J.B.G. Mais tout de même, en mathématiques par exemple, il y a des choses que l’on apprend.
F.L.L. Oui, j’ai suivi l’enseignement des mathématiques, je l’ai accepté, plus que pour la littérature ou l’art, c’est vrai, mais même là, je ne dois pas beaucoup à l’enseignement officiel. Je dois beaucoup plus mes connaissances scientifiques ou mathématiques à des conversations avec des professeurs qu’à nos cours. J’ai par exemple très bien connu Maurice Fréchet, qui est un très grand mathématicien de la première moitié du vingtième siècle. Je l’ai connu par des relations de famille, et nous avons eu des conversations qui ont déchiré des voiles. En classe, naturellement, j’apprenais le cours, mais je l’apprenais plutôt par des livres que par le cours. Le livre était moins sec pour moi que le cours, à condition que le livre soit bien fait et que j’y mette un peu du mien.
J.B.G. À l’époque de cette composition d’histoire, vous étiez déjà plutôt matheux ? Vous aviez déjà fait un choix ?
F.L.L. Oui, j’avais fait un choix, mais multidimensionnel. En effet, ce qui dans l’attelage allait le mieux, c’était les maths. Je vous ai raconté comment j’ai eu ma vocation mathématique avant ma septième année : ça ne m’a jamais lâché, pas un jour de ma vie. Je n’ai jamais vécu un seul jour, même quand je souffrais beaucoup, sans avoir, au moins quelques minutes pour les mathématiques – quelques minutes ou quelques heures.
Dans mon profil général, les mathématiques ont certainement une place à part, différente de tout le reste, et de tout temps. Les mathématiques étaient déjà à ce moment-là une dominante.
D’ailleurs, aussi multidimensionnel qu’on puisse être ou désirer être, je pense qu’il serait difficile, et pas désirable, d’être égal en tout. C’est même impossible. Il me semble que tout être humain normalement constitué devrait avoir un minimum d’intérêt en mathématiques, en chimie, en peinture, en musique, dans les exercices physiques, dans la nature, les échecs, etc., et une dominante ici ou là. Pour moi, ce sont les mathématiques. Au-dessus du minimum, j’avais ma passion de la musique, du roman populaire, mais encore au-dessus, les mathématiques. Je pense qu’il est à peu près impossible que le disparate soit du disparate à égalité.
Il y a des dominantes. Ma dominante, ce sont les mathématiques, Je suis prêt à leur sacrifier le reste – d’ailleurs, je leur ai sacrifié les échecs, la poésie, la musique. J’ai choisi les mathématiques comme cet objet choisit de tomber si je le lâche, puisqu’il est attiré par le centre de la terre. Mon centre de la terre, ce sont les mathématiques, c’est en quelque sorte une chose naturelle.
J.B.Q. Dans votre progression en mathématiques, il a dû y avoir, à un certain moment, un saut qualitatif.
F.L.L. Le saut qualitatif, je l’avais fait dans mon enfance ! J’avais découvert qu’elles étaient merveilleuses, qu’elles étaient du délire, du vertige, avant ma septième année. C’est vraiment là la sortie du ventre.
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