Archives de catégorie : vL

Les paris tenus au compte-gouttes — 1923 (9)

André Breton Clair de terre

Le madrépore

Les paris tenus au compte-gouttes
Bernent les drapeaux de l’isthme
Sur le soleil avec les taches des abbés
L’entonnoir pose ses lèvres

Par une criminelle attention
Tu soutiens les cartes d’état-major
On presse la poire de velours
Et il s’envole des monticules percés

Le battoir masque les neiges
Promises à l’équateur
Des boites de baptême tournantes

Sans bruit sur les tapis de tapioca
Les marchés se ternissent poulies
De caresses pour les vieux vents

vL – vers plutôt octosyllabiques

Fait son devoir gagné son pain — 1923 (5)

Aragon – (Les Destinées de la poésie)


Le fantôme de l’honnêteté

Quand on a peiné tout le jour
Fait son devoir gagné son pain
Tour à tour
On est bien heureux de trouver son coin
Pour dormir jusqu’au lendemain
Afin de peiner son pain tout le jour
Gagner son devoir et perdre son tour
Coin-coin

Qui n’a pas son petit canard
Son petit pain
Son petit lupanar
Son petit bonheur son petit soleil
Son petit sommeil

Coin-coin

VL – disp: 8+5+1

Rends aux Césars tout ce qui est aux Césars. — 1888 (21)

Le Décadent

Rends aux Césars

Rends aux Césars tout ce qui est aux Césars.
Rends leur les spectres des crimes, des meurtres et des pillages,
Rends aux Césars les agonies de la faim et la honte des piloris,
Les dévastations et les incendies.

Les guillotines, qui coulent de sang frais,
Les échos des vacarmes des foules vengeresses,
Et les sons lugubres des horloges qui sonnent l’heure de la mort.
Rends! mais prends-leur tout ce qui est à toi.

Prends leur leurs palais d’or, prends leurs trésors immenses,
Qu’ils t’ont pris à toi pour orner leurs trônes;
Prends leur ta terre, tes champs, ton ciel, ton soleil, tes eaux,

Prends leur ce vaste monde, qui est tout à toi,
Prends leur leur activité, leur puissance, leurs honneurs et leur gloire
Prends – et toi-même assieds-toi à leur place. –

Antoni Lange

« Ce sonnet, traduit du polonais est extrait des Malédictions. Il donne une idée de la virilité des littératures septentrionales.  »

vL

– Foutons-nous, mon âme, foutons-nous dare-dare, — 1882 (13)

Alcide Bonneau (trad) Sonnets luxurieux de l’Arétin

Sonnet I

– Foutons-nous, mon âme, foutons-nous dare-dare,
Puisque pour foutre nous sommes tous nés ;
Si tu adores le vit, moi j’aime le con,
Le monde serait un rien qui vaille sans cela.

Et si post mortem il était permis de foutre,
Je te dirais : Foutons jusques à en mourir ;
Après, nous irons foutre Adam et Eve,
Qui furent cause de la malencontreuse mort.

– Vraiment, c’est vrai ; car si les scélérats
N’avaient mangé la traîtresse de pommes ;
Je sais bien que les amants ne cesseraient de jouir.

Mais laissons aller les bêtises ; et jusques au cœur
Plante-moi ton vît : fais que de moi jaillisse
L’âme que le vît fait tantôt naître et tantôt mourir,
Et, si c’était possible,
Ne me laisse pas hors de la motte tes couillons,
Heureux témoins de notre plaisir.

vl  tr  s. caudato, genre presque inconnu du sonnet français

Homme de constitution ordinaire, la chair — 1872 (12)

Rimbaud

Les Illuminations

Jeunesse, II
Sonnet

Homme de constitution ordinaire, la chair
n’était-elle pas un fruit pendu dans le verger, ô
journées enfantes! le corps un trésor à prodiguer; ô
aimer, le péril ou la force de Psyché? La terre
avait des versants fertiles en princes et en artistes,
et la descendance et la race nous poussaient aux
crimes et aux deuils; le monde, votre fortune et votre
péril. Mais à présent, ce labeur comblé, toi, tes calculs,
toi, tes impatiences ne sont plus que votre danse et
votre voix, non fixées et point forcées, quoique d’un double
événement d’invention et de succès une raison,
en l’humanité fraternelle et discrète par l’univers
sans images; – la force et le droit réfléchissent la
danse et la voix à présent seulement appréciées ….

14 lignes. – On peut considérer ce texte, dans cette présentation conforme à celle du manuscrit, comme le premier sonnet en vers libres, c’est à dire composé de vers ni comptés, ni rimés. Jusqu’à récemment ce sonnet était imprimé comme de la prose. Sonnet en prose il n’est pas mais sonnet à quatorze lignes, plagiaire par anticipation d’Emmanuel Hocquard (on distingue malgré tout un premier ‘quatrain’ semi-rimé)