Archives de catégorie : T21 – cdc ddc

Patiente luit séculaire —1991 (3)

Claude- Michel Cluny Oeuvre Poétique, I

L’olivier

Patiente luit séculaire
l’huile de lente clarté
Sa pluie-cendre et lumière
Est l’ombre de l’olivier.

Paix blonde à l’âme sévère
aiguise ma vérité
Epuise mon encre amère
profonde et pure à moitié.

Le temps me marqua, olivier
tors comme toi mais peu sage
sauf parfois en amitié.

L’encre éclairera ma page
(la nuit l’est par ton feuillage)
songe bref d’avoir été.

Q8 – T21 – 7s

Parmi les bruyères, penil des menhirs, – 1897 (21)

Alfred Jarry – Les jours et les nuits

Parmi les bruyères, penil des menhirs,
Selon un pourboire, le sourd-muet qui rôde
Autour du trou du champ des os des martyrs
Tâte avec sa lanterne au bout d’une corde.

Sur les flots de carmin, le vent souffle en cor.
La licorne des mers par la lande oscille.
L’ombre des spectres d’os, que la lune apporte
Chasse de leur acier la martre et l’hermine.

Contre le chêne à forme humaine, elle a ri,
En mangeant le bruit de hannetons, C’havann,
Et s’ébouriffe, oursin, loin sur un rocher.

Le voyageur marchant sur son ombre écrit.
Sans attendre que le ciel marque minuit
Sous le batail de plumes la pierre sonne.

Q17  T21 11s

Que ce sonnet ressemble aux galères royales, — 1896 (3)

Auguste AngellierA l’amie perdue

Que ce sonnet ressemble aux galères royales,
Qui traînent sur les flots des velours frangés d’or,
Et, sous un dais de soie aux splendeurs liliales,
Portent le lit d’ivoire où la reine s’endort;

Que des mots éclatants, bannières triomphales,
Il flotte pavoisé comme un mouvant décor;
Qu’un bruit charmant et doux de luths et de cymbales,
De violes d’amour, retentisse à son bord;

Qu’il soit resplendissant; que les salves de rimes
Eclatent hautement par le sabord des vers;
Qu’il vogue enveloppé par des souffles sublimes,

Arborant à son mat des lauriers toujours verts;
Car il porte ton nom souverain à travers
Les espaces du Temps et ses profonds abîmes.

Q8 – T21 – s sur s

Les femmes laides qui déchiffrent des sonates — 1891 (2)

Laurent TaihadeAu pays du muffle – Ballades et quatorzains –

Place des Victoires

Les femmes laides qui déchiffrent des sonates
Sortent de chez Erard, le concert terminé
Et, sur le trottoir gras, elles heurtent Phryné
Offrant au plus offrant l’or de ses fausses nattes.

Elles viennent d’ouïr Stanislas Talapoint,
Le pianiste hongrois que Le Figaro vante,
Et, tout en se disant du mal de leur servante,
Elles tranchent un cas douteux de contrepoint.

Des messieurs résignés à qui la force manque
Les suivent, approuvant de leur chef déjà mûr,
Ils eussent préféré le moindre saltimbanque.

Leur silhouette court, falotte, au ras d’un mur,
Cependant que Louis, le vainqueur de Namur,
S’obstine à regarder les portes de la Banque.

Q63 – T21

Fille de mon portier! l’Erymanthe sonore, — 1885 (10)

Victor HugoToute la Lyre
Roman en trois sonnets

I

Fille de mon portier! l’Erymanthe sonore,
Devant vous, sentirait tressaillir ses pins verts;
L’Horeb, dont le sommet étonne l’univers,
Inclinerait son cèdre altier qu’un peuple adore;

Les docteurs juifs, quittant les talmuds entr’ouverts,
Songeraient; et les grecs, dans le temple d’Aglaure
Le long duquel Platon marche en disant des vers,
Diraient en vous voyant: Salut! déesse Aurore!

Ainsi palpiteraient les grecs et les hébreux,
Quand vous passez, les yeux baissés sous votre mante:
Ainsi frissonneraient sur l’Horeb ténébreux

Les cèdres, et les pins sur l’auguste Erymanthe;
Je ne vous cache pas que vous êtes charmante,
Je ne vous cache pas que je suis amoureux.

Q17 – T21

Mélie a fini d’être sage — 1884 (1)

– Le Docteur (Georges) CamusetLes Sonnets du Docteur

Ecchymoses

Mélie a fini d’être sage
Et s’en mord les doigts maintenant.
Des taches d’un bleu chagrinant
Marbrent sa nuque et son corsage.

