Archives de catégorie : past

Le R gronde dans l’avenue. — 1996 (6)

Henri Bellaunay Nouvelle anthologie imaginaire de la poésie française


Matinale

Le R gronde dans l’avenue.
Les vendeurs de journaux stridents
Clament La Liberté, L’Intran.
On dit Fantomas revenu.

Sous nos pieds un bourgeois velu
Chante Tosca en se rasant.
Du tiède pilou émergeant
Sa dame choisit sa tenue.

Plus bas, la fille des concierges,
Désolante et blafarde vierge,
S’entête à maltraiter Chopin.

Viens. Vêts ta pure nudité
A Meudon nous irons trouver
Le frais silence du matin.

Q15 – T15 – octo

Le Ville de Strasbourg (commandant Lehalleur) — 1996 (5)

Henri Bellaunay Nouvelle anthologie imaginaire de la poésie française


Eastwards

Le Ville de Strasbourg (commandant Lehalleur)
A trente mille pieds s’approche de Java
Quelques moments encore et l’avion plongera
Dans l’épaisseur d’un air aux malsaines touffeurs.

Sans un regard pour le hublot, sombre, rêveur
Dans sa première classe il ne voit même pas
Le geste harmonieux et fugitif du bras
De l’hôtesse versant un dernier J.Walker …

Et cependant il fait une belle carrière.
Ce n’est pas si commun d’être, à moins de trente ans
Attaché militaire adjoint à Djakarta.

Mais sa vie est obscure et pleine de mystère …
Il pense, dans l’avion qui se présente au vent
A la pipe d’opium qu’il va trouver là-bas.
(H J-M Levet)

Q15 – T36

Or, le grand Hu-Gadarn, fils de Math, va mourir — 1996 (4)

Henri Bellaunay Nouvelle anthologie imaginaire de la poésie française

La mort de Hu-Gadarn

Or, le grand Hu-Gadarn, fils de Math, va mourir
L’Invaincu, qui régnait sur trente nations,
A été pris dans son sommeil par trahison.
Au noir poteau lié, il attend sans faiblir.

Ceux qui jadis étaient ses sujets sont tous là:
Uggdrasill le cruel, Gundruna aux yeux clairs,
Murdoch, la Call-Bibi, et Dylan, et Ymer,
Les enfants de Gwiddonn et ceux d’Uheldida.

Tel, autour d’un lion déchiré et sanglant,
Un cercle de chakals se resserre, jappant,
Et vers la proie offerte ils avancent sans hâte.

Le bourreau attentif a levé son penn-baz
Aux pommeau incrusté de fines chrysoprases,
Et la tête dessine une courbe écarlate.
(Leconte de Lisle)

Q63 – T15

A bas bruit la très discrète — 1996 (3)

Henri Bellaunay Nouvelle anthologie imaginaire de la poésie française

A bas bruit

A bas bruit la très discrète
mais tenace ronge-temps
verse son sablier lent
au plus creux de tes retraites

De tes pieds jusqu’à la tête
elle mène posément
aux rouges routes du sang
sa fine marche muette.

Elle te va concéder
l’odeur des nèfles mouillés
les soleils et leurs fracas

Et la lourde Automne rousse
jusqu’à l’heure où sa main douce
tranquille t’effacera

(Jacques Roubaud)

Q15 – T15 – 7s

L’aube sur le cratère allume un reflet d’or. — 1992 (7)

Henri Bellaunay Petite anthologie imaginaire de la poésie française

Les romains de la décadence

L’aube sur le cratère allume un reflet d’or.
La nuit en s’enfuyant a foudroyé l’orgie.
Le délectable loir, l’huître de Batavie,
Sur la pourpre de Tyr se confondent aux corps.

Aux cassollettes, seuls, s’exaspèrent encor,
Les parfums énervants de la perverse Asie.
Où reluit du plaisr la stridente furie
Tombe un silence épais qui ressemble à la mort.

La Vestale, ravie à sa grave retraite,
Pleure inlassablement sa pureté défaite
Sur la dalle où le stupre a souillé le Carrare.

