Archives de catégorie : Q55- aabb a’a’b’b’

Visage pur, comme une treille au doux conseil, — 1960 (1)

Jean Le Louët Premiers sonnets

Licorne
Pour Anita

Visage pur, comme une treille au doux conseil,
Qui, l’iris dépouillé, cherche l’ombre du miel.
Visage pour moi seul, tel une eau qui s’épuise,
Nuançant sa pâleur d’autres ombres surprises.

A peine reconnu par une main vivante,
Les yeux plus délicats versent l’âme mouvante
A l’infini de l’être, à la mer qui s’éteint
Au beau lys étirant la gorge avec les seins ;

Car le cœur d’aussi blanche innocence s’exile
Au sommet d’une tour très soumise et fragile ;
Et l’on voit l’astre d’or de vos yeux sur son île

Traverser les rayons de pourpre de la bouche,
Et chercher dans le rêve un reflet de sa couche
Où vous dormez sans voix, puisque votre voix brille.

Q55  T4

Méandres, bleus surgeons de mon verbe quitté, — 1923 (2)

Jean RoyèreQuiétude

Strophe

Méandres, bleus surgeons de mon verbe quitté,
Horizontale nef, vaste suavité,
Dans la feuillée ardente et sur la mer soumise
Jase l’immense erreur de la strophe promise! ….

Quêteuse, qui trahis au toucher de l’aurore
Le spectre rose et or de notre hier sonore,
Ombre encore lovée et dont naîtra le jour,
Exorcise la mort du regret de l’amour!

J’acceptais que l’Azur nous tienne lieu de spasme:
– Ai-je connu vivant, un autre enthousiasme? …. –
Que l’astre nous disperse en un presque univers
Et fasse de nous deux le rythme d’un seul vers,

Qui se love, soleil, sur la vie océane
Et dont saignent le ciel, la mer et la savane!

Q55 – T13 = PL  – disp: 4+4+4+2  – Rimes plates

Encor vréman, bon Duvignô, — 1891 (1)

Le Chat Noir

Verlaine

A A. Duvigneaux
Trop fougueux adversaire de l’orthographe phonétique

Encor vréman, bon Duvignô,
Vou zôci dou ke lé zagnô
E meïeur ke le pin con manj,
Vou metr’ en ce courou zétranj

Contr(e) ce tâ de brav(e) jan
O fon plus bête ke méchan
Drapan leur linguistic étic
Dans l’ortograf(e) fonétic?

Kel ir(e) donc vous zambala?
Vizavi de cé zoizola
Sufi d’une parole verd(e).

Et pour leur prouvé sans déba
Kil é dé mo ke n’atin pa
Leur sistem(e), dizon-leur: ….

Q55 – T6 -octo

Vous aviez des cheveux terriblement — 1889 (26)

Verlaine Dédicaces

A Raoul Ponchon

Vous aviez des cheveux terriblement
Moi je ramenais désespérément ;
Quinze ans se sont passés, nous sommes chauves
Avec, à tous crins, des barbes de fauves.

La Barbe est une erreur de ces temps-ci
Que nous voulons bien partager aussi ;
Mais l’idéal serait des coups de sabres
Ou même de rasoirs nous faisant glabres.

Voyez de Banville, et voyez Lecon-
Te de Lisle, et tôt pratiquons leur con-
Duite et soyons, tes ces deux preux, nature.

Et quand dans Paris, tels que ces deux preux,
Nous rions, fleurant de littérature,
Le peuple, ébloui, nous prendra pour eux.

Q55  T14  10s

Le noir effondrement des ténèbres premières — 1888 (19)

Charles CrosLe Collier de griffes

(L’évocation des endormis)

Il faisait chaud à tomber, dans le salon.  Au milieu, devant la table et sous la lampe, une petite blonde contrefaite et phtysique écrit au crayon sur un cahier. Un monsieur, cheveux poivre et sel, rouge sur sa cravate blonde, tête à passions (pas en faire, mais en avoir – de mauvaises), se tient derrière le frêle médium. Il annonce:
– Nous commençons par m. X. Marmier, l’illustre voyageur, membre de l’Institut, qui se couche de bonne heure!
– Un tas de gens extatiques tendent le cou pour voir ce que la blonde va écrire.
– La blonde se tortille, casse trois crayons  et écrit …

………..

« Nous allons terminer la séance par le bouquet habituel: M. Victor Hugo!
La blonde pâlit et écrivit, avec la rapidité de l’éclair, ceci:


La chute

Le noir effondrement des ténèbres premières
S’accomplit. Et Satan, amoureux des lumières
Du punch, du vice impur et de l’orgie en rut,
Tomba du haut du ciel comme tombe un roc brut.

