Archives de catégorie : Formule entière

Pommiers du 6 avril aux laies de Saint-Germain — 1998 (7)

Jacques DarrasPetite somme sonnante

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Pommiers du 6 avril aux laies de Saint-Germain
Pommiers pommes rosacées dans les corolles épanes
Pommiers pommes de demain cueillies dans les deux mains
Pommiers essaims en fleurs où bourdonnent les essaims
Pommiers dans le ciel bleu qui chante comme une ruche
Pommiers cire liquide limpidité du vin
Pommiers passant sous vous je m’exalte sous vos voûtes
Pommiers l’admiration religieuse me retient
Pommiers l’exclamation se profile sur ma bouche
Pommiers je suis en cidre rien qu’à vous contempler
Pommiers je suis l’automne je n’attendrai pas mai
Pommiers vos pétales choient avant que chutent vos pommes
Pommiers d’Eve vous êtes la robe de mariée
Pommiers la frondaison pommiers vous nous fondez.

bl – m.irr.  sns

La Fontaine vient à moi de la marche du distrait — 1998 (6)

Jacques DarrasPetite somme sonnante

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La Fontaine vient à moi de la marche du distrait
Il me traverse le coprs comme un bois qui s’anime
Et que Rimbaud l’Ancien eût traversé d’un trait
Poussé par la vision de quelque bleu de Nimes
Dont lui aurait dit mot mourant Germain Nouveau
A la porte des chapelles d’Aix faisant la manche,
La Fontaine se divise en belettes en blaireaux
Les renards l’accompagnent museau contre la hanche
C’est un cortège pluriel qui d’Ardenne nous revient
Par la route de l’Aisne, les ânes, les lions, les bêtes
Les plus minces comme les plus communes, le chien
Les moucherons autour de sa perruque dansent
Un scalp picard indien, il y a même un ours
Porteur d’une pierre tombale – antiques Chronopostaux.

bl – m.irr.  sns

Pourquoi faut-il qu’en France d’équilibre revenu — 1998 (5)

Jacques DarrasPetite somme sonnante

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Pourquoi faut-il qu’en France d’équilibre revenu
A la forme sonnetière du fond de tes lointaines
Terres nordiques frontalières au galop des vents
Béantement ouvertes comme une porte sur ses gonds
Qui battrait et le déplacement de l’air assommerait,
Tu retrouves d’instinct le lit géographique
Qui au milieu des champs des forêts des étangs
Accueille coulant la langue d’une eau claire peu profonde
Comme si La Fontaine fût le nom d’un poème

Anonyme éternel où nous viendrions baigner
Nos rêves de satyre dans les ébats des nymphes
A chair blanche qui offrissent leur sein sans effroi
– Il y a une caresse secrète dans les langues
Une agression première par la main désarmée

bl – m.irr. sns

Le sonnet, me dis-tu – je mangeais un merlan — 1998 (4)

Jacques DarrasPetite somme sonnante
Soixante-et-onze sonnets
I

1

Le sonnet, me dis-tu – je mangeais un merlan
Que le menu m’avait décrit comme « en colère »
Mais dont l’ire apparente par frayeur s’était tue
Devant les saillies marines de la cuisinière –

Le sonnet repris-tu – tandis que ton regard
Plongeait par la vitre d’aquarium nous séparant
De la rue, du parapet du pont sous lequel
Coule la Seine au pied de l’aile du Louvre d’un plastique

Habillée (l’architecture est de la cuisine
Appliquée aux belles pierres) -, le sonnet – tu te tus
Presque alors cependant qu’une arête luttait,

La seule, la dernière contre ma glotte courroucée,
Rebelle entrée en rébellion par manque d’audace
De Poisson Père – doit être d’un bloc pour être cru.

bl – m.irr. – sns s sur s

J’aime entre tous pays mon Neuflize NATAL, — 1998 (2)

Luc Etienne in Nicolas Galaud et Pascal Sigoda – L.C. Ingénieur du langage

Le conquérant immobile
Bout-rimé. Sujet donné: La paix des champs, sur les rimes des ‘Conquérants » de Heredia

J’aime entre tous pays mon Neuflize NATAL,
Ses maisons aux murs blancs, ni hautes ni HAUTAINES,
Qui n’ont pas vu grandir de fameux CAPITAINES
Et semblent se moquer du noir progrès BRUTAL.

Après avoir peiné pour quelque vil METAL
Je viens me reposer, des villes si LOINTAINES
Dans l’herbe je m’étends. Tout un peuple d’ANTENNES
M’entoure, m’isolant du monde OCCIDENTAL.

