Archives de catégorie : A4B4

La Ville expire au glas des cloches monotones — 1901 (12)

Léon Bocquet Flandre

Les cloches, II

La Ville expire au glas des cloches monotones
La ville triste meurt sans personne, personne! …
Dans le brouillard épais et morne de l’automne,
Des siècles de douleur aux vieilles cloches sonnent
.
Sanglots d’âme, sanglots éperdus et cris sourds,
Détresse de chair nue étreinte par l’amour,
Longs spasmes, longs soupirs, râle d’un néant lourd,
Les cloches, aux baisers du vent, souffrent toujours.

Qu’ils sont tristes, la nuit, lorsque le ciel pluvine
D’une petite pluie incessante et très fine
Où claque un vent mouillé comme un drap de cercueil!

Une pauvre lueur tremblote au réverbère,
Et, profilant son ombre jaune sur ce deuil,
Veille l’obscurité des quartiers de misère.

aaaa bbbb – T14

Jolis cœurs, vous faites les bons apôtres, — 1901 (3)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

Jolis cœurs

Jolis cœurs, vous faites les bons apôtres,
Et toi, chair, dans le stupre tu te vautres!
Et ceux qui disent tant de patenôtres
Ont tant de mauvais regards pour les autres!

On médite souvent un crime affreux
Tandis qu’on vous regarde, doucereux!
Et dans les moments des plus doux aveux
Le venin coule des yeux langoureux!

Tout meurt: la lèvre rose de Rosette
Comme la phrase exquise du poète!
Tout meurt dans le jour blanc et le noir soir!

Plutôt la Mort que cette hypocrisie!
Mais la Mort – (et mon âme aussi en est saisie!) –
Elle est fausse, elle aussi! … Mort donc l’Espoir!

aaaa bbbb – T15 – déca irr.

Les cloches bourdonnaient à coups sourds, lourdement, — 1892 (10)

Amédée Rouquès in Le Banquet

Chansons pour rire, II

Les cloches bourdonnaient à coups sourds, lourdement,
Et l’orgue, répondant du fond du monument,
Râlait grave en mon cœur livide, absolument
Sombré dans le deuil noir de cet enterrement

Les enfants pleuraient, les hommes pleuraient, les femmes
Pleuraient, et moi, les pleurs avaient noyé mon âme ;
Et mes yeux d’eau distinguaient à peine la flamme
Des cierges, et le prêtre, qui chantait ses gammes.

Et je me sentais plein d’un ineffable amour
Pour ces hommes que je ne connaissais point, pour
Ces femmes à genoux, aux si charmantes poses,

Ces cierges, ces voix d’enfants au timbre argentin,
Tous ces êtres perdus dans un brouillard lointain  …..
Quand je suis gris, c’est tout à fait la même chose.

aaaa bbbb T15

Voici venir le Soir, doux au vieillard lubrique. — 1883 (10)

Jules LaforgueLe sanglot de la terre

La première nuit

Voici venir le Soir, doux au vieillard lubrique.
Mon chat Mürr accroupi comme un sphinx héraldique
Contemple, inquiet, de sa prunelle fantastique
Marcher à l’horizon la lune chlorotique.

C’est l’heure où l’enfant prie, où Paris-lupanar
Jette sur le pavé de chaque boulevard
Ses filles aux sein froid qui, sous le gaz blafard
Voguent, flairant de l’oeil un mâle de hasard.

Mais, près de mon chat Mürr, je rêve à ma fenêtre.
Je songe aux enfants qui partout viennent de naître.
Je songe à tous les morts enterrés aujourd’hui.

Et je me figure être au fond du cimetière,
Et me mets à la place, en entrant dans la bière,
De ceux qui vont passer là leur première nuit.

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Devant l’ex-Napoléon-un — 1880 (23)

Cabriol in L’Hydropathe

Maurice Petit*

Devant l’ex-Napoléon-un
Il fait, le dimanche matin,
Ronfler, sous une dextre main,
Pour charmer maint, et maint et maint

Nez d’argent, que jadis la treille
Avait bourgeonné, mainte oreille,
Aux oreilles de sourd pareille,
L’orgue ! et pour cela j’appareille

Au plus haut mat de perroquet,
Le pavillon roux, bleu, blanc qu’est
Le pavillon du vrai courage.

A Maurice Petit je bois
Pour vouloir bien rajeunir d’âge
L’Invalide à la têt’ de bois.

* organiste aux Invalides

aaaa  bbbb T14  octo  on remarque la rime ‘un/ matin’

Souvenir, souvenir, que me veux-tu? L’automne — 1866 (13)

Paul VerlainePoèmes saturniens

Nevermore

Souvenir, souvenir, que me veux-tu? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détonne.

Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent,
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant:
« Quel fut ton plus beau jour? » fit sa voix d’or vivant,

Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.

– Ah! les premières fleurs, qu’elles sont parfumées!
Et qu’il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées!

aaaa bbbb – T14