Il tomba si longtemps que les âges immenses
Sonnèrent tour à tour aux cloches des démences
Que Dieu mit çà et là dans l’espace sans bord.
Et plus bas que la vie, et plus bas que la mort,

Plus bas que le néant l’inaccessible cible,
Et plus bas que l’absurde et que l’inadmissible
Il tomba, ricanant de n’aller pas plus bas.

Il disait: C’est la fin des glorieux combats;
Il faut être vainqueur ou vaincu, mais bien l’être;
L’esprit veut me tuer? Je vivrai par la lettre!

Q55 – T13 – Entièrement en couplets plats.

On va criant partout – écho d’un fait lointain – — 1885 (6)

Ernest d’HervillyLes bêtes à Paris – 36 sonnets –

L’ours

On va criant partout – écho d’un fait lointain –
Que tu cueilles, toujours, pour ton lunch, ô Martin,
La fleur de nos lignards, sans regarder au grade;
Pour moi, je ne crois pas cela, cher plantigrade!

J’accorde que parfois tu ronges – triste mets,
Un parapluie ancien chû dans la fosse, mais
(Bonnes, dites-le haut) quand tu te désaltères,
Ce n’est pas dans le sang des galants militaires.

Non! – sous l’oeil des moineaux, gros bonhomme sans fiel,
L’ours mange du pain bis, et, comme Ezéchiel,
Il le trouve souvent couvert, mais non de miel.

Sous son poil à bonnets son coeur n’est pas de marbre;
L’enfance l’attendrit et, point essentiel,
Quand Bébé lui dit « Monte à l’arbre? » il monte à l’arbre!

Q55 – T3

Et vous viendrez alors, imbécile caillette, — 1873 (25)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Bonsoir

Et vous viendrez alors, imbécile caillette,
Taper dans ce miroir clignant qui se paillette
D’un éclis d’or, accroc de l’astre jaune, éteint
Vous verrez un bijou dans cet éclat de tain.

Vous viendrez à cet homme, à son reflet mièvre
Sans chaleur … Mais, au jour qu’il dardait la fièvre,
Vous n’avez rien senti, vous qui – midi passé
Tombez dans ce rayon tombant qu’il a laissé.

Lui ne vous connaît plus, Vous, l’Ombre déjà vue,
Vous qu’il avait couchée en son ciel toute nue,
Quand il était un Dieu! … Tout cela – n’en faut plus. –

Croyez – Mais lui n’a plus ce mirage qui leurre.
Pleurez. – Mais il n’a plus cette corde qui pleure.
Ses chants … – C’était d’un autre; il ne les a pas lus.

Q55 – T15 exemple (rare) de sonnet non autonome : il suppose qu’on a lu le sonnet précédent

Comme il était bien, Lui, ce Jeune plein de sève! — 1873 (24)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Déclin

Comme il était bien, Lui, ce Jeune plein de sève!
Âpre à la vie Ô gué ! … et si doux en son rêve.
Comme il portait sa tête ou la couchait gaîment!
Hume-vent à l’amour! … qu’il passait tristement.

Oh comme il était Rien! … – Aujourd’hui, sans rancune
Il a vu lui sourire, au retour, la Fortune;
Lui ne sourira plus que d’autrefois; il sait
Combien tout cela coûte et comment ça se fait.

Son coeur a pris du ventre et dit bonjour en prose.
Il est coté fort cher… ce Dieu c’est quelque chose;
Il ne va plus les mains dans les poches tout nu …

Dans sa gloire qu’il porte en paletot funèbre,
Vous le reconnaîtrez fini, banal, célèbre …
Vous le reconnaîtrez, alors, cet inconnu.

Q55 – T15

Soit que paisible au sein du foyer domestique, — 1843 (10)

François Ponsard in Oeuvres complêtes, III (1876)


A madame Dorval, après la représentation de Lucrèce

Soit que paisible au sein du foyer domestique,
Vous nous rajeunissiez le gynécée antique,
Et qu’ouvrant votre coeur à la douce pitié,
Vous charmiez le malheur  par des mots d’amitié;

Soit que vous commandiez, majestueuse et sainte,
Au crime audacieux le respect et la crainte,
« Et qu’un courroux auguste éclatant dans votre oeil,
Des regards de Sextus fasse baisser l’orgueil »;

Soit qu’appelant chez vous un tribunal intime,
Vous y comparaissiez, pâle mais plus sublime,
Pour l’exemple  à donner résolue au poignard;

Tout à tour gracieuse, ou sévère, ou funeste,
Aux mouvements du coeur empruntant votre geste,
Trois fois vous nous montrez la nature de l’art.

Q55 – T15 Quatrains: aabb  a’a’b’b’. Sans réfléchir, et par ignorance sans doute, mr Robb prend l’emploi de quatrains plats par Ponsard pour une plaisanterie !