Archives de catégorie : divers genre

Arrête-toi! Je suis ici, mais tant de nuit — 1943 (6)

Robert DesnosEtat de veille

Fantôme

Arrête-toi! Je suis ici, mais tant de nuit
Nous sépare qu’en vain tu fatigues ta vue:
Tu te tais, car l’espace, où se dissout la rue,
Nous-même nous dissout et nous saoule de bruit.

C’est l’heure où panaché de fumée et de suie,
Le toit comme une plage offre au fantôme nu
Son ardoise où mirer le visage inconnu
De son double vivant dans un miroir de pluie.

Fantôme, laisse-nous rire de ta sottise,
Tu habites les bois, les châteaux, les églises
Mais tu es le valet de tout homme vivant.

Aussi n’as-tu jamais fait de mal à ces êtres,
Tant, s’ils ouvraient un soir la porte et les fenêtres,
Tu dissoudrais la nuit dans le bruit et le vent.

Q63 (a’=a*; b’=*) – T15   Les rimes du premier quatrain sont masculines; féminines celles du second.

J’ai voulu plonger jusqu’au fond dans ta chair, — 1910 (7)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

Vertige

J’ai voulu plonger jusqu’au fond dans ta chair,
Front bas, pieds joints, tout; et j’en suis revenu
Sans moi, rien qu’avec encor de derme cher
A soi trop assez pour s’aimer vil et nu

Sous l’âcre épreinte du jeu de ta chair nue,
O panthère aux plasmatures de vachère!
Pour s’aimer vers toi, bien haïe et connue
D’abord comme, et toujours ensuite, en enchère,

Si que, des baisers d’un bain de chair mieux cher
De retour, je voudrais plonger dans ta chair:
Le démon de Poe et qu’Eve avait connu,

Ce soir de sang, vêt de pourpre maraîchère
Ses replis d’appels senestre sur ta nue,
O vachère à redondances de bouchère!

Q11 – T14  -Qu1 masc Qu2 fem – 11s

Il s’appelle Maurice ainsi que ce soldat — 1890 (8)

Paul VerlaineDédicaces

A Maurice Bouchor

Il s’appelle Maurice ainsi que ce soldat
Et se nomme Bouchor comme saint Bouche d’or,
Soldat de rire franc, saint sinon point encor,
Du moins religieux d’esprit – sinon d’état.

Chaque effort de son oeuvre acclame bien sa date
Et, sous ses deux patrons ce qu’en outre elle arbore
C’est bien la bonne foi sortant par chaque pore
Et l’amour du métier que chaque heure constate.

Jeunesse folle enfin, extravagante au point,
Tel un page sa dame au coeur, sa dague au poing,
Bondissant, comme hennissant, s’il meurt, tant pis!

Age d’homme pensif et profond dont témoigne
On dirait, dirait-on, sonnée à pleine poigne,
La tour changée en nourrice de Saint-Sulpice.

abba a*b*b*a* ccd c*c*d*

Le prêtre en chasuble énorme d’or jusques aux pieds — 1890 (7)

Paul VerlaineDédicaces

Laurent Tailhade

Le prêtre en chasuble énorme d’or jusques aux pieds
Avec un long pan d’aube en guipures sur les degrés;
Le diacre et le sous-diacre aux dalmatiques chamarrées
D’orerie et de perle à quelque Eldorado pillées;

Le Sang Réel par Qui toutes fautes sont expiées,
Dans un calice clair comme des flammes mordorées;
L’autel tout fuselé sous six cierges démesurés,
Et ces troublants Agnus Dei qu’on dirait pépiés;

Et ces enfants de choeur plus beaux que rien qui soit au monde,
Leurs soutanettes écarlates, leurs surplis jolis,
Et les lourds encensoirs bercés de leurs mains appalies;

Cependant que, poète au front royal sur tout haut front,
Laurent Tailhade, tel jadis Bivar, Sanche et Gomez,
Erect, et beau chrétien, et beau cavalier, suit la messe.

aaa*a* a*a*aa c*dd* cee* – 14s – Le vers 1 n’a que treize syllabes dans l’ed.Pléiade

Ce soir je m’étais penché sur ton sommeil. — 1884 (12)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Vers pour être calomnié
A Charles Vignier

Ce soir je m’étais penché sur ton sommeil.
Tout ton corps dormait chaste sur l’humble lit,
Et j’ai vu, comme un qui s’applique et qui lit,
Ah! j’ai vu que tout est vain sous le soleil!

