Archives de catégorie : tara

Vers de 10 syllabes césuré en position 5

C’est moi le démon des trains dans le noir, — 1947 (4)

Henri ThomasLe monde absent

C’est moi le démon des trains dans le noir,
je fais s’étonner l’ouvrière lasse
qui regarde les lumières du soir
scintiller, danser, virer dans l’espace.

Les wagons seront comme des dortoirs
pour la fièvre, pour les images basses,
je tisonne dans les cœurs, je veux voir
un vieillard nerveux qu’une femme agace,

un adolescent qu’une main réveille,
et j’adore quand cet enfant s’allume
au vampire qui lui parle à l’oreille.

O les profondes chuchotantes nuits!
et quand l’aube vient, couleur d’amertume,
reboutonnez-vous, voyageurs surpris.

Q8 – T24 – tara

La plaie que depuis le temps des cerises, — 1944 (5)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

XXIII

La plaie que depuis le temps des cerises,
je garde en mon cœur s’ouvre chaque jour.
En vain les lilas, le soleil, les brises,
viennent caresser les murs des faubourgs.

Pays des toits bleus et des chansons grises,
qui saigne sans cesse en robe d’amour,
explique pourquoi ma vie s’est éprise
du sanglot rouillé de tes vieilles cours.

Aux fées rencontrées le long du chemin
je vais racontant Fantine et Cosette.
L’arbre de l’école, à son tour, répète

Une belle histoire où l’on dit: demain…
Ah! jaillisse enfin le matin de fête
où sur les fusils s’abattront les poings!

Q8 – T28  tara

Je l’avais compris un soir de légende — 1934 (5)

Patrice de La Tour du Pin La quête de joie

Je l’avais compris un soir de légende
Si profondément que j’en avais peur,
Et notre amitié devenait si grande
Que nous n’en pouvions saturer nos cœurs.

Je ne connaissais que toi de si rare,
De si lumineux dans le haut chemin;
Je croyais que seule la mort sépare
Et que ton absence aurait une fin.

Par les soirs cruels de l’indifférence,
Je vivais dans ta très douce présence,
Attendant des jours tranquilles et clairs.

J’ai veillé longtemps sans âme et sans force:
Peut-être as-tu su déchirer l’écorce
Qui voilait si mal un cœur si désert?

Q59 – T15 – tara – taratantaras (avec un couac métrique au vers 7: une césure ‘lyrique’)

Ce siècle est sans foi et je ne crois guère — 1930 (1)

Léon VeraneLe livre des passe-temps

Aveu

Ce siècle est sans foi et je ne crois guère
Au banquet promis prendre un jour ma part
Levant, à la fois, la lyre et le verre,
Parmi les élus auprès de Ronsard.

Errant de demain comme de naguère,
C’est assez, pour moi que le boulevard
Mène entre les haies de ses réverbères
Vers un tabouret au comptoir d’un bar.

Je n’appelle pas le Règne et le Trône,
Et tout couvre-chef m’est une couronne,
Satisfait d’avoir au fil des mes jours,

Bu d’un même cœur le vin et l’absinthe,
Et d’avoir conçu d’obscures amours,
Au long des trottoirs pour des filles peintes.

Q8 – T14 – tara

MAURICE BOUCHOR ET RAOUL PONCHON 1923 (11)

Jean Richepin Interludes

Sonnet acrostiche et mésostiche

MAURICE BOUCHOR ET RAOUL PONCHON
Avec vous j’ai fait Toutes mes retraites.
Un même plaisir Rassemblant nos crêtes,
Rougissait nos nez Au même cruchon.

Ivrognes sacrés, Oints du dieu Bouchon,
Celébrons sa messe, Usons ses burettes,
Et versons en nous les rouges aigrettes,
Bouchor, mon trésor, Ponchon, mon bichon !

On fait bien de rire ! On pleurera vite.
Un jour de bonheur N’est qu’un jour sans suite.
Celui-ci fut beau, Chers amis, tant mieux !

Hélas ! Quel cruel Hourvari nous presse !
On avait vingt ans ! … On s’éveille vieux ! …
Rien ! Plus rien ! Du vent !, Notre jeune ivresse !

Q15  T14 – banv –  tara  acrostiche

Le grésil frileux hérisse les mousses — 1920 (16)

Joséphin Soulary sonnets

Intus et in cute*

Le grésil frileux hérisse les mousses
Où je vous cueillais, rêve et muguet blanc.
L’âpre vent du nord, des mêmes secousses,
Bat l’âme oppressée et l’arbre tremblant !

Es-tu l’agonie, angoisse indicible ?
Es-tu le tombeau, nature insensible ?
Es-tu ‘l’oubli morne, horizon de fer ?

– Ne crois pas au sol enchaîné de glace,
Ne crois pas au cœur mort à la surface :
L’éternel printemps couve sous l’hiver.

Dans le fond du sol ses haleines douces
Font germer le chêne au giron du gland :
Dans le fond du cœur son souffle indolent
D’un nouvel amour fait poindre les pousses.

Q9  T15  tara  QTTQ

* « intérieurement et sous la peau. » (citation de Perse, satire III, v.30)

Maître, que l’on dit de Villon le frère, — 1913 (4)

Adrien RemacleLe Livre d’une jeunesse

Sonnet pour Paul Verlaine
« Il y eut plusieurs apôtres Paul, vers Damas  » Le Dépareillé
Argument: Paul, dans sa vie, un géant poète, effrayant, venant, leur frère, après les autres géants Charles d’Orléans, Villon, Vigny, Musset, Baudelaire, aussi grand qu’eux, aussi doux et tendre, plus doux et plus tendre qu’aucune tremblante brise humaine, et accroupi, acculé au roc d’une misère farouche qui était une grandeur de plus.

