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Année décisive dans l’histoire du sonnet. Certes Nestor de Lamarque (1) donne encore une traduction de l’italien (de Vicenzo Monti). Et Viollet-Leduc, « auteur de plusieurs ouvrages », dans son Précis d’un traité de Poétique et de Versification, … ne se montre guère élogieux. » Du sonnet – Le sonnet a été considéré long-temps comme le poème par excellence et le plus difficile à exécuter. Boileau paraît être encore de cet avis. On a bien appelé de ce jugement . … par les préceptes de Boileau, on voit que le sonnet est composé de quatorze vers d’une même mesure. Les premiers vers sont partagés en deux quatrains; ils roulent sur deux rimes, qu’il faut y placer dans le même ordre. Les six derniers vers, qui doivent rimer différemment des premiers, sont partagés en deux tercets, dont les deux premiers vers sont du même genre. Les quatre autres vers qui terminent la pièce, forment un quatrain dont les rimes doivent se trouver dans un ordre différent de celui qu’elle ont dans les deux quatrains. Il est de rigueur qu’après chacun des quatrains qui commencent la pièce et le premier tercet, il doit y avoir un repos, et que le sens doit être complet. … on s’était plu à accumuler tellement les entraves pour la composition de cette pièce bizarre, que le sonnet sans défaut dont parle Boileau est encore à trouver, et qu’on a renoncé avec raison à chercher ce phénix. »
Mais en offrant à Victor Hugo, à l’occasion de son mariage, l’exemplaire des oeuvres de Ronsard sur lequel il avait travaillé, Sainte-Beuve attirait l’attention de l’avant-garde sur le sonnet. Outre le 4, de Sainte-Beuve lui-même, il contenait celui d’Ernest Fouinet, celébrant le mariage de son ami Victor (2), et le 3, que Fontaney avait adressé à Victor Hugo, le 19 août 1829, au moment où le poète venait de refuser l’indemnité que lui offrait le ministère, en compensation du refus de laisser jouer Marion Delorme. (Les Annales Romantiques le publièrent l’année suivante). (Fouinet est l’introducteur du Pantoum dans la poésie française)
Et ce fut, enfin, la sortie de l’opuscule Sainte-beuvien, Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, où se trouvent douze sonnets. Outre le 4 déjà mentionné, on y lit un sonnet sur le sonnet, (5), où Sainte-Beuve adapte Wordsworth au contexte français en mentionnant Du Bellay à côté de Ronsard. Des sonnets d’inspiration personnelle du livre, le 6 est caractéristique: plutôt bêlant (le ton bêlant, s’il est naturel pour l’expression des sentiments chez le mouton, n’est pas nécessairement à recommander pour la poésie humaine).
Sainte-Beuve ne connaissait que très superficiellement la poésie de Wordsworth, et la poésie anglaise en général (où le renouveau de la forme-sonnet datait déjà de presque trois-quarts de siècle (la ‘Sonnet-Revival’ de 1758)). Ce n’est en tout cas pas la forme du sonnet anglais qu’il emprunte. (On a proposé d’autres modèles: Pouchkine, par exemple!). Les n°s 4 à 6, comme 11 des douze sonnets du recueil de 1829, sont du type dominant chez Ronsard quatrains abba abba, tercets ccd eed).
Les Romantiques, à l’exception de Sainte-Beuve, n’ont composé qu’un petit nombre de sonnets. Il est difficile de savoir si c’est par fausse modestie, par une sorte de dénégation perverse, que Sainte-Beuve écrivait, en 1862 (cinq ans après la première édition des Fleurs du Mal), alors qu’on lui faisait gloire d’avoir réintroduit le sonnet dans la poésie française (éloge qu’il accepte, avec quelque mauvaise foi): « jamais les grands poètes de ce temps-ci n’ont fait de sonnets: ceux de Musset sont irréguliers, Lamartine et Hugo n’en ont fait d’aucune sorte, Vigny non plus. Les cygnes et les aigles, à vouloir entrer dans cette cage y auraient cassé leurs ailes. C’était affaire à nous autres, oiseaux de moins haut vol et de moins large envergure. Certes, et je ne l’ai pas oublié, tous les grands poètes de la Renaissance ont fait des sonnets: qui ne connait ceux de Dante, de Shakespeare, de Milton? C’était alors un genre à la mode, et chacun lui payait tribut en passant, une fois au moins dans sa vie. De nos jours le sonnet a été un genre restauré, légèrement artificiel, une gageure ou une gentillesse. Ceux de nos maîtres qui n’y étaient point intéressés par curiosité ou par goût s’en sont passé et n’ont que faire de cette prison. Je me flatte d’être le premier chez nous, qui ait renouvelé l’exemple du sonnet en 1828; mais je n’en ai jamais fait que de temps à autre, par-ci par-là, et en entremêlant cette forme aux autres rythmes plus modernes » (Il y en a quand même 93 dans ses oeuvres complètes). (On remarque qu’il ne mentionne pas Ronsard).
Profitons de l’occasion pour examiner le cas des Romantiques qui viennent d’être cités. Lamartine a dédaigné le sonnet, c’est vrai, mais en traduit un, de Pétrarque, dans son cours de litrtérature. Vigny en a quelques uns, 6 en tout, marginaux dans son oeuvre. Musset en a produit 29, que Sainte-Beuve traite dédaigneusement ‘d’irréguliers’, ce qui suppose qu’il sait ce qu’est un sonnet régulier.
Le cas de Hugo est intéressant. On en trouve 5 dans son oeuvre poétique, plutôt vaste, 1 dans le ‘Théâtre en liberté » Ils sont tous postérieurs à 1862. L’un, daté de juillet 1870, a paru dans Les quatre vents de l’esprit ; les quatre autres dans Toute la lyre (le premier dédié à Judith Gautier). (L’idée de sonnet est si peu associée à Hugo que des rares auteurs qui ont parlé de la question, certains affirment qu’il n’en a jamais écrit, d’autres lui en attribuent un seul; même Rachel Killick (qui a fait la seule étude sérieuse de la forme du sonnet au dix-neuvième siècle) se trompe, qui ne lui en accorde que quatre!). On les trouvera tous plus loin dans cet ouvrage.
L’année 1829 s’achève par un sonnet de Musset (7), qui n’a pas perdu de temps pour s’y mettre et l’insérer dans ses Contes d’Espagne et d’Italie.