Qu’on vive, ô quelle délicate merveille,
Tant notre appareil est une fleur qui plie!
O pensée aboutissant à la folie!
Va, pauvre, dors, moi, l’effroi pour toi m’éveille.

Ah! misère de t’aimer, mon frêle amour
Qui va respirant comme on respire un jour!
O regard fermé que la mort fera tel!

O bouche qui ris en songe sur la bouche,
En attendant l’autre rire plus farouche!
Vite, éveille-toi! Dis, l’âme est immortelle?

abba a*b*b*a* ccd c*c*d*– 11s – Comme en 1881, 7, Verlaine rime une finale masculine avec une féminine.

Ah! vraiment c’est triste, ah! vraiment ça finit trop mal. — 1884 (10)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Sonnet boiteux
A Ernest Delahaye

Ah! vraiment c’est triste, ah! vraiment ça finit trop mal.
Il n’est pas permis d’être à ce point infortuné.
Ah! vraiment c’est trop la mort du naïf animal
Qui voit tout son sang couler sous son regard fané.

Londres fume et crie. O quelle ville de la Bible!
Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles.
Et les maisons dans leur ratatinement terrible
Epouvantent comme un sénat de petites vieilles.

Tout l’affreux passé saute, piaule, miaule et glapit
Dans le brouillard rose et jaune et sale des sohos
Avec des indeeds et des all rights et des haôs.

Non vraiment c’est trop un martyre sans espérance,
Non vraiment cela finit trop mal, vraiment c’est triste:
O le feu du ciel sur cette ville de la Bible!

Q59 – cdd efa’– 13s – Ça boite sévérement en effet. Mais quel talent ! Le mot-rime du vers 14 est le même que celui du vers 5. Les tercets ne sont que partiellement rimés. Le premier quatrain est à rimes masculines, le second à rimes féminines. Sans oublier le mètre ‘boiteux’: 13 syllabes.

Sainte Thérèse veut que la Pauvreté soit — 1881 (7)

Paul VerlaineSagesse

Sainte Thérèse veut que la Pauvreté soit
La reine d’ici-bas, et littéralement!
Elle dit peu de mots de ce gouvernement
Et ne s’arrête point aux détails de surcroît;

Mais le Point, à son sens, celui qu’il faut qu’on voie
Et croie, est ceci dont elle la complimente:
Le libre arbitre pèse, arguë et parlemente:
Mais le pauvre de coeur décide et suit sa voie.

Qui l’en empêchera? De voeux il n’en a plus
Que celui d’être un jour au nombre des élus,
Tout-puissant serviteur, tout-puissant souverain,

Prodigue et dédaigneux, sur tous, des choses eues,
Mais accumulateur des seules choses sues,
De quel si fier sujet, et libre, quelle reine!

Q15  T6 abba a*b*b*a* ccd c*c*d* – (si x est une rime masculine, x* désigne la rime féminine qui s’en déduit: -oit / -oie; -ent/ -ente; -us/ -ues; -ain / eine) exemple de ce que Noël Arnaud nomme ‘rimes hétérosexuelles’

Sonnet, c’est un sonnet pour Roma Ratazzi. — 1875 (8)

Arsène Houssaye in L’Artiste


Sonnet à rimes redoublées crayonnés à la table à la fête de Roma Ratazzi

Sonnet, c’est un sonnet pour Roma Ratazzi.
Je vais le lui rimer en toute courtoisie.
Comment n’aurais-je pas des fleurs de poésie
A jeter à ses pieds comme on jette un lazzi ?

Mon Pégase est rétif, mais je l’ai ressaisi
Et j’y monte gaiement avec ma fantaisie.
Le coup de l’étrier, est-ce du Malvoisie,
Du Mumm, du Roederer, du Cliquot, du Bouzy ?

Quelle mère pourrait la voir sans jalousie
Cette enfant adorable entre toutes choisie ?
Buvons à sa santé, jusqu’au revenez-y.

Si pour chanter l’enfant ma muse s’extasie,
La mère a son mérite, on peut sans hérésie,
Dire qu’elle a bien fait sa Roma Ratazzi.

Q15  T6  y=x (c=b & d=a) (b=a*: zi/zie)