Archives de catégorie : 14s

vers de 14 syllabes

sans cesse je rêvais d’avoir des rapports sexuels — 1993 (11)

William CliffAutobiographie

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sans cesse je rêvais d’avoir des rapports sexuels
avec des mineurs d’âge nus en été sur des plages
ou bien dans ces forêts remplies de poisons naturels
dont en moi je garde toujours la nostalgique image

et plus je me sentais coupable d’avoir ces pensées
et plus ces pensées m’attiraient et plus je me croyais
le seul à les avoir ainsi j’eus l’idée insensée
d’être un monstre tel que que le monde n’en a jamais fait

au lieu d’étudier je traçais des dessins me montrant
un beau garçon en caleçon à l’avant d’une barque
et qui regarde vers le large et sans qu’il le remarque

fait voir dans son intimité les charmes obsédants
et aujourd’hui malgré tant de corps que j’ai pu étreindre
je rêve encor du corps dont j’ai jadis tracé l’empreinte

Q59 – T30 – 14s

un jour j’eus la révélation de la littérature — 1993 (10)

William CliffAutobiographie

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un jour j’eus la révélation de la littérature
dans le récit que fait Chateaubriand de son enfance
de la terreur qu’il eut devant son père et de sa dure
condition d’enfant à Combourg dont la sinistre ambiance

le soir avec ce père qui n’arrêtait pas de faire
armé d’un bonnet dressé sur sa tête les cent pas
me rappelait celle qui aussi me terrorisa
dans mon enfance avec un père aussi autoritaire

j’appris par ce récit n’être plus tout seul à souffrir
ce fut comme un voile levé sur mon âme sauvage
écrire alors devint pour moi le geste qui relie

tous ceux qui ont senti au fond d’eux-mêmes ces messages
graves que le monde méprise et tourne en dérision
mais dont par la littérature on a la révélation

Q60 – T23 – 14s

il y avait au réfectoire de hautes fenêtres — 1993 (9)

William CliffAutobiographie

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il y avait au réfectoire de hautes fenêtres
d’où l’on voyait de grands sapins s’élever dans le ciel
et le matin quand la lumière gagnait l’atmosphère
ce ciel et ces sapins prenaient des couleurs surréelles

et en hiver quand la neige habillait ces conifères
de brillante blancheur alors la vue était encor
plus surprenante à cause des mauves que la lumière
frappant la neige des sapins nous envoyait alors

nous regardions ces choses solennelles comme si
elles n’étaient qu’un avant-goût des choses que la vie
plus tard nous ferait découvrir sans penser que plus tard

rien d’aussi beau jamais ne viendrait à notre regard
parce que la beauté ne vient pas de la chose même
mais de l’étonnement de l’oeil qui se pose sur elle

Q59 – T13 – 14s

l’hiver nous eûmes froid et les hivers étaient très longs — 1993 (8)

William CliffAutobiographie

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l’hiver nous eûmes froid et les hivers étaient très longs
je me souviens d’un hiver où la Meuse fut gelée
on pouvait la passer avec des chariots et même on
fit un feu au milieu pour rire de sa destinée

et nos bâtiments mal chauffés nous donnaient des frissons
nous aimions rentrer dans nos lits à la fin des journées
nous y mettre en chiens de fusils et trembler avant qu’on
sente enfin le lit rechauffer nos chairs frigorifiées

alors tels des noyés nous entrions au fleuve-sommeil
longtemps la nuit si longue et noire de l’hiver ce fleuve
nous traînait dans son lit pour nous soumettre à des épreuves

dont nous perdions tout souvenir au moment du réveil
quand le matin nous poussait en ouvrant ses glauques voiles
vers un évier dont l’eau glacée nous mordait jusqu’aux moelles

Q8 – T30 – 14s

nous avions entre frères ce qu’on nomme des ‘rapports’ — 1993 (7)

William CliffAutobiographie

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nous avions entre frères ce qu’on nomme des ‘rapports’
il s’agissait pour nous de faire pièce à l’oeil sévère
qui voulait nous nier d’avoir aucun plaisir du corps
duquel les pères veulent être seuls dépositaires

et c’est déjà le désir de tuer leurs géniteurs
qui pousse les enfants à perpétrer entre eux ces choses
mais ce faisant ils ont en eux une sombre rumeur
qui leur dit qu’ils font mal et que la vie est autre chose

images de grands chevaliers aux corps couverts de fer
renversés sur le sol glacé des forêts médiévales
flèches de bois entrées à l’intérieur des vives chairs

et qu’on arrache avec du sang bien que ça fasse mal
beaux chevaliers dont le fer crie et reluit au soleil
vous dormiez dans nos lits la face tournée vers le ciel

Q59 – T23 – 14s

enfant je restais longtemps à jeter de longs regards — 1993 (2)