Je rêve lentement de voyages EPIQUES,
Orages périlleux, chasses sous les TROPIQUES
Puis retour triomphal, luxe, palais DORE;

J’ai ramené d’or pur trois blanches CARAVELLES,
Non, mais je suis heureux, dans ce monde IGNORE
Et je n’ai pas besoin, moi, d’étoiles NOUVELLES

Q15 – T14 – banv – b.rim

J’ai votre odeur sur moi — 1998 (1)

Paul-Louis Rossi – in  Sources, (Namur)

La bayadère

J’ai votre odeur sur moi
Violente qui venez me prendre
Dans un sillage chaque fois
Que la nuit se fait attendre

Je vois le buste et l’épaule
A la clarté d’une étoile
Et je ne voudrais plus laver
La main qui vous a touchée

Comme un animal fabuleux
Chaque soir qui désespère
Du désir de la bayadère

Qui ne reconnaît ni l’oeil
Ni la bouche que vient lécher
Votre corps miraculeux

bl – m.irr.

L’escargot que j’avais au temps sec remarqué — 1997 (8)

Robert Marteau Rites et offrandes (2002)

(Attichy, mardi 26 août 1997)

L’escargot que j’avais au temps sec remarqué
En un même lieu fixé sur la même tige,
Voilà qu’il s’est mis en chemin depuis la pluie.
Je le vois: il va, il s’arrête, s’alimente

D’un fragment végétal qu’il a choisi, qu’il broie,
Qu’il incurgite suavement. Ses antennes
Palpent l’air, sondent visuellement l’espace,
Périscopes subtils qui s’emploient à trier

Les images, mais aussi les vibrations.
Il n’insiste pas, s’éloigne en réfléchissant,
Maintenant goûte au débris recroquevillé

D’un limbe que de ses mandibules mouillées
D’abord il bouge, puis mâche patiemment,
Car patient il est dans un âge sans fin.

bl – 12s- sns

L’église est debout au bord d’un champ de colza — 1997 (7)

Robert Marteau Rites et offrandes (2002)

(Dimanche 13 avril 1997)

L’église est debout au bord d’un champ de colza
Dont on voit le jaune au gré du vent fluctuer
Sans qu’une vague jamais atteigne le bleu
Qui descend, hémisphérique, impalpable étoffe

Sans reprise, inlassablement faite et défaite,
Fabuleuse invention qu’il nous faut connaître
Par la musique, et par la parole expliquer.
Un épervier se tient suspendu: appuyé

Sur ses ailes, il s’affronte aux souffles, surveille
Rectifie avec ses caudales l’altitude.
Toute la plaine va par ondes successives

S’évanouir où la forêt s’adresse, offerte
Verticalement, au ciel éclairé, carrière
Que le soleil parcourt sans y laisser d’ornières.

bl – 12s- sns

Je zuiz le ténébreux, le veuf l’inconzolé — 1997 (6)

Oulipo La Bibliothèque Oulipienne –  vol IV

El Dezdichado, ou S/Z

Je zuiz le ténébreux, le veuf l’inconzolé
Le prinze l’Aquitaine à la tour abolie
Ma zeule étoile est morte, et mon luth conztellé
Porte le zoleil noir de la mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, toi qui m’az conzolé,
Rendz –moi le Pauzilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaizait tant à mon coeur dézolé,
Et la treille où le Pampre à la vigne z’allie.

Zuiz-je Amour ou Phoebuz? … Luzignan ou Biron?
Mon front est rouge encor du baizer de la Reine;
J’ai rêvé dans la grotte où nage la Zyrène…

Et j’ai troiz foiz vainqueur traverzé  l’Achéron:
Modulant tour à tour zur la lyre d’Orphée
Les zoupirz de la Zainte et les criz de la Fée.

Q8 – T30

Madame je ne puis à ton Soleil descendre — 1997 (5)

Jacques Chessex Douze blasons

La fente

Madame je ne puis à ton Soleil descendre
Sans me représenter ausssitôt ton trépas
Bouche en poudre, poussière aussi de tes appas
De miel, de lait, de belle chair réduite en cendres

Pourtant je vais en toi Madame sans me rendre
Au conseil de la Mort qui me suit pas à pas
Je persiste à fouiller au doucereux repas
Vois de ce deuil promis je ne veux rien apprendre

De quel entêtement je vais à ton repaire!
Un insouciant désir préside à me distraire
Quand je me livre à ton très souhaitable feu

Je me fonds au profond de ta secrète fente
Où manger le Soleil rose parmi la pente
Et divertir la mort à ce funèbre jeu

Q15 – T15