Archives de catégorie : T34 – cdd ece

..Mais, ni la pêche cressonière — 1924 (4)

Jean Tardieu in Margeries


Mots refoulés

..Mais, ni la pêche cressonière
D’un adjectif dormeur et lourd,
Ou bien d’un verbe de rivière
Qui, brusque, entre les algues, court,

Ni cette patience entière
De sertir un mot d’un discours
Comme s’il était de matière
Plus précieuse que l’entour,

Ne ternit mon amour du monde!
Je connais l’animal plaisir
De refouler sans les saisir

Mes mots – et, les yeux entr’ouverts
L’âme pendue à la seconde
D’accueillir absent l’univers.

Q8 – T34 – octo

Vierge feuillet, pensée ardente — 1921 (11)

Paul Morin Poèmes de cendre et d’or (ed. Jean-Paul Plante 1961)

Vierge feuillet, pensée ardente
Langueur des soirs de désaccords
Entre le trop paresseux corps
Et l’âme trouble et trépidante ;

Futile regret qui me hantes
Des spontanés poèmes, morts
De trop de parfums, de trop d’ors,
Dès leur naissance fulgurante ;

Ecrasé sous le fardeau du
Quotidien labeur obscur,
Moi, jadis frère de l’azur,

Faut-il que toujours je me lève,
Evoquant le rythme perdu
Des vers royaux qu’on fait en rêve ?

Q15  T34 – octo

Il part très atteint et sans mot dire ; — 1903 (7)

Dr Abdullah-Djevdet-Bey in La jeune Champagne

D’un amour répudié

Il part très atteint et sans mot dire ;
Ses douleurs et ses aveux d’amant
Il les garde comme un diamant
Dans son cœur qui n’a pas su maudire.

Un silence rogue l’accompagne :
Il va tuer son rebelle espoir.
Il s’éloigne à travers la campagne
Où se déploie un triste soir.

Devant lui s’étire le chemin
Et se peuple d’images fatales
Soûles d’extases orientales.

Bref fut l’espoir, longue est l’agonie,
Et voici que le rêve d’hymen
Nimbe la funèbre symphonie.

Q62  T34  9 syll (v.8 : octo !)

La vie est de mourir et mourir c’est naître — 1895 (16)

Verlaine in ed.Pléiade


Pour le Nouvel An
A Saint-Georges de Bouhélier

La vie est de mourir et mourir c’est naître
Psychologiquement tout comme autrement
Et l’année ainsi fait, jour, heure, moment,
Condition sine qua non, cause d’être.

L’autre année est morte, et voici la nouvelle
Qui sort d’elle comme un enfant du corps mort
D’une mère mal accouchée, et n’en sort
Qu’aux fins de bientôt mourir mère comme elle.

Pour naître mourons ainsi que l’autre année ;
Pour naître, où cela ? Quelle terre ou quels cieux
Verront aborder notre envol radieux ?

Comme la nouvelle année, en Dieu, parbleu !
Soit sous la figure éternelle incarnée,
Soit en qualité d’ange blanc dans le bleu.

Q63  T34   11s

Sur le blanc mausolée où repose Mercoeur, — 1842 (10)

Henri-Victor Drouaillet La guitare

Sonnet

Sur le blanc mausolée où repose Mercoeur,
Je lisais ces deux vers qui m’allèrent au coeur:
La victime du siècle est là sur cette tombe:
Anathème au vautour et paix à la colombe!

Ceci me fit rêver; lorsque la feuille tombe,
Me dis-je, nul ne sait où le vent la conduit;
Ainsi la gloire, après le jour descend la nuit.
L’astre à peine levé qu’il pâlit, qu’il succombe.

Cette pensée amère ébranla ma constance.
Je maudis mon destin, mes rêves superflus,
Je revins et j’ouvris mon Schiller, où je lus:

Cesse tes cris plaintifs, toi qui reçus du ciel
Ton rêve pour bonheur, ta foi pour récompense,
N’est- ce pas déjà trop pour un ingrat mortel?

Q24 – T34 Notable à deux titres: – d’une part les quatrains sont à trois rimes, le premier en rimes plates: aabb  ba’a’b ; mais on remarquera surtout la disposition des tercets, cdd  ece, disposition ‘italienne’ qui fait se rencontrer au vers 11 et 12 deux mots à finales masculines (lus / ciel), violation caractérisée de la règle d’alternance des rimes en vigueur alors depuis presque deux siècles.