Ses compagnes d’apprentissage
Hochent la tête en la menant
Près d’un herboriste éminent,
Oracle attitré du passage.

Et la nigaude d’exposer
Un vallon noir, des sommets roses,
Où l’autre peut herboriser

Trouve un parterre d’ecchymoses,
Livides fleurs d’alcôve écloses
Sous la ventouse du baiser.

Q15 – T21 – octo

Peut-être pourrions-nous aimer, ma petite, — 1882 (4)

Le Chat Noir

Jean Moréas

A Maggy

Peut-être pourrions-nous aimer, ma petite,
Et goûter le bonheur charmant  d’un tendre amour;
Mais, il faut des brillants, des chapeaux Pompadour,
Et des mots truffés dans ce monde sybarite.

Si je dis que je t’aime et que mon coeur palpite
Quand je baise ta gorge au gracieux contour
Hélas! je ne suis pas un banquier de Hambourg,
Et tu me répondras  » que tu t’en bats l’orbite ».

Je voudrais te bâtir un frais cottage, au bout
D’un jardin parfumé d’aubépine et de rose
Pour que tu passes là contente le mois d’août.

Mais l’homme propose et le louis d’or dispose …
Et je n’ai que mon coeur qui ne vaut pas grand chose
Et mon corps fatigué qui ne vaut rien de tout.

Q15 – T21

Toi qui vis au dedans d’une chair vulnérable, — 1876 (11)

coll. Le Parnasse Contemporain, III

Alfred des Essarts

D’après Shakespeare

Toi qui vis au dedans d’une chair vulnérable,
En butte à l’ennemi que tu veux protéger,
O pauvre âme, pourquoi rechercher le danger
Et te rendre toi-même abjecte & misérable?

Ayant avec la vie un bail si peu durable,
Pourquoi parer un corps qui n’est qu’un étranger?
De riches ornements à quoi bon surcharger
Ta fragile demeure assise sur le sable?

Crois-tu qu’avec le corps il te faille finir?
Sa ruine est ta vie & sa douleur ta gloire;
Au prix d’un temps impur gagne un saint avenir.

Fais-toi de vrais trésors: le reste est illusoire.
Nourris-toi de la mort; que ce soit ta victoire:
Car, la mort étant morte, on ne doit plus mourir.

Q15 – T21  tr – s.146 « Poor soul, the center of my sinful earth … »

Quand tu ne seras plus, ô ma belle maîtresse, — 1873 (35)

Antoine Monnier

Requiem

Quand tu ne seras plus, ô ma belle maîtresse,
Quand sous le marbre blanc reposera ton corps ;
Quand de tes noirs cheveux l’interminable tresse
Ne s’embaumera plus que du parfum des morts ;

Lorsque que le ver aura sur ta gorge polie
Visqueusement laissé son baiser glacial ;
Lorsque l’arc amoureux de ta lèvre pâlie
A nu laissera voir ton rire sépulcral ;

J’étalerai tes os sur un coussin de moire,
Pour liens je prendrai ton collier ciselé,
Alors je dresserai ton squelette d’ivoire :

Dans mon lit s’étendra ton torse articulé ;
Et pour que notre amour aux temps soit révélé ,
Sur ton crâne luisant j’en graverai l’histoire.

Q59 T21

Quand on revient de Rome où le grave libraire, — 1869 (24)

Louis Veuillot

Les Salis

Quand on revient de Rome où le grave libraire,
Dans son réduit tout plein d’augustes vétustés,
Tient en si grand mépris l’article Nouveautés,
Paris étonne fort en sa mode contraire.

Comme masques hardis, vêtus de couleur claire,
Les volumes du jour grouillent de tous côtés ;
Et la vitre et le mur, et les journaux crottés
Invitent le public à les écouter braire.

Quel affreux carnaval d’histrions avilis !
Quels titres ! quel français ! La majesté romaine
Croirait, les approuvant, approuver des délits.

Nous l’entendons, pour nous, de façon plus humaine :
Sans nul tourment d’esprit, nous voyons sur la scène,
Ignoble et vomissant, le chœur de ces Salis.

Q15 – T21 – Veuillot a la réputation, méritée, d’avoir été un féroce réactionnaire, defenseur du catholicisme le plus rétrograde. Mais c’est, je pense, un remarquable praticien du sonnet.