Archives de catégorie : déca

décasyllabe

En ce couchant, Lycius, surgi ce — 1997 (3)

–  Philippe Jacottet in D’une lyre à cinq cordes

En ce couchant, Lycius, surgi ce
climatérique lustre de la vie,
chute est le pas pour si peu qu’il dévie
et toute chute aisément précipice.

Caduc le pas? Que l’esprit s’éclaircisse.
Peu à peu se disjoint la terre unie;
quelle raison par la poudre avertie
attendit que s’effondre l’édifice?

Non seulement de la peau la vipère,
Avec la peau, de l’âge se défait,
mais l’homme non. Aveugle cours humain!

Oh! bienheureux celui qui, déposée
la part pesante en la muette pierre,
la légère offre au saphir souverain.

Gongora

Q15 – T38 – déca – tr

Je suis tel riche auquel sa clé bénie — 1995 (9)

Daniel & Geneviève Bournet Sonnets de Shakespeare

Sonnet 52

Je suis tel riche auquel sa clé bénie
Ouvre son doux trésor cadenassé,
Qu’à tout moment il ne faut qu’il épie
Pour émousser l’aigu de volupté.

Fêtes sont donc solennelles et rares,
Disséminées en la longueur de l’an,
Comme pierres de prix maigrement parent,
Ou les maîtres joyaux dans leur carcan.

Le temps vous serre ainsi comme ma caisse,
Ou garde-robe où robe est au secret,
Pour faire instant spécial spéciale liesse,

Déployant neuf son orgueil prisonnier.
Bienheureux vous, dont dignité dispense,
Présent, triomphe, ou, absent, espérance.

Q60  T23 – disp quarto sh52  – déca

Comme partout ailleurs le ciel à Bezons — 1995 (2)

Guy Goffette Le pêcheur d’eau

Paix de coucou
A Gérard Noiret

I

Comme partout ailleurs le ciel à Bezons
Est par-dessus le toit, et peu s’inquiètent
En bas de la qualité d’une étoffe
Si commune – sauf le vieux boxer peut-être

Qui ne dort plus et rumine sa fin
Prochaine à la fenêtre du troisième
Cité des Lilas tandis que les petits
Pavillons de meulière font corps avec

Le souvenir l’oubli des jours maigres et
Du pain dur. C’était hier et ça reste
Comme le ciel dans la mémoire, un bleu

De plus en plus rapiécé: le retour
De mon père à la maison et ses mains
Nues et meurtries près de l’assiette à fleurs.

bl – 10 s

si je suis mort et cet état naissant — 1993 (13)

William CliffAutobiographie

97

si je suis mort et cet état naissant
parle aux vivants et de mort et d’extrême
les plus sérieux me semblent les enfants
qui ne savent pas qu’ils le sont eux-mêmes


et eux me réparant des vrais sérieux
qui le sachant ne savent rien  de l’être
savent pourtant le sérieux être en eux
s’ils savent rire et angoisse connaître


c’est d’extrême et de folle tragédie
que ces enfants ont besoin pour jouer
et les craignant l’homme se congédie


dans sa prison
manger l’obscurité
où de sa vide volonté il gère
son  » administration pénitentiaire « 

Q59 – T23 – déca

je me souviens de la Libération — 1993 (5)

William CliffAutobiographie

8

je me souviens de la Libération
nous fûmes déguisés ma soeur et moi
en petits pages tenant les cordons
d’un écusson et le cortège alla

à travers les rues au milieu des sons
de fanfare et ne comprenant rien à
cette fiesta que les gens faisaient là
j’ouvrais mes grands yeux de petit garçon

sans savoir où nous conduisait tout ça
ce jour-là ce fut sur une étendue
où toute la cité s’était rendue

plus jamais je n’ai vu un tel fatras
de gens massés errant sans autre vue
que celle de se voir et d’être vus

Q9 – T29 – déca

L’odeur de l’eau qui sèche sur le sable — 1987 (6)

Jean Grosjean La reine de Saba

L’odeur de l’eau qui sèche sur le sable
Comme un poisson qu’on retire du fleuve
A moins hanté mon âme que ne peuvent
La hanter tes départs irrespirables.

