Archives de catégorie : Formule entière

Absurde et ridicule à force d’être rose, — 1873 (14)

Charles Cros Le coffret de santal

Révolte

Absurde et ridicule à force d’être rose,
A force d’être blanche, à force de cheveux
Blonds, ondés, crêpelés, à force d’avoir bleus
Les yeux, saphirs trop vains de leur métempsycose.

Absurde, puisqu’on n’en peut pas parler en prose,
Ridicule, puisqu’on n’en a jamais vu deux,
Sauf, peut-être, dans des keepsakes nuageux …
Dépasser le réel ainsi, c’est de la pose.

C’en est même obsédant, puisque le vert des bois
Prend un ton d’émeraude impossible en peinture
S’il sert de fond à ces cheveux contre nature.

Et ces blancheurs de peau sont cause quelquefois
Qu’on perdrait tout respect des blancheurs que le rite
Classique admet: les lys, la neige. Ça m’irrite!

Q15 – T30

Bibelots d’emplois incertains, — 1873 (12)

Charles Cros–  Le coffret de santal

Préface

Bibelots d’emplois incertains,
Fleurs mortes aux seins des almées,
Cheveux, dons de vierges charmées,
Crêpons arrachés aux catins,

Tableaux sombres et bleus lointains,
Pastels effacés, durs camées,
Fioles encore parfumées,
Bijoux, chiffons, hochets, pantins,

Quel encombrement dans ce coffre!
Je vends tout. Accepte mon offre,
Lecteur. Peut-être quelque émoi,

Pleurs ou rire, à ces vieilles choses
Te prendra. Tu paieras, et moi
J’achèterai de fraîches roses.

Q15 – T14 – octo

Toi, dont les yeux erraient, altérés de lumière, — 1873 (10)

Le tombeau de Théophile Gautier.

Leconte de Lisle

A Théophile Gautier

Toi, dont les yeux erraient, altérés de lumière,
De la couleur divine au contour immortel,
Et de la chair vivante à la splendeur du ciel,
Dors en paix dans la nuit qui scelle ta paupière.

Voir, entendre et sentir? Vent, fumée et poussière.
Aimer? La coupe d’or ne contient que du fiel.
Comme un dieu plein d’ennui qui déserte l’autel,
Rentre et disperse-toi dans l’immense matière.

Sur ton muet sépulcre et tes os consumés
Qu’un autre verse ou non les pleurs accoutumés;
Que ton siècle banal t’oublie ou te renomme;

Moi, je t’envie, au fond du tombeau calme et noir,
D’être affranchi de vivre, et de ne plus savoir
La honte de penser et l’horreur d’être un homme.

Q15 – T15

Orner le monde avec son corps, avec son âme, — 1873 (9)

Charles Cros Le tombeau de Théophile Gautier

Morale

Orner le monde avec son corps, avec son âme,
Etre aussi beau qu’on peut dans nos sombres milieux,
Dire haut ce qu’on rêve et qu’on aime le mieux,
C’est le devoir, pour tout homme et pour toute femme.

Seuls les déshérités du ciel, qui n’ont ni flamme
Sous le front, ni rayons attirants dans les yeux,
S’effarant de tes bonds, lion insoucieux,
T’en voulaient, mais le vent moqueur a pris leur blâme.

La splendeur de ta vie et tes vers scintillants
Te défendent, ainsi que les treize volants
Gardent rose, dans leurs froufrous, ta Moribonde.

Elle et toi, jeunes, beaux, pour ceux qui t’auront lu
Vous vivrez. C’est le prix de quiconque a voulu
Avec son corps, avec son âme orner le monde.

Q15 – T15

Devant toi l’Eléphant, dressant en l’air sa trompe, — 1873 (8)

Théophile GautierPoésies libertines

A la Présidente

Devant toi l’Eléphant, dressant en l’air sa trompe,
De son phallus géant décalotte la peau;
Le régiment qui passe agite son drapeau,
Et le foutre jaillit comme par une pompe.

Tu n’as qu’à faire voir, pour qu’un saint se corrompe,
Ta gorge étincelante où tremble un oripeau;
Des cardinaux romains sous son rouge chapeau
Le vit pontifical se raidit tant qu’il rompe.

