouvrage.

L’année 1829 s’achève par un sonnet de Musset (7), qui n’a pas perdu de temps pour s’y mettre et l’insérer dans ses Contes d’Espagne et d’Italie.

incise: 1828 (1)

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Les cinq sonnets de cette année 1828 offrent une variété significative des changements qui se préparent. Pierquin de Gembloux (5) comme, plusieurs de ces prédécesseurs, traduit; ou plutôt adapte, fort librement, Camoëns. Casimir Delavigne (1) place l’unique sonnet de sa production (?) dans une pièce de théâtre, distribuant les vers (de longueur inégale) entre deux personnages, et l’interrompant d’une réplique en prose. Charles Nodier (4) n’emploie que deux rimes dans le sien. On le lui a reproché souvent. Par exemple, en 1870, Paul Gaudin:  » l’effet du rythme (du sonnet – JR) est d’autant plus vif que le contraste est plus complet entre la monotonie des stances initiales et les variété des sons aux six derniers vers. D’après quelque ordre régulier, quelque dessin qu’en ces six vers les rimes se succèdent, si l’oreille n’y entend que deux sons, comme elle n’a entendu que deux sons dans les quatrains, soyez sûr que le charme diminue de moitié ». Le sonnet de Nodier avait été écrit dans l’album du romantique Emile Deschamps (2) Etudes françaises et étrangères Le frère de celui-ci Antoni, en y plaça un autre (3). (ach)  ce sonnet, le plus célèbre d’Antoni Deschamps a été écrit dans la clinique du Dr Esprit Blanche. Il symbolise sa réaction à sa maladie mentale dans le langage de l’époque, tout comme les Chimères .
On voit qu’à ce moment déjà, le cercle des Romantiques commence à s’intéresser au sonnet, alors que Sainte-Beuve n’est pas entré encore dans la danse (en tout cas publiquement). Incité par l’Académie à se plonger dans la poésie du 16ème, Sainte-Beuve avait publié, en 1827 et en plusieurs livraisons de la revue Le Globe, le résultat de ses réflexions sur le sujet. Il en fait, en 1828, un livre, Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au 16ème siècle, qu’il accompagne d’un volume d’Oeuvres choisies de Ronsard. Son jugement, à l’époque, est dans l’ensemble défavorable. Et, comme le remarque fort justement Rachel Killick, ‘les quelques références directes au sonnet semblent particulièrement peu propices à attirer l’attention d’un poète des années 1820’. Il écrit par exemple (à sa manière péremptoire et bavarde): ‘Il faut l’avouer à notre honte, sauf un certain nombre de jolies pièces qui frappent au premier coup d’oeil, toutes ces centaines d’odes et de sonnets nous semblent d’un caractère assez uniforme, et si l’on n’y revenait à diverses reprises, si surtout l’on n’était soutenu ou redressé par les témoignages qu’ont laissés les contemporains, on aurait peine à départir à chaque auteur avec quelque précision et quelque justesse les traits qui les distinguent entre tous. L’invention, en effet, sur laquelle il est toujours aisé de se prononcer, même à travers la distance du temps et la différence des langues, n’a presque rien d’original chez Ronsard et ses amis; ce n’est d’ordinaire qu’une copie plus ou moins vive ou pâle des Grecs, des latins, des Italiens ». Tous les sonnets, en somme, sont indistinguables, comme les anglaises sont rousses et les chinois de la Chine contemporaine des fourmis vêtues de bleu. Le sonnet ne lui paraît pas supérieur aux formes poétiques héritées du Moyen âge et méprisées superbement par Du Bellay dans un passage fameux de sa Deffense et Illustration de la Langue françoise(1548). « Du Bellay se fâche hors de propos contre les rondeaux et ballades, dont la vogue était déjà passée; … ces innocents poèmes, quoiqu’un peu vieillis, méritaient de sa part moins de mauvaise humeur; ils ne corrompaient aucunement la langue, et, en fait d’épiceries, le sonnet à l’italienne et les épigrammes à la Martial pouvaient compter pour bien davantage. « . On est donc légèrement surpris de le voir, presque au même moment, se mettre à composer des sonnets (on connait mal les dates de ces compositions, mais l’un au moins, le fameux sonnet à Ronsard (1829,4), date probablement d’avant mars 1828).

incise 1826 (1)

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Cette année-là, l’Académie prend une initiative fatale: elle offre un prix pour la composition d’un ‘Discours sur l’histoire de la langue et de la littérature françaises depuis le commencement du seizième siècle jusqu’en 1610″. Sainte-Beuve se met au travail.