William CliffAutobiographie

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enfant je restais longtemps à jeter de longs regards
à travers la fenêtre de notre ennuyeuse école
et recevais pour prix de m’être encore mis en retard
des coups des punitions  » il n’est pas de mauvaise vol-

onté  » disaient devant la grande colère de mon père
mes maîtres mais ni coups ni punitions ne pouvaient m’em-
pêcher de rester le regard tourné vers les fenêtres
austère de notre ennuyeuse école en ce moment

alors que la vie décline et s’en va je continue
à jeter des regards traînards à travers les fenêtres
sans craindre coups ou punitions car mon père et mes maîtres

ne sont plus là pour m’en donner et aux nues inconnues
je donne en liberté mon âme assoiffée du sommeil
brumeux qu’elle aime voir errer dans les fumées du ciel

Q59 – T30 – 14s

Des pas coulés dans le bitume ont un éclat de cuivre: — 1990 (3)

Jacques RédaSonnets dublinois

Ulysses

Des pas coulés dans le bitume ont un éclat de cuivre:
Ce sont les traces du héros de ce fameux roman
Qui circule à travers Dublin, l’agite et le délivre
De son destin provincial – étrange monument

Où tous les récits ont trouvé leur aboutissement
Convulsif dans une Odyssée ironiquement  ivre.
Quand on accompagne ces pas, il arrive un moment
Où l’on se demande où l’on va: dans la ville, ou le livre?

Mais bientôt on s’y perd. Un circuit déjà personnel
Se dessine qui vous ramène aux abords d’O’Connell
Bridge où devant la Poste à l’imposante colonnade.

On y discerne des éclats de balle ou de grenade,
Et c’est l’histoire vraie alors, et ses héros de sang,
Qui mêlée à l’imaginaire absorbe le passant.

Q11 – T13 – 14s

Nous somme arrivés sur le treizième parallèle. — 1983 (1)

William Cliff America


Talavera. 7.

Nous somme arrivés sur le treizième parallèle.
J’ai déja vu sur l’eau deux ou trois poissons volants
L’Anglais chargé des chambres froides est venu tout courant
Dans le château pour qu’on lui prête un moment les jumelles

Il prétend avoir vu bouger au loin une baleine
On se met à scruter tous les cantons de l’océan
Mais on ne voit bouger au loin que des clapotements
Le cétacé n’a visité l’Anglais que dans son rêve

Ainsi à force de ne voir à longueur de semaines
Que rien et toujours rien faire le vide autour de nous
On se met à jeter sur le désert des rêves fous

Pour tenter d’alléger le poids de n’être que notre être
L’Anglais est retourné s’occuper de ses chambre froides
Et l’officier a recouché la tête sur ses cartes

Q15 – T exc – 14s  Les rimes sont très lâches

Il portait un oeil louche extraordinaire et répugnant — 1976 (1)

William Cliff Ecrasez-le

Plongeur
A Conrad Detrez

Il portait un oeil louche extraordinaire et répugnant
En plongeant la vaisselle en l’eau graisseuse et qui clapote
Il levait cet oeil louche aux trois clients de la gargote
Avaler faisait mal sous ce regard inquiétant.

Etait-il vraiment laid visage et corps absolument
Un monstre relégué aux profondeurs de cette grotte
A moitié camouflé par le comptoir et par la hotte
Enorme qui buvait la friterie et ses relents?

Je ne sais quelle grâce transpirait de sa personne
Noblesse du maintien beauté du geste affinité
Avec la majesté des grands malheurs qui nous étonnent

Vieilles malédictions ou catastrophes héréditaires
D’ancêtres très lointains acharnés pilleurs de charognes
Dont on paye aujourdhui le prix du vice et du péché.

Q15 – T17? – 14s – Formule des tercets approximative

Les grands troupeaux ailés gardaient vos portes colossales, — 1926 (1)

Emile CottinetBallades contre et sonnets pour

Les ruines (Assyrie, Perse, Egypte)

Les grands troupeaux ailés gardaient vos portes colossales,
Vos palais où trônaient Sarçon, Sardanapale, Assur,
Où les soldats tombaient comme des épis de blé mûr,
Ninive, Baghdad, ô cités vaines et vassales!

Des archers défilaient, vêtus d’émail bleu, sur les purs
De Suze et de Persépolis, les jumelles royales,
Et l’Egypte dressait, dans le sable aux profondeurs pâles,
Son sphinx immarescible aux yeux noyés d’ombre et d’azur.

Passé, désert de cendre où des mirages formidables
Appellent notre rêve, ô Passé, pour tes yeux de fables,
Chemin mystérieux jalonné de tombeaux sans fin,

Tes colosses de pierre ou de métal, forces obscures,
Gisent anéantis parmi tes attributs divins.
Kronos a passé là – Dieu sourd qui détruit et qui dure.

Q16 – T14 – 14s