Archives de catégorie : m.irr

Verlaine? Il est dressé sur l’herbe — 1995 (8)

Hedi Kaddour Les fileuses

Verlaine
à Guy Goffette

Verlaine? Il est dressé sur l’herbe
Lyre et palme dans le dos, Verlaine,
En buste au sommet de trois bons
Mètres de pine granitique où se tordent

D’improbables muses affolées d’être
Prises en sa compagnie sous le regard
De promeneurs bien plus novices
Aux combats du plaisir. Le hurlement

Amer d’une moto trouble soudain
Le petit chant de pluie sur les platanes
Et châtaigners, un rayon de soleil,

Tranche en clair-obscur le massif rouge
Et vert, et Verlaine renfrogné rêve encore
L’air qui ferait tout tenir ensemble.

bl – m.irr

Surgit soudain la dissonance — 1995 (7)

Hedi Kaddour Les fileuses

La belle

Surgit soudain la dissonance
En si majeur, brutale comme
Un coup d’oeil hypocrite qu’à
Surpris l’intérieur du genou

D’une femme et ne sait plus
Que faire de sa rage. Elle traverse
La pièce et revient en violence
De poing sur le clavier: joue donc

La fausse erreur, rétorquent
Les sons rieurs qui vont quand même
Au vent avec les cris, le grand

Soleil et les ballons d’enfants,
Car la belle, tu le sais, ça n’est
Jamais qu’un des temps de la bête.

bl – m.irr  octosyllabes plutôt

La main fait glisser une légère — 1995 (6)

Hedi Kaddour Les fileuses

Les pommettes

La main fait glisser une légère
Bretelle noire le long de l’épaule
Trempée de pluie, et la ville
Sous le vent devient l’égale

Des gestes les plus clairs.
Réjouissons-nous un instant
De croire à la figure
, récite
La femme aux pommettes saillantes,

Alors qu’à petits pas les montres
Vont leur chemin dans le jour
Véritable.
Elle fut la première

A embrasser, et se surprend encore
De sa douceur en regardant sa jambe
Monter vers le vieux lustre.

bl – m.irr  plutôt octosyllabes

Et ce serait un grand bonheur d’en finir à l’automne — 1995 (3)

Claude Esteban Quelqu’un commen ce à parler dans une chambre

Et ce serait un grand bonheur d’en finir à l’automne
avec ce corps qui n’en peut plus et dans les arbres un peu de vert,
tout resterait à sa place, sans nous, jusqu’à l’hiver
et puis viendrait la neige et la Noël pour tous les autres

quelqu’un dirait peut-être, connaissiez-vous cet homme-là,
je  ne sais plus son nom, il lui arrivait parfois de sourire
pour pas grand-chose, un nuage qui passe, mais il faut vivre
avec les siens, mais c’est déjà beaucoup de se souvenir

et l’on serait cet homme-là qui n’intéresse plus personne
mais qui ne souffre plus de son corps et ce serait déjà beaucoup,
peut-être qu’on serait mêlé dans la terre aux feuilles jaunes

et qu’on descendrait comme les fourmis au-dedans du chaud,
on dormirait, on n’aurait plus de mauvais rêve, on pourrait croire
que les morts sont heureux dans leurs demeures sans échos.

bl – m.irr

Seins de glace ou d’enfer, orage — 1991 (2)

Guy Goffette La vie promise

La montée au sonnet (Pour un art poétique)
Muses

Seins de glace ou d’enfer, orage
En plaine et la mer entre les collines
Agenouillant sans mot dire celui
Qui n’avait soif que de lui-même.

Le temps présent à ses mots, le voici
Sans paroles jeté hors du poème,
Chair à nouveau et feu et eau,
Porte battante battant le coeur

Comme une grange de l’été paille et poutre
Avec la mort petite et sourde
Qui s’impatiente, voudrait parler,

Parler, de plus en plus haut,
Jusqu’à ne plus entendre qu’elle,
Dans leur bouche, qui muse.

r.exc. – m.irr

C’est la vie qui vous fait mourir, — 1991 (1)

Guy Goffette La vie promise


Le voyageur oublié (sur un vers de Claude Roy)

C’est la vie qui vous fait mourir,
Ecriviez-vous dans ce poème où tout
Demeure à vif: le crépitement des trolleys,
La nuque de l’amante à son miroir

Et jusqu’à la jeune morte sur son lit,
Tellement sage qu’on ne sait plus
Si c’est le temps qui passe ou nous
Qui passons à travers lui, les mains vides,