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Incise 1815 (1)

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Philippe de la Madeleine – Dictionnaire portatif des rimes … : Le sonnet – Quatorze vers le composent. Ils se divisent en deux quatrains et deux tercets, et les deux quatrains doivent être sur les deux même rimes masculine et féminine, placées d’abord dans l’un et dans l’autre au gré du poète, mais croisées et rangées ensuite de la même manière dans le premier et dans le second.
On a fait des sonnets en vers de dix syllabes, on en a fait en vers de huit, de sept ; on a fait des demi-sonnets, composés d’un quatrain et d’un tercet ; il y en a eu de vingt-huit vers ; on les nommait sonnets doubles. Ce sont là des  licences ; on les a quelquefois multipliées au point de donner aux deux quatrains des rimes différentes. La plaisanterie et les circonstances peuvent justifier cet abus des règles ; je n’ai dû rappeler que celles-ci, sans en étendre l’application aux sonnets irréguliers.

Un des nombreux exemples de définition dans les nombreux dictionnaire et traités de versification qui dans la première moitié du siècle, se bornent à reprendre, d’une manière plus ou moins confuse, ce qui traîne dans les ouvrages de ce type du siècle précédent. Mais ils ne sont pas toujours d’accord entre eux.

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Incise 1806 (1)

M.Restaut : Principes généraux et raisonnés de la grammaire françoise –(première éd. 1748) Du Sonnet – Nous n’avons rien de plus beau dans notre poésie que le Sonnet, quand il est bien exécuté. les pensées doivent y être nobles et relevées, les expressions vives et harmonieuses ; et l’on n’y souffre rien qui n’ait un rapport essentiel à ce qui en fait le sujet. Mais il est assujetti à des regles si gênantes, qu’il est très-difficile d’y réussir, et que nous en avons fort peu de bons.
Il est composé de quatorze vers, toujours de la même longueur, et pour l’ordinaire de douze syllabes, quoiqu’on en fasse quelquefois de dix, et même de huit et de sept. Mais ils ont moins de beauté et d’harmonie.
Ces quatorze vers sont partagés en deux quatrains et un sizain.
Les deux quatrains doivent avoir les rimes masculines et féminines semblables, que l’on entremêle dans l’un de la même manière que dans l’autre.
Le sizain commence par deux rimes semblables, et il y a après le troisième vers un repos qui le coupe en deux parties que l’on appelle Tercets, c’est à dire, stances de trois vers.
Il faut éviter autant qu’il est possible, que le mêlange des rimes dans les quatre derniers vers du sizain, soit le même que dans les quatrains. …..
Voici un sonnet qui exprime la nature du sonnet même

Doris qui sait qu’aux vers quelquefois je me plais,
Me demande un sonnet, et je m’en désespère.
Quatorze vers, grand Dieu ! le moyen de les faire ?
En voilà cependant déjà quatre de faits.

Je ne pouvois d’abord trouver de rimes, mais
En faisant on apprend à se tirer d’affaire.
Poursuivons, les quatrains ne m’étonneront guere,
Si du premier tercet je peux faire les frais.

Je commence au hasard, et si je ne m’abuse,
Je n’ai pas commencé sans l’aveu de ma muse,
Puisqu’en si peu de temps je m’en tire si net.

J’entame le second, et ma joie est extrême :
Car des vers commandés j’achève le treizième.
Comptez s’ils sont quatorze ; et voilà le sonnet.

Regnier Desmarais (1708) ; ‘imité  de Lope deVegue’

Incise 1805 (1)

de Lunier : Dictionnaire des sciences et des arts. article SONNET – Le sonnet est un poëme de quatorze vers, divisés en deux quatrains qui marchent sur deux rimes, et en deux tercets. Les deux rimes, l’une masculine et l’autre féminine, qui remplissent des deux quatrains, doivent garder, dans le second quatrain, le même ordre que dans le premier.
On demande que l’arrangement des rimes dans le sixain, ne soit pas, s’il est possible, le même que dans les quatrains (on voit mal comment il pourrait l’être ! J.R). Il ne faut pas que dans tout le sonnet un même mot soit répété.
Tous les vers d’un sonnet doivent avoir la même étendue ; les pensées y doivent être nobles, les expressions vives, et l’on n’y souffre rien qui n’ait un rapport essentiel à ce qui en fait le sujet.
Le sonnet doit finir par une pensée ingénieuse, et il faut que la chute soit belle et heureuse.

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A partir de 1650 environ (début d’une longue décadence de la forme-sonnet), les traités de versification et les dictionnaires ont répété sans fin des définitions prescriptives ; tenté, en opposant les sonnets dits ‘réguliers’ aux sonnets ‘irréguliers’ ou ‘libertins’ d’imposer une norme à la forme. Cette manie s’est poursuivie jusqu’à nos jours. L’examen de ce qui s’est écrit et publié montre l’échec patent de cette tentative, même si les ‘règles’, adoptées par des poètes disposant d’un crédit certain, comme Gautier ou Banville, ont eu une influence indéniable sur la pratique poétique.