Archives de catégorie : sh

Tu as un visage de femme que la Nature a peint, — 1990 (6)

Jean-François Peyret (trad.) Quarante sonnets de Shakespeare traduits par .. pour servir à la scène –

20

Tu as un visage de femme que la Nature a peint,
Toi, Maître et maîtresse de ma passion,
Tu as un coeur tendre de femme qui ignore
L’humeur traîtresse des trompeuses femmes.

Plus brillant, moins trompeur, ton oeil quand il se tourne
Et illumine l’objet sur lequel il se pose;
Un homme parfait, maître de toutes les perfections,
Qui séduit les yeux des hommes, et ravit les âmes des femmes.

Tu fus d’abord créé pour être femme
Mais la nature en te faisant s’éprit de toi
Et par un ajout vint me frustrer de toi,
Ajoutant quelque chose dont je n’ai pas l’usage.

Puisque te voici armé pour le plaisir des femmes,
A moi ton amour, à elles, la jouissance de ton amour.

bl – m.irr – disp: 4+4+4+2 – sh

Since I left you mes yeux sont de mémoire. — 1970 (2)

Marcel Thiry Attouchements des sonnets de Shakespeare


CXIII – ‘Since I left you mine eye is in my mind’

Since I left you mes yeux sont de mémoire.
Vous me voilez la montagne ou la mer.
Laissez mes yeux attoucher cette moire
De nos instant dont j’abolis la mort.

A vous les yeux de ma secrète vue
Qui semblent voir le monde et n’ont que vous
Pour ciel, montange, et la mer, et la vie,
Et n’ont plus vu que vous since I left you.

Laissez que ma mémoire vous compose
Comme au matin l’arbre sort de la nuit;
Pendant qu’avec des vers aux doigts de rose,

Frère des yeux pour défaire la nuit,
Un lent Sonnet que le Temps vous dévoue
Change l’absence en essence de vous.

abab cdcd efef gg=shmall – disposition de rimes des sonnets de Shakespeare   déca – tr

La beauté nous suggère un désir de surcroît. — 1967 (1)

Igor Astrow, trad. – Cent sonnets de Shakespeare


1

La beauté nous suggère un désir de surcroît.
Rose, on ne la vit pas fanée et transitoire.
Et, comme avec le temps mûrie, elle déçoit,
Par un tendre héritier se transmet sa mémoire.

Or, toi plein de toi-même et de ton propre éclat,
De ta substance exquise alimentant ta flamme,
Tu fais famine, alors que l’abondance est là
Et toi-même es le pire ennemi de ton âme.

Tu parais aujourd’hui le plus frais ornement
Du Monde et seul héraut des printanières fêtes.
Mais en te cantonnant en ton contentement,
Tu prépares ainsi ton ultime défaite.

Prends donc pitié du monde et ne le prive pas
De beauté sans pareille, à l’heure du trépas.

shmall – sh1

Un visage de femme par la main de la Nature peint, — 1955 (3)

Pierre-Jean Jouve Shakesperaresonnets

20

Un visage de femme par la main de la Nature peint, tu l’as, maître-maîtresse de ma passion, un doux cœur de femme mais non point familier avec le traître changement comme c’est la façon des femmes fausses;
Un œil plus clair que les leurs, moins faux quand il tourne, et qui dore l’objet sur lequel il se fixe; homme en sa figure, ayant à sa disposition toutes les figures, qui dérobe les yeux des femmes et confond les âmes des femmes.
Et pour être femme d’abord tu fus créé; jusqu’à ce que la Nature, comme elle te forgeait, fût tombée en amour, et au surplus m’eût évincé de toi, en ajoutant la chose qui ne m’est d’aucun emploi.
Mais puisqu’elle t’a désigné pour le plaisir des femmes, que ton amour soit pour moi, et leur trésor ce soit l’usage de ton amour.

pr – tr « A woman ‘s face, with nature’s own hand painted »

Des créatures les plus belles nous désirons des naissances, — 1955 (2)

Pierre-Jean Jouve Shakesperaresonnets

1

Des créatures les plus belles nous désirons des naissances, que les beautés de la rose ne puissent mourir, mais que si la très mûre doit périr à son temps, son frêle héritier puisse en donner mémoire;
Mais toi, voué à tes seuls yeux resplendissants, tu nourris l’éclat de ta flamme par le brûlement de la substance de toi-même, créant une famine où c’était l’abondance, toi-même ton ennemi et trop cruel envers ton cher toi-même.
Toi qui es aujourd’hui frais ornement du monde, et seul héraut du merveilleux printemps, tu enterres ton bien dans l’unique bourgeon, cher avare, tu fais par lésine la ruine.
Aie pitié pour le monde – ou bien sois ce glouton: mange le dû au monde, par toi, et par la tombe.

