Archives de catégorie : T10 – ccd dcd

A vous, Madame, qui voulûtes — 1937 (5)

Albert Mockel dans une  lettre

Sonnet
à Madame Boissière née Thérèse Roumanille

A vous, Madame, qui voulûtes
Ce matin ivre de soleil,
Ouïr sur mes fragiles flûtes
Un écho du chant non pareil,

J’apporte une légère page
Qui tremble encor au vent amer,
Flocon d’écume sur la plage
Déserte des voix de la mer.

Le songe est l’éternel empire
Où par le verbe qu’il expire
Règne Stéphane Mallarmé

Mais à vous les roses de Mai,
A vous dont le si jeune rire
Surprit le poète charmé .

Q59 – T10 – octo

Le sonnet, parfois on l’imprime, — 1896 (7)

Henry Jean-Marie Levet (Le courrier français 1895-6)

Sonnet d’Album
A Mlle Marguerite B.

Le sonnet, parfois on l’imprime,
Mais très rarement on le lit;
Arvers sut le rendre sublime,
Quand Trissotin l’eût avili.

Mais, dans les albums où l’on rime,
Que de pages blanches salit
Le gâcheur de sonnets qui trime
Comme devant un établi!

Vers de terre à terre factice,
Qu’engendrera quelque novice,
Monté sur Pégase poney.

Plat, ainsi qu’un roman d’Ohnet,
Au ras du sol il rampe et glisse,
C’est l’oeuf d’un serpent à sonnets.

Q8 – T10 – octo – s sur s

Je voudrais habiter, ermite en plein Paris, — 1883 (26)

Paul Arène in L’Artiste

Hoc erat in votis

Je voudrais habiter, ermite en plein Paris,
Dans le quartier bourgeois et neuf qui la renferme,
Cette vieille maison avec des airs de ferme,
Et ce petit jardin qui fut un champ jadis.

Le bon endroit pour vivre heureux et piocher ferme !
Les journaux trop bavards y seraient interdits,
Et le seul espalier payant l’argent du terme,
J’aurais pour moins que rien hanté ce paradis.

La chambrette joyeuse et claire ; et qui domine
Le jardin, sentirait en mai la balsamine,
Aux mois chauds une odeur de grappe et de fruit mûr,

Et l’hiver, quand le ciel rit par un coin d’azur,
A travers les rideaux qu’un rayon illumine,
Des ombres de moineaux passeraient sur mon mur.

Q17  T10

Brr ! qu’il fait froid ! chère frileuse, — 1879 (23)

Alfred Aubert Caprices et boutades

Sonnet d’hiver

Brr ! qu’il fait froid ! chère frileuse,
Pose tes pieds sur le chenêts,
Tes pieds mignons que je connais
Etends-toi bien sur la causeuse .

Que les coussins ploient sous ton corps
Afin que d’une main fiévreuse
Je parcoure, ô mon amoureuse
L’écrin de tes tièdes trésors.

Depuis un mois pour toi, Ninette,
Ainsi qu’un pauvre anachorète
Je tiens bon devant Brididi*.

Le cœur si vite est refroidi !
Ravivons la chaude amourette
Depuis minuit jusqu’à midi.

Q52  T10 – octo

*Danseur professionnel

J’ai fait des vers en ail, on m’en demande en oc, — 1873 (4)

Ulysse Landeau Sonnets et Sornettes

La Tâche

J’ai fait des vers en ail, on m’en demande en oc,
Ma foi cette idée est on ne peut plus baroque.
A ma porte l’on croît qu’il suffit d’un toc-toc,
Que je fais un sonnet comme un oeuf à la coque.

Il faut vraiment avoir le coeur dur comme un roc,
Un esprit malveillant, et battre la breloque,
Pour choisir cette rime, et lui-même Saint Roch,
Pour éviter la tache, eût donné sa défroque.