Maître, que l’on dit de Villon le frère,
Taureau très enfant, Platon sourcilleux,
Monstre en pleurs très doux de terribles yeux,
Humble et juste orgueil jadis et naguère,

Ton cœur si vibrant qui, délicat, erre
De l’amour humain vers celui des cieux,
Reste orphelin calme aujourd’hui que, vieux,
Ton amer Gaspard chante ta misère.

Tu n’as « balladé » tes belles margot;
Ni chanté « repue » en peine d’écot:
Tu restes dévot de la bonne Vierge,

Timide chrétien du péché confus,
Et, chantre indompté de l’horrible verge,
Quêtant du Seigneur pardons éperdus …

1886 Paris. Pavillon d’Assas

Q15 – T14 – banv – tara

J’aurais pu, je crois, tout comme les autres, — 1899 (4)

Paul RomillyMuse & Musette

Apostrophe

J’aurais pu, je crois, tout comme les autres,
Suer sans repos, me battre les flancs,
Hanneton rêveur, pondre des vers blancs,
Denués de sens autant que les vôtres.

Vous m’auriez crié « Te voilà des nôtres! »
Dupes volontiers de mes faux-semblants.
Prêtres maladifs aux cultes troublants,
Vous l’auriez compté parmi vos apôtres.

Mais je ne veux pas de ces lâchetés.
Vos suffrages sont trop cher achetés:
J’écarte la main que vous m’alliez tendre.

Hiboux clignotant d’un oeil hébété,
Nous ne sommes pas faits pour nous entendre:
Vous préférez l’ombre, et moi la clarté.

Q15 – T14 – banv –  tara

Préface de G. Vapereau (auteur du Dictionnaire des Contemporains) – Après deux siècles environ de discrédit, notre génération littéraire a ramené, pour le sonnet, une ère de faveur et d’éclat. L’école romantique, se souvenant qu’il remonte, par delà le règne trop longtemps célébré des maîtres classiques, à l’époque moins démodée de la Renaissance, l’avait repris comme l’étendard de la Pléiade. On s’y est attaché pour les prétendues difficultés de sa forme, pour les contrastes de mots ou d’images que sa concentration met en relief, pour ses effets de prosodie, je dirai presque d’acoustique, pour ses harmonieuses sonorités! Quelques-uns l’ont adopté, sans prétention ni arrière-pensées, comme le cadre le plus favorable d’une noble idée et d’un sentiment délicat. Grâce à ces diverses aspirations, les sonnets se sont de nouveau multipliés, et plusieurs ont paru digne de survivre. Une pensée d’amour mystérieux et discret, dans le ‘sonnet d’Arvers’, a suffi pour sauver le nom et le souvenir d’un poète voué, sans cet éclair, à un entier oubli. D’autres, comme Joséphin Soulary, ont produit des sonnets avec assez de continuité pour en former ses recueils, et, malgré leur travail acharné de ciselure littéraire, ils ne survivent auprès de la postérité, qui a commencé pour eux, que par l’ingéniosité du trait et la délicatesse du sentiment. Quant aux prosodistes qui cherchent avant tout, dans le sonnet, le mérite de la difficulté vaincue, comme celui qui a fait l’un des siens en quatorze syllabes, ils réalisent des bizarreries sans intérêt, et, s’il reste un souvenir de leurs tours de force, on a bientôt oublié les noms des acrobates des lettres qui les ont accompli.
M. Paul Romilly n’est pas de ces derniers. Malgrè sa facilité à tourner la stance, quatrain ou tercet, il affranchit le sonnet de quelques-unes de ses puériles exigences; mais il ne cesse d’y voir ce petit cadre savant qui fait ressortir en pleine lumière la pensée ou le sentiment, augmente l’éclat ou nuance la grâce. ….

Près de vous, très gente, ay laissé mon cueur, — 1891 (19)

Le concours de La Plume
(concours, troisième prix)

Sonnet pour Isabeau la gente Bachelette

Près de vous, très gente, ay laissé mon cueur,
Or vous l’avez prins, et votre ongle rose
Vistement lui fict sy terrible chose
Que femmes de Thrace au divin chanteur

Et, depuis ce temps, je vis tout morose,
Et le plus doux miel, la plus belle fleur
Me semblent sans goust, comme sans couleur,
Et de tout cela, cruelle, estes cause.

Mais, si le voulez, mignonne, oyez-moi:
Venez mettre un terme à mon grand émoy
Et bien-tost verray que seray tout aultre.

Belle, vous avez mon cueur déchiré;
Il me faut un cueur, où je périrai:
Or donc, pour le mien, donnez-moy le vôtre.

Jules Laloue

Q16 – T15 – on voit, à cet exemple burlesque (involontairement) à quel point il est difficile de ‘faire médiéval’ (un des plus beaux exemples est le ‘Jehan’ à deux syllabes, de l’abominable Rictus)

Je suis l’expulsé des vieilles pagodes — 1888 (9)

Charles CrosLe Collier de griffes

En Cour d’Assises

Je suis l’expulsé des vieilles pagodes
Ayant un peu ri pendant le Mystère;
Les anciens ont dit: Il fallait se taire
Quand nous récitions, solennels, nos odes.

Assis sur mon banc, j’écoute les codes
Et ce magistrat, sous sa toge, austère,
Qui guigne la dame aux yeux de panthère,
Au corsage orné comme les géodes.

Il y a du monde en cette audience,
Il y a des gens remplis de science,
Ça ne manque pas de l’élément femme.

Flétri, condamné, traité de poète,
Sous le couperet je mettrai ma tête
Que l’opinion publique réclame.

Q15 – T15 – tara