Mes rapports avec Alekhine. [Ce titre ce trouve dans le manuscrit]
Nous avions des déjeuners dans lesquels il buvait énormément, ou à la Régence ou à la Rotonde du Palais Royal, une rotonde vitrée dans les jardins du Palais Royal où venaient beaucoup de joueurs d’échecs. On ne jouait pas, nous discutions. Je lui parlais de parties anciennes ; je connaissais le passé mieux que lui, lui connaissait mieux toutes les parties depuis Anderssen. Souvent, pendant que nous déjeunions, je lui refaisais une partie – nous n’avions, ni l’un ni l’autre, besoin d’un échiquier – et on en discutait. Je lui montrais qu’il y avait déjà les prémisses du jeu hypermoderne, qu’on fait remonter à la première guerre avec Breyer et Reti, dans Louis Paulsen vers 1850, et même avant, dans Staunton vers 1830/40.
J’ai recommencé, d’ailleurs, avec Spassky et Petrossian ; ils étaient stupéfaits aussi de voir que tout se trouvait déjà, informe et un peu flou, certes.
Un jour, je dis à Alekhine que je viens de découvrir une finale d’une partie vraiment brillante. Elle avait été jouée entre Anderssen qui était prof de maths à Breslau et l’un de ses élèves, Zukertort – il a été le vengeur d’Anderssen, il s’est dressé contre Steinitz – un garçon brillant. Dans cette partie que je décrivais à Alekhine, Anderssen rendait la Tour à Zukertort – qui jouait déjà très bien – et à un moment donné il s’agissait pour lui de monter une attaque de mat qui réussisse sur le roque côté roi de Zukertort – il ne s’agissait plus de gagner en fin de partie, c’était vraiment difficile de regagner tout ce matériel. Je dis à Alekhine : “Voilà une position dans laquelle il s’était trouvé : Anderssen avait toujours une tour de moins mais une attaque amorcée contre le roque. Il a fait nul par une combinaison brillante. Trouvez ce que c’est.” Il réfléchit un peu, pas longtemps, Alekhine était aussi rapide que pouvait l’être Anderssen en son temps, et il me donne la solution, brillante en effet, d’Anderssen. Puis nous parlons d’autre chose, on continue à manger et à boire. Tout à coup il me dit : “Il pouvait gagner, il y a une autre combinaison.” Et il me donne une combinaison beaucoup plus surprenante.
J’ai raconté cette histoire dans les Cahiers de l’Echiquier Français sous la rubrique : Et maintenant, que joueriez-vous dans cette position ? J’ai reçu des réponses de lecteurs, je les ai publiées et j’ai reçu d’autres lettres me disant que Alekhine n’avait peut-être pas trouvé, que c’était assez ténébreux, il y a eu des échanges pendant plusieurs numéros de suite. Je crois que c’est épuisé maintenant, mais ce n’est pas sûr. Finalement, je crois que c’est gagnant.
__________________
à la Régence ou à la Rotonde du Palais Royal
Si le temps est trop froid ou trop pluvieux, je me réfugie au café de la Régence; là je m’amuse à voir joue aux échecs. Paris est l’endroit du monde, et le café de la Régence est l’endroit de Paris où l’on joue le mieux à ce jeu. C’est chez Rey que font assaut Legal le profond, Philidor le subtil, le solide Mayot; qu’on voit les coups les plus surprenants, et qu’on entend les plus mauvais propos; car si l’on peut être homme d’esprit et grand joueur d’échecs, comme Legal; on peut être aussi un grand joueur d’échecs, et un sot, comme Foubert et Mayot.
Diderot, le Neveu de Rameau (vers 1773). Si ce passage de DD est un efficace plagiat par anticipation du discours tenu par FLL, il y est aussi question de suivre une courtisane, la quitter pour une autre,
les attaquant toutes et ne s’attachant à aucune. Mes pensées, ce sont mes catins.
Joli disparate sans analogue dans celui de FLL. MA
Post a Comment