Archives de catégorie : bi

Le ‘bouquet inutile’: une séquence de sonnets choisis au hasard

Il a bien su jouer d’une femme docile, — 1901 (13)

Aimé Passereau in Le Sagittaire

Les joyeusetés, VIII

Il a bien su jouer d’une femme docile,
Et s’enrichir sans regarder à la façon
Qui dont reconnaîtrait sous l’éclat du blason
Acheté au Saint-Père, un garçon de vaisselle ?

On se l’arrache, il est le roi de la ’saison’
Il assiste à tous les dîners qu’on donne en ville,
Son luxe énorme et sa brochette universelle
Flattent la vanité des maîtres de maison.

D’avoir été laquais, marlou, ça l’avantage !
De ses courbes d’échine et de ses cocuages
Il porte à ses revers la suite écrite en croix.

Il est chargé de tous les crachats qu’il mérite
Pourtant il se désole à voir que ses étroits
Parements et qu’aussi la Honte ait ses limites !

abba’  baa’b T14  bi

Que de fois, sur le roc de la cime prochaine, — 1895 (6)

G.C. Thouron Coups d’ailes

Sur le roc

Que de fois, sur le roc de la cime prochaine,
Joyeusement assis j’épèle dans les cieux!
Que de fois, maudissant et la vie et sa chaîne,
En rêve dans l’azur je m’élève anxieux!

Devant moi la nature et ses champs spacieux
Voulant m’assujettir à leurs sollicitudes:
Non! comme à l’aigle altier, grand sur ces solitudes,
Il faut à mon esprit le faîte audacieux.

Ah! c’est dans ces hauteurs où plane le génie,
Qu’il soit épris d’amour ou de pure harmonie,
Que mon âme enivrée en un sublime chant,

De contemplation et d’idéal plus belle,
Sacrifiant un monde aux prix d’une étincelle,
Avide, boit à flots les rayons du couchant!

Q48 – T15 – bi

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes, — 1991 (28)

Ivanhoe Rambosson in Le Saint-Graal

Les Possédés
à Rémy  de Gourmont

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes,
En l’île de tristesse au fond des noirs jardins, –
Avec quel faste mortuaire nous allâmes
Vers la Tour de l’Aurore, où sont les paladins.

Quand on nous eut déclos l’huis d’or gardé de flammes,
Quand nous eûmes gravi les lumineux gradins,
Nous vîmes les guerrier du Christ et nous clamâmes :
Elus immaculés comme les séraphins,

Chevaliers, chevaliers, abolisseurs de sorts,
Belzébuth nous voudrait mener à mâle mort
Et nous vous conjurons en peur de nos folies

D’exorciser au nom du Verbe qui fut chair
Le succube égotant de nos mélancolies,
Qui nous pousse, perdus, vers le gouffre d’enfer !

Q8  T14  bi

O mon noble pays ! ils avaient cru naguère, — 1890 (27)

Alcide Chapeau in L’Aurore

Patrie
Gloire à la France au ciel joyeux,
Si douce au cœur, si belle aux yeux,
Sol béni de la Providence,
Gloire à la France
P.DEROULÈDE

O mon noble pays ! ils avaient cru naguère,
Ces bandits d’Outre-Rhin, t’asservir à jamais ;
Des désordres sanglants de leur brutale guerre
Te croyant impuissante à supporter le faix !

Se ruant sur ton sol, et traitant de chimère,
De tes fils opprimés la gloire et les hauts faix,
Dans leur coupable orgueil, ils avaient cru sur terre
Anéantir jusqu’au nom si beau de français !

Forte de ton mandat, ô ma France adorée,
Va, poursuis ici-bas ta mission sacrée :
Tu ne saurais périr, flambeau du genre humain !

Aussi, vers le progrès qui grandit et féconde,
C’est toi, longtemps encor, qui conduira le monde,
Quoique puisse tenter l’audacieux Germain.

Q8  T15  bi  poème couronné au premier concours de l’Aurore

Elle tombe aussi finement — 1890 (6)

Alfred MigrenneLes moissons dorées

En voyant tomber la pluie

Elle tombe aussi finement
Que si c’était de la rosée,
Et la terre presque épuisée
S’en désaltère avidement.