pr – tr sh  « From fairest creatures we desire increase »

L’esprit qui se décharge en un dégât de honte — 1945 (3)

Shakespearesonnets trad André Prudhommeaux

129

L’esprit qui se décharge en un dégât de honte
Telle est la passion dans l’acte; et jusqu’à l’acte
Sa luxure est perfide et parjure à tout pacte,
Farouche, meurtrière, et ne rend pas de compte,

A peine elle triomphe et le mépris la dompte-
Chasse de déraison que déraison rétracte;
Elle se hait dans sa victoire – haine intacte
De l’amorce engloutie au fol dégoût qui monte;

Folle est la quête, et sa capture, et la curée:
Avoir! Vouloir avoir! Avoir eu! Procurée,
L’extase est un dictame – et laisse un fiel amer;

D’une joie en l’espoir il ne reste qu’un songe.
Tout homme au monde sait ce que vaut ce mensonge;
Pas un ne fuit le ciel qui mène à cet enfer.

Q15 – T15 – tr

Gaspiller sa pensée en un dévergondage — 1943 (4)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

129

Gaspiller sa pensée en un dévergondage
Est impudique: avant l’acte, la volupté
Est parjure et cruelle, âpre et sans loyauté,
Funeste, extrême, rude et menteuse et sauvage.

Plaisir des sens, maudit, dès qu’expérimenté;
Déraison poursuivie, et qui, sitôt l’usage,
Est déraison haïe: ainsi, sur son passage,
Serait l’appât rendant un chasseur hébété.

Hébété dans la chasse et dans la réussite;
Passé, Présent, Futur surexcitant l’ardeur;
Un bonheur devant soi, mais derrière, un malheur;

Avant, une âpre joie; un mauvais rêve, ensuite ….
Le Monde sait cela – mais nul n’est bien expert
A l’éviter, l’Eden qui mène à cet Enfer.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2 – tr

Des êtres les plus beaux nous souhaitons lignée, — 1943 (2)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

… « ma traduction laisse subsister (la) disposition anglaise, mais elle maintient les groupes de rimes, qui dans l’autre système, donnent leur caractère aux deux premiers quatrains »

I

Des êtres les plus beaux nous souhaitons lignée,
Que Rose de Beauté ne disparaîtra pas,
Et, si la plus ouverte est vouée au trépas,
Qu’un tendre rejeton soit sa suite assignée.

Toi qui, dans tes yeux vifs concentrant tant d’appâts,
Nourris de ta substance une lumière ignée,
Tu réduis à la gêne une abondance innée –
Ennemi de toi-même et de ton propre cas!

Si bien que désormais, frais ornement du Monde,
Toi l’unique Héraut d’un Printemps généreux,
Tu renfermes ton être en un bourgeon frileux,
Et répands, tendre ami, ta lésine à la ronde.

Pitié pour l’Univers! ou bien, gloutonnement,
Absorbe l’Univers et toi, rien qu’en mourant.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2 – tr

Au plus heureux lignage on souhaite un surgeon — 1942 (1)

Giraud d’Eccle Sonnets de Shakespeare

I

Au plus heureux lignage on souhaite un surgeon
qui sauve de la mort le Rosier de beauté.
Si la fleur plus ouverte avec le temps se fane,
qu’une tendre héritière assume sa mémoire.

Réduit au seul éclat de tes yeux, tu nourris
` de ton propre aliment le feu de tes regards.
A toi-même ennemi, trop cruel à tes charmes,
la famine s’installe où régnait l’abondance;

et toi, le plus récent ornement de ce monde
et l’unique héraut d’un fastueux printemps,
dans son bourgeon tu vas ensevelir ta joie,
et doux avare, gaspiller en lésinant

Prends le monde en pitié, ne sois pas ce vorace
Qui ravit avec soi, dans la tombe, son bien.

bl – disp: 4+4+4+2  tr  sh 1: « From fairest Creatures we desire increase »

Il n’est honte devant laquelle la luxure — 1900 (9)

Fernand Henry Sonnets de Shakespeare

sonnet 129

Il n’est honte devant laquelle la luxure
Recule pour pouvoir librement s’assouvir.
Cruelle jusqu’au sang, déloyale, parjure,
Sauvage, vile, infâme, elle est tout à plaisir.

Mais le mépris la suit avec sa flétrissure;
Comme il fut follement poursuivi, son désir,
Aussitôt satisfait, est maudit sans mesure,
Tel le poison qu’enferme un perfide élixir.

Et c’est toujours ce but, qui n’admet pas de halte,
Vers lequel néanmoins sa démence s’exalte,
Faible bonheur qu’attend un réveil trop amer,

Délice qui finit dans la poudre du rêve!
L’homme sait tout cela; pourtant il bat sans trêve
Le céleste chemin qui mène à cet enfer.

Q8 – T15 – tr