Comme un train somnambule à travers
La campagne endormie – et le voyageur
Oublié dans le creux de ses bras

Est un lac au soleil de midi, un lac
Que rien ne trouble, pas même le reflet
Du corps penché  qui tremble dans la vitre.

r.exc.  – m.irr

Etincelante étoile, constant puissè-je à ton instar — 1990 (9)

John Keats trad. Robert DavreuSeul dans la splendeur

« Etincelante étoile, constant puissè-je à ton instar »

Etincelante étoile, constant puissè-je à ton instar
Non pas naviguer seul dans la splendeur du haut de la nuit
A surveiller de mes paupières pour l’éternité désunies,
Comme de la nature l’ermite insomnieux et patient,

Les eaux mouvantes dans le rituel de leur tâche
D’ablution purifiante des rivages humains de la terre,
Ni contempler le satin du masque frais tombé
De la neige sur les montagnes et sur les landes –

Non, mais toujours constant, toujours inaltérable,
Avoir pour oreiller le sein mûr de mon bel amour,
Afin de sentir à jamais la douceur berçante de sa houle,

Eveillé à jamais d’un trouble délicieux,
Toujours, toujours ouïr de sa respiration le rythme tendre,
Et vivre ainsi toujours – ou bien m’évanouir dans la mort.
( » Bright star! would I were steadfast as thou art »)

r.exc – m.irr – sns – tr

J’ai beaucoup voyagé aux royaumes de l’or, — 1990 (8)

John Keats trad. Robert DavreuSeul dans la splendeur

Après m’être plongé pour la première fois dans l’Homère de Chapman

J’ai beaucoup voyagé aux royaumes de l’or,
Ai vu bien des états et monarchies prospères,
Ai fait le tour de bien des îles d’Occident
Que des bardes pour fiefs ont reçu d’Apollon.

Souvent l’on m’a parlé d’une vaste contrée
Qu’Homère aux noirs sourcils possédait pour domaine:
Jamais pourtant je n’en avais humé la sérénité pure
Avant d’ouïr Chapman et sa voix de stentor.

Alors je me sentis comme un veilleur des cieux
Quand une planète nouvelle apparaît dans son champ de vision
Ou comme le vaillant Cortez quand, de son regard d’aigle,

Il scrutait le Pacifique – et que tous ses hommes
L’un l’autre s’épiaient, perdus en conjectures –
Silencieux, du haut d’un pic de Darien.

(On first looking into Chapman’s Homer)

r.exc. – m.irr – tr

Plage. On n’ose croire à sa pâleur. — 1990 (7)

Jean-Charles Vegliante Sonnets du petit pays entraîné vers le nord

Vacance

Plage. On n’ose croire à sa pâleur.
L’aube s’éloigne sans qu’il ait su la prendre.
Un sang reflue dans la nacre où pleurent
des vagues menacées par l’été de cendre.
La mer est striée de flammes vertes.
Aux bords alourdis de pailles et de balle
lentement tourne une forme inerte,
comme un ancien chagrin le gouffre l’avale.
Oui, la brûlure à présent s’enfonce
dans le noir profond. La mémoire aveuglée
ne sait même plus quel mal l’offense,
quelle faille est ouverte prête à céder …
Il avance sur l’estran de sable
que des courants biais vont disperser ailleurs.

ababcdcdefefxy – m.irr – sns

Tu as un visage de femme que la Nature a peint, — 1990 (6)

Jean-François Peyret (trad.) Quarante sonnets de Shakespeare traduits par .. pour servir à la scène –

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Tu as un visage de femme que la Nature a peint,
Toi, Maître et maîtresse de ma passion,
Tu as un coeur tendre de femme qui ignore
L’humeur traîtresse des trompeuses femmes.

Plus brillant, moins trompeur, ton oeil quand il se tourne
Et illumine l’objet sur lequel il se pose;
Un homme parfait, maître de toutes les perfections,
Qui séduit les yeux des hommes, et ravit les âmes des femmes.

Tu fus d’abord créé pour être femme
Mais la nature en te faisant s’éprit de toi
Et par un ajout vint me frustrer de toi,
Ajoutant quelque chose dont je n’ai pas l’usage.

Puisque te voici armé pour le plaisir des femmes,
A moi ton amour, à elles, la jouissance de ton amour.

bl – m.irr – disp: 4+4+4+2 – sh