A rimailler ainsi mon esprit tombe en loque,
Vous me regardez? Or un regard m’interloque;
Aussi c’est entendu, je vous refuse en bloc.

Attendez cependant et, bien que par raccroc,
Vous êtes obéi. Je souffle comme un phoque,
Mais je tiens mon sonnet. Ouf! qu’on me serve un bock.

Q8 – T10 – y=x (c=b & d=a) – Rimes: oc/oque (b=a*). s’inscrit dans une tradition venue des Rhétoriqueurs (parfois on va jusqu’à ‘ic, ‘ec’, ‘uc …).

Frais et calme séjour, village aux toits de chaume, — 1851 (5)

André Van Hasselt in L’Artiste

Au village de Zantfliet, lieu de naissance du peintre De Keyder

Frais et calme séjour, village aux toits de chaume,
Que l’odeur des sapins et des prés verts embaume,
Et qui n’as, pour garder tes remparts écroulés,
Rien que les lances d’or des épis de tes blés ;

Ici la solitude a placé son royaume,
Ici la paix nous vient au cœur ainsi qu’un baume,
Et mai suspend les luths de ses chanteurs ailés
A tes buissons de fleurs, de roses constellés ;

Mais, si charmant à voir que soit ton paysage,
Ce qui me plaît ici le mieux, ô frais village,
C’est cette humble maison, là-bas, près du chemin,

D’où prit son vol, un jour, ton peintre souverain,
Comme l’aigle qui lutte au ciel avec l’orage,
Sort d’un œuf qu’un enfant tiendrait dans une main.

Q1  T10

Oh! Je n’espère point que vous m’aimiez, madame … — 1830 (2)

Justin Bouisson Poésies diverses

Sonnet. A Madame *** – II

Oh! Je n’espère point que vous m’aimiez, madame …
Oh non! Que cet espoir ait traversé mon ame …
Peut-être … comme un rêve, un éclair … non, mes voeux
Sont timides, sont purs, madame, je ne veux

En vous aimant toujours, et pour prix de ma flamme,
Qu’un accueil, un regard, un sourire de femme;
Oui, vous voir doucement me sourire des yeux,
Ou, quelquefois, causer tout bas et … tous les deux.

Voilà mes voeux; voilà le bonheur que j’espère,
Le seul. Pourquoi me fuir, madame? Ma prière
N’a rien qui vous offense ou vous doive alarmer;

De moi, de votre force osez mieux présumer.
Aux bras de votre époux, épouse heureuse et fière,
Vous ne m’aimerez point … mais laissez-vous aimer.

Q1 – T10

Les deux sonnets de Bouisson, ancien ‘officier de la vieille armée’, (comme il se nomme dans le titre même de son oeuvre) présentent des quatrains entièrement plats (aabb aabb), disposition plus tard employée fréquemment et qui aurait fait frémir d’horreur Ronsard, et Malherbe plus encore. Le siècle en verra de nombreux, n’en déplaise à Mr Graham Robb.

Je le bénis ce jour qui t’offrit à ma vue! — 1830 (1)

Justin Bouisson Poésies diverses

Sonnet . A Madame *** – I

Je le bénis ce jour qui t’offrit à ma vue!
Je t’aimai, je sentis qu’une flamme inconnue,
Soudaine, pénétrait, embrasait tous mes sens.
Depuis ce jour je souffre … et mes maux sont cuisans.

Je me plais à nourrir le poison qui me tue.
Toi, joue et chante et ris; dans ton ame ingénue,
Sois heureuse de bals, de chapeaux, de romans,
Ou, comme d’un succès, jouis de mes tourmens.

 » Je l’aime, elle le sait, elle le voit (me dis-je);
Peut-être à sa gaîté qui m’enchante et m’afflige,
A cette indifférence où son coeur est plongé,

Succèderont (l’amour m’a souvent protégé) ,
Succèderont (l’amour me devrait ce prodige),
Des regrets, un désir … l’amour m’aura vengé. »

Q1 – T10