De ma serre tout irisée
Des fleurs qui s’ouvrent par moments,
Le jasmin s’élève hardiment
Pour apparaître à ma croisée.

Demain les épis jauniront
Et gaîment des faucheurs iront
Les couper, puis les mettre en gerbe.

Car la pluie est à la moisson,
Ce que l’air est à la chanson
Et l’or du soleil à la gerbe.

Q16 – T15 – octo  – bi

Du ciel tendre où court la nue indécise, — 1886 (26)

Albert Pinard Sonnets, ghazels, …

Louise

Du ciel tendre où court la nue indécise,
Des bois assoupis dans leur profondeur,
De l’eau murmurante et du sein des fleurs,
Nous voulons tirer, quintessence exquise,

Harmonie auguste, une voix qui dise :
« Fleurs qui frémissez aux vents maraudeurs,
Rayons, ruisseaux, charme épars des odeurs,
Formez un concert pour fêter Louise.

Composez sa vie uniment d’étés,
Versez vos fraîcheurs & vos puretés,
Etendez sur elle une ombre propice . »

Mystère des nuits, vérité du jour,
Nous vous invoquons, sûrs de votre hospice :
La nature entend les cœurs sans détour.

Q15  T14  – banv – tara  bi

Non, poète ; à minuit, ici-bas sur la terre, — 1879 (24)

Victor Froussard (ancien secrétaire de la préfecture de la Haute-Marne ) Recueil de poésies

Minuit
A propos d’un sonnet de M. de Ségur

Non, poète ; à minuit, ici-bas sur la terre,
Tout n’est pas endormi : soyez-en trop certain.
Combien de malheureux, sous leur toit solitaire,
Veillent, en gémissant de leur cruel destin.

Blotti dans son fauteuil, un vieux fauteuil Voltaire,
Près du foyer fumeux où le tison s’éteint,
Oublieux d’aviver la lampe qu’il éclaire,
Même de réchauffer la théière d’étain,

Je sais, je sais quelqu’un qui ne dort pas encore,
Qui n’ira s’endormir qu’à la naissante aurore
Quand va chanter l’oiseau sous les feuillages verts.

Quand gazouille déjà la gentille hirondelle,
Celui-là, c’est, poète, un vieux ami fidèle,
Qui ne peut s’arracher aux charmes de vos vers.

Q8  T15  bi

Il se trouve cerné sur un champ de bataille — 1877 (4)

Henri Passérieu – in Union littéraire des poètes et littérateurs de Toulouse

Sonnet militaire

Il se trouve cerné sur un champ de bataille
Par cinquante guerriers, noirs démons forcenés:
Sur son visage ardent, une sublime entaille
Rougissait d’un sang pur ses traits illuminés.

Au milieu du bruit sec produit par la ferraille,
Au milieu des grands coups et reçus et donnés
On eut dit un géant perçant une muraille,
Et près de voir enfin ses efforts couronnés.

– Il succombe pourtant; la légère Espérance
Voyant ses yeux voilés par la prochaine mort,
S’enfuit, l’abandonnant en proie à la souffrance.

Alors, se ranimant dans un suprême effort,
Et levant vers le ciel sa figure meurtrie
Il retomba criant: « Vive notre Patrie! »

Q8 – T23 – bi

Joli petit oiseau — 1869 (3)

– Theodoric Geslain (ed.) – Sonnets provinciaux

Un chant d’oiseau

Joli petit oiseau
Perché sur cet ormeau,
Que me dit ton langage
En ce charmant ramage?

« Laboureur, il fait beau;
Allons, vite à l’ouvrage;
Laisse-là ton manteau:
Va, ne crains pas l’orage!

« Et toi, jeune garçon,
En allant à l’école,
Ecoute ma leçon:

« Quitte ta gaîté folle,
Et pour moi sois humain.
C’est l’ordre du destin ».

Michel Poulailler

Q2 – T23 – 6s – bi