Les nymphes de Rubens, remuant le jambon,
Livrent des reins moins blancs au flôt qui les emperle
Que toi lorsque ton bain sur ton beau corps déferle.

Ton regard dans les coeurs tombe comme un charbon.
Près de toi je vivrais au fond d’une masure:
Il n’est pas de taudis que ton amour n’azure.

Q15 – T30 – Gautier, jusqu’au bout, est resté fidèle à l’éléphant et à la rime ‘ompe’.

Il est mort le poète aux rimes enflammées, — 1872 (46)

Alfred Gabrié in Dominique Fernandez : Ramon (2009)

Sonnet (poème manuscrit sur la mort de Théophile Gautier)

Il est mort le poète aux rimes enflammées,
Le chantre d’Albertus, ouvrier glorieux,
Qui de son style d’or cisela les Camées,
Et sur l’art pur posa son pied victorieux.

Amoureux de la forme, il chante les Almées,
Les rêves de la chair, doux et mystérieux ;
Les chauds enivrements, les passions calmées,
Et dans tout il posa son regard curieux.

Son vers, tout parfumé de parfum poétique,
Fait revivre en nos cœurs le culte de l’Antique,
Seul Dieu qu’il adorât plus que les chastes Soeurs ;

Mais hélas ! lui, poète ennemi du squelette,
Sous notre loi moderne a dû courber la tête,
Et livrer son cadavre aux sombres fossoyeurs!

Q8  T15

Sous sa peau jaune et sèche on voit saillir les os. — 1872 (44)

La ligue des poètes

La femme maigre

Sous sa peau jaune et sèche on voit saillir les os.
On compte sans effort les côtes, les vertèbres,
Qui dessinent en creux sa poitrine et son dos.
Pitoyables reliefs, revêtements funèbres !

Les bras sont des bâtons ; les jambes, des fuseaux.
Les appas, ignorés dans de justes ténèbres,
Plats, recroquevillés, adorent à huis clos,
Mais, hélas ! de trop loin, le feu, comme les Guèbres.

Bondissant au seul nom d’amour, de volupté,
Son cœur mendie en vain : nul n’a de charité
Pour ce vieil amadou qui quête une étincelle.

Enfin, dans la prière ardente et les romans,
Ayant trompé sa soif, aiguisé ses tourments,
Pauvre lampe sans huile, elle meurt demoiselle.

Hégésippe Cler

Q8  T15

Colosse féminin, citadelle charnue, — 1872 (43)

La ligue des poètes

La femme grasse

Colosse féminin, citadelle charnue,
Elle traîne en soufflant son corps pharamineux.
Rien qu’à lever un doigt, elle rougit et sue.
Oter, mettre ses bas, travail vertigineux !

Pour contenie sa taille, où la graisse remue,
Il n’est pas de lacets, de cordons ni de nœuds.
Spectacle plein d’horreur ! On voit, quand elle est nue,
Trembloter vaguement ses seins gélatineux.

Elle est femme, pourtant. Colombe poétique,
Il faut à ses baisers quelque jeune homme étique,
Depuis que son mari, vaillant jouteur, n’est plus.

Hélas ! un accident le ravit à sa flamme.
Sur sa couche, une nuit, rêvant, la pauvre dame
Se retourna si mal qu’elle s’assit dessus !

Hégésippe Cler

Q8  T15

Comme eux, faut-il entrer en lice — 1872 (41)

–                La Ligue des poètes

Comme eux, faut-il entrer en lice
Avec un sabre de carton ?
Pour moi ce serait un supplice,
Car j’ai de la barbe au menton.


Mais, s’il faut boire à ce calice,
Moi, vieux disciple de Caton,
Je veux, pour punir leur malice,
Armer mon bras d’un gros bâton.


Guerre aux ennemis de la LIGUE !
Sachons opposer une digue
Aux erreurs dont ils sont imbus,


Pour ne pas tomber dans leur trappe,
Amis, il est temps que l’on frappe
Sur l’ignorance et ses abus !

Le Vicomte C. de Roussillon

Q8  T15  bouts-rimés   octo