Comment vivre après toi? Le soleil même
N’est plus qu’un vieux lampion sur la campagne
Le coeur dont toute absence est la compagne
Va-t-il se souvenir longtemps qu’il t’aime?

Mais si tu n’avais l’art de t’éloigner
Tu haïrais sans doute un coeur novice
Et si mon coeur n’était pas si novice

L’amour parfait t’aurait bientôt lassé.
A ta façon de détourner la tête
J’ai su que tes départs étaient nos fêtes.

Q63 – T30=shmall* – disp: 4+4+4+2 – déca

Je connais bien le comte Dracula — 1981 (4)

Pierre Gripari L’Enfer de poche

Sexy Dracula

Je connais bien le comte Dracula
Et je souris, quand j’entends ceux qui disent
Que les fleurs d’ail, et tout le tralala,
Balles d’argent, miroirs, latin d’église,

Epieux pointus, conjurations apprises,
Ou crucifix peuvent le réduire à
Ce petit tas d’os et de cendres grises
Qu’un courant d’air emporte … au cinéma !

C’est mon ami, je l’avoue, je m’en vante
Je suis de ceux qui volontiers le hantent,
Il me reçoit le soir, en son hôtel ;

Ses dents sont bien rangées, blanches, petites,
Mais ce qu’il a, c’est une belle bite,
Et ceux qu’il baise, il les rend immortels !

Q11  T15  déca

Oui le Sonnet n’a que quatorze vers — 1972 (2)

Pierre Albert-Birot Dix sonnets et une chanson

II

Oui le Sonnet n’a que quatorze vers
Certes plus de pieds sont à la caserne
Si vous préférez quatorze pins verts
Allez aux pins en ce qui me concerne

Vais à sonnet n’est pas piqué des vers
Direz que je m’éclaire à la lanterne
Soit! Tout flambant le moderne univers
Me plaît ce soir d’entrer dans la caverne

Pétrir le silence avecque la nuit
Cherche la loi comme un vieil alchimiste
Aimer ce qui sert barrer ce qui nuit

Tel mot n’entre pas tant pis on le tord
On fait le savant et on fait l’artiste
Ci-gît un sonnet peut-être ai-je eu tort

Q8 – T24 – 10s – s sur s

Since I left you mes yeux sont de mémoire. — 1970 (2)

Marcel Thiry Attouchements des sonnets de Shakespeare


CXIII – ‘Since I left you mine eye is in my mind’

Since I left you mes yeux sont de mémoire.
Vous me voilez la montagne ou la mer.
Laissez mes yeux attoucher cette moire
De nos instant dont j’abolis la mort.

A vous les yeux de ma secrète vue
Qui semblent voir le monde et n’ont que vous
Pour ciel, montange, et la mer, et la vie,
Et n’ont plus vu que vous since I left you.

Laissez que ma mémoire vous compose
Comme au matin l’arbre sort de la nuit;
Pendant qu’avec des vers aux doigts de rose,

Frère des yeux pour défaire la nuit,
Un lent Sonnet que le Temps vous dévoue
Change l’absence en essence de vous.

abab cdcd efef gg=shmall – disposition de rimes des sonnets de Shakespeare   déca – tr

Dans les roseaux le printemps se balance. — 1970 (1)

Lanza del Vasto Le Viatique, II


Printemps sur le marais

Dans les roseaux le printemps se balance.
Par-dessus les buissons, sur l’étang plat
La nue est plate avec de blancs éclats,
Le vent se lève et retombe en silence.

Le pas est mou, dans les joncs emmêlés,
Le sol mouillé, jetant sous les chaussures,
Un cri d’oiseau, glisse à la pourriture,
Un brouillard vêt les saules mutilés.

L’étang est plat, l’air veuf de voix humaines
Même de cloche, et sans une félure,
Et le regard à nul arbre ne mène

Nous marchons vite et cherchons les vrais champs
Car le printemps est mort ici: nature
Chante en ces lieux toute seule son chant.

Q63 – T24 – déca