140. Un artichaut qui sent ses feuilles s’en aller

Ce sont mes rencontres avec la société qui m’ont poussé à composer mon disparate. J’ai rencontré très tôt tout ce qui est culturel ou intellectuel, les choses pour lesquelles il n’est pas besoin d’expérience de la vie pour les aimer : les mathématiques, l’herbe, la musique, les chats, la rêverie, les échecs. Ensuite, quand j’ai rencontré les hommes, l’humanité, les difficultés de la vie, j’ai résolu certaines autres choses ; et même pendant la guerre – la deuxième, c’est-à-dire très tard – j’ai eu encore l’occasion d’enrichir mon disparate dans l’action violente.

Et puis, il y a une autre conquête dans le disparate : au fur et à mesure que je vieillis, je vois mes capacités, physiques et intellectuelles, diminuer, je suis un artichaut qui sent ses feuilles s’en aller. De fait, je m’en accommode très bien et c’est une forme de disparate.

Evidemment, je commencerai à m’en accommoder moins bien quand je souffrirai terriblement d’une chose ou d’une autre, mais ce n’est pas dit que ça viendra. Dans le vieillissement et dans la marche à la mort, il n’y a rien qui m’inquiète ni rien qui m’ennuie et je pense que je peux avoir une vie fort intéressante en allant en diminuant. Pourquoi cela ? Parce que je, crois que je maintiens une certaine cohérence entre les choses qui restent, au fur et à mesure que des choses s’en vont, je rassemble ce qui reste et je vis dans un appartement de plus en plus petit mais je garde l’essentiel.

J.M.L.L. Ça te permet de te débarrasser des choses auxquelles tu ne tenais pas tant que ça…

F.L.L. Exactement… mais attention ! ça me permet de me débarrasser des choses intéressantes au profit des plus intéressantes.

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