Je citerais aussi les épopées irlandaise et galloise. Je suis grand amateur de littérature celte et dans la littérature celtique, l’épopée irlandaise me paraît supérieure à la littérature bretonne, et même à la littérature galloise – je ne parle pas de l’écossaise – toutes intéressantes, d’ailleurs.
J’ai découvert cette littérature irlandaise relativement tard, juste avant la guerre. Pendant la guerre, j’ai eu l’occasion d’aller à Toulouse, au titre de l’inspection de la Résistance. Comme j’ai toujours mélangé l’action et le plaisir de la réflexion, j’en ai profité pour rencontrer monsieur Dautun qui était recteur de Toulouse et grand spécialiste de la littérature irlandaise. Il était enchanté de voir qu’il y avait en France quelqu’un qui s’intéressait à cette littérature, à part ses étudiants. J’ai déjà parlé de Sainte Brigitte, mais bien avant, il y a une épopée absolument extraordinaire, où le héros est bien plus fort que tous les Tartarins, il exagère vraiment plus que tout le monde : quand Cucullen (?) est en colère, c’est une chose si terrible que ses amis s’empressent de le plonger dans un baquet d’eau froide, et l’eau s’évapore immédiatement ; sa colère continue, on le trempe dans un second baquet d’eau glacée qui se met à bouillir ; à la troisième fois l’eau est tiède, il est à peu près calmé. Toute l’épopée de Cucullen est comme cela.
L’épopée galloise, celtique elle aussi, est très différente, mais j’avais été assez enchanté par l’un des héros gallois, le sénéchal Keu. Quand ces épopées celtes sont authentiques et à peu près restituées dans leur texte de l’époque, elles sont des poèmes de la violence et de la brutalité. Tout ce qu’on trouve dans nos séries noires actuelles n’est rien à côté. L’épopée galloise est plus lyrique, plus poétique. Je me souviens notamment d’un passage où le sénéchal Keu se fâche – on se fâche beaucoup dans toutes ces épopées – contre un nuage, il lance sa lance contre le nuage et du sang s’en écoule. Il y a des images de toute beauté.
Bien avant, dès mon enfance, j’avais découvert la littérature celtique bretonne, avec le cycle du roi Arthur dans les livres de Jacques Boulanger. Ça m’avait enchanté, et je me suis longtemps imaginé que c’était cela la littérature celtique. C’est en fait une littérature celto-chrétienne déjà, très arrangée. Très jolie d’ailleurs, j’en reste enchanté, mais je me rends compte que derrière ces féeries il y a des scènes de cruauté et de violence qui n’apparaissent pas du tout. L’aventure du roi Arthur m’a beaucoup marqué, et les aventures de Gauvain, de Lancelot, de Galaad, de Perceval, etc.
Ce qui m’enchantait à ce moment-là est presque le contraire de ce qui m’a intéressé dans la littérature celtique vraiment ancienne : c’est l’amour courtois – alors que dans Cucullen, c’était l’amour brutal, grossier même. Je me suis rendu compte de la différence quand, cherchant d’autres textes, je suis tombé sur d’autres textes un peu plus anciens comme ceux qui concernaient les aventures de Perceval – ou Parsifal, ou Perceforêt – qui datent du XIIème siècle. Et ces textes plus anciens me présentaient Perceval d’une manière tout à fait différente. Au fond, ce jeune analphabète reçoit des conseils de sa mère et il les suit à la lettre, car c’est un enfant très obéissant. Partant à l’aventure comme les chevaliers, il se trouve un jour devant une tente. Ayant faim, il entre. À l’intérieur il y a une femme très belle, la femme d’un chevalier, et il fait un geste que j’aurais cru impossible au moment où j’appréciais l’amour courtois : d’abord, il lui ordonne de lui donner à manger puis, voyant qu’elle a un anneau au doigt, il se précipite pour le lui prendre. Il se conduit comme un vrai goujat. J’étais absolument stupéfait et je me suis rendu compte qu’il y avait un underground de l’amour courtois.
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