Ils gisent, engloutis dans un glauque sommeil,
Et ne peuvent pas voir, offusquant le soleil,
L’ombre démesurée et noire du Barbare.

(José-Maria de Heredia)

T15 – Q15

On voit parfois des choses tristes dans la vie. — 1992 (6)

Henri Bellaunay Petite anthologie imaginaire de la poésie française

Le cygne

On voit parfois des choses tristes dans la vie.
J’étais allé me promener, avec un livre,
Sur les bords de l’étang éblouissant de givre,
Quand s’offrit à mes yeux la scène que voici.

Loin du rivage sûr, un cygne peu prudent,
S’étant laissé saisir par la cruelle glace,
Agitait, de façon hélas inefficace,
Ses pauvres ailes de captif, éperdument.

J’aurais bien essayé de lui porter secours,
Mais c’était fort risqué: je suis beaucoup trop lourd.
Je partis donc, le coeur rempli d’affliction

Et je rentrai chez moi, pensif, en me disant
Que rien n’arrive aussi vite qu’un accident,
Et qu’on ne prend jamais trop de précautions.

(François Coppée)

Q63 – T15  – Remarque: cet excellent pastiche a malgré tout quelque défaut formel: Coppée ne ferait jamais rimer ‘vie’, mot féminin, avec ‘voici’, mot masculin (ajoutons qu’il n’y a pas à cette rime de ‘consonne d’appui’). D’autre part les rimes des tercets sont toutes masculines et la ‘règle de l’alternance’ est violée (Verlaine aurait pu le faire, mais pas Coppée).

Au vif désir de pénétrer — 1992 (5)

Henri Bellaunay Petite anthologie imaginaire de la poésie française

Plusieurs sonnets, III

Au vif désir de pénétrer
En une terre tendre et trouble
Peut certaine absence obvier
(Et de la lourde croupe double)

Plus vierge qu’une vergue bas
Plongeante avec la caravelle
Ou les insuffisants émois
D’un oiseau aux trop grêles ailes

Il regardait sévèrement
Comme d’une qui a failli
Le tenace assoupissement
De quelque mandore abolie

Qui ne l’avait su mener qu’au
Si pâle soupir du fiasco
(Mallarmé)

shmall – octo

Comme un vol de gerfauts hors du rocher natal — 1951 (3)

Henri Durup in Gums

Les errants

Comme un vol de gerfauts hors du rocher natal
Fatigués de traîner leurs guêtres dans la plaine
De la place Maubert, Gumiers une soixantaine
Partaient ivres de raids héroïques et fatals

Ils allaient conquérir le farouche animal
Que Caucasse nourrit sur ses cimes hautaines
Et les dahus fuyaient de leur marche incertaine
Aux flancs mystérieux du monde occidental

Chaque soir attendant la bête satanique
Le voile opalescent de la Lune ironique
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré

Et ponctuant un schuss d’une chute cruelle
Ils regardaient monter dans un ciel ignoré
Du fond de la poudreuse des étoiles nouvelles. »

Q15  T14  pastiche Alexandrins bien incertains

L’autre jour – et vous m’en croirez si vous voulez, — 1948 (3)

– Jules Lemaître in  Dr O’Followell: Le sonnets d’Arvers et ses pastiches

A la manière de François Coppée

L’autre jour – et vous m’en croirez si vous voulez,
Car un événement simple est parfois bizarre –
Ayant sous le bras deux paquets bien ficelés,
Je me dirigeais du côté de Saint Lazare.

Après avoir pris mon billet sans démêlés,
J’entre dans un wagon et j’allume un cigare,
D’un sou – le train, nous en étions fort désolés
Etant omnibus s’arrêtait à chaque gare.

Soudain il siffle et fait halte. Au même moment
Un monsieur, pénétrant dans mon compartiment,
Prend les billets, ainsi qu’on ferait une quête;

– Et moi, content de voir enfin ma station,
Je remets mon billet sans contestation
A l’employé portant un O sur sa casquette.

Q8 – T15