Archives de catégorie : T06 – ccd ccd

Je n’ose dire, — 1973 (9)

OulipoLa Littérature potentielle

Latis Essais de la méthode du T.S Queneau sur quelques-uns de ses sonnets


Qui cause? Quidose? Qui ose?

Je n’ose dire,
Pas osé.
Le dire
Je n’oserai.

Dire
Réduirait.
Produire
Produirait.

Si je l’ose,
Courte pause,
Le quatrain,

Qui cause,
Qui ose
Une fin.

Q8 – T6 – obtenu par ‘réduction aux sections rimantes’ à partir d’un sonnet de Raymond Queneau

Aller chercher au fond des mers les trésors piratés — 1969 (2)

Raymond QueneauFendre les flots


Aller chercher au fond des mers

Aller chercher au fond des mers les trésors piratés
aller chercher au fond des mers les perles noires immenses
aller chercher au fond des mers les algues enrichissantes
aller chercher au fond des mers les coquillages contournés

aller chercher au fond des mers les rares substances
aller chercher au fond des mers les poussières balayées
aller chercher au fond des mers les feuilles volantes
aller chercher au fond des mers l’eau des fleuves asséchés

aller chercher au fond des mers les raretés lyriques
aller chercher au fond des mers les mots hyperboliques
aller chercher au fond des mers les débris des saisons

aller chercher au fond des mers les monstres épiques
aller chercher au fond des mers les secrets clastiques
c’est ce qu’on peut fait en vain ou bien avec raison

abb’a bab’a – T6 – m.irr

Se voir, s’épersiller, s’avancer, reculer, — 1961 (4)

Jean Queval

« On peut peut-être essayer de faire les plus simples des sonnets en limitant le risque de redondance, ou plutôt en limitant le risque de l’usage de la grammaire. Si l’on n’employait que des infinitifs, on arriverait à une moindre utilisation du langage, peut-être à une moindre redondance. » (Jean Queval en plagiaire par anticipation d’Emmanuel Fournier)

4
Sonnet des infinitifs
(ou: l’Explorateur s’est penché sur les Mammifères)

Se voir, s’épersiller, s’avancer, reculer,
Se regarder partir, oser se raccrocher,
Hésiter, suzoter, ouvrir la bouche et dire,
Entendre et puis attendre, en enfin revenir.

Avancer, entreprendre, enlacer, embrasser,
Enfreindre et démunir, encercler, écarter,
Défaire et s’égloussir, toucher et dévêtir,
Or ne toucher qu’un peu et qu’un peu s’égloussir.

Se revoir, se parler, se retoucher, s’aimer,
Se voir et reconnaître, à la fin s’endormer,
Se réveiller, se renforcer, se souvenir.

Se le dire et recommencer de s’embrasser,
Se délacer, s’entrelasser, se rencogner,
Se cuire un œuf devant que de se dévêtir.

Q1 – T6 – disp: 4 + 7 + 3 – y=x :c=a & d=b

Ah mais que si donc comme et oh eh hi ah mais — 1958 (13)

Raymond Queneau – (sonnets écartés des sonnets de 1958)

La neige des mots invariables

Ah mais que si donc comme et oh eh hi ah mais
En étant pour or par tout en étant si comme
Donc en si mais givrant l’on du pour quand j’allais
Aux tours du ni quand près du ceci du donc homme

Le bachelier en droit la neige ès qualités
L’autour du donc si plouf l’alentour du grossium
Ne font qu’un tore à peine autour des os gâtés
Du râtelier glacial sous le presque uranium

Donc si mais donc si quand et pour moi et pour qu’est-ce
Le donc si près la flûte et le si grosse-caisse
Font rouler leur valeur sur la peau d’asinin

Pour est peut-être contre et le contre se baisse
Pour recevoir le couic il se peut bien qu’il naisse
Le jour où l’oh mais donc un galet redevient

Q8 – T6

Alexandre le Grand, il parlait comme un livre — 1958 (9)

Raymond Queneau Sonnets

L’alexandrinisme des origines à nos jours

Alexandre le Grand, il parlait comme un livre
Avec Aristote comme maître cela n’a rien d’étonnant
On lui reproche d’avoir été – une fois – ivre
C’est bien la peine de gagner tant de batailles pour être à la fin condamné moralement

Arrivé au bout du monde ses soldats ne voulurent plus le suivre
Pourtant après les Indes il y avait la Chine le Japon et le Nouveau Continent
Seulement ils ne savaient pas la géographie peut-être même manquaient-ils de vivres
La plupart d’entre eux rentrèrent à pied et quelques-uns par le golfe d’Oman

Tout ça ne me dit pas pourquoi l’alexandrin
De la langue française est le plus bel écrin
Il nourrit le sonnet comme la perle l’huître

Ni pour quelles raisons le roi macédonien
Donna son nom illustre à douze comédiens
Graves comme au Français, sérieux comme des pitres

Q8 – T6 – m.irr

« Après vous » « Après moi » L’échange volatile — 1958 (8)

Raymond Queneau Sonnets

Voilà que j’assiste à un grand dîner officiel

« Après vous » « Après moi » L’échange volatile
De ces mots survolant les côtes de rastron
Me semble en vérité de plus en plus futile
Depuis que j’ai gâté de sauce mon plastron

Pour aller au banquet des rois du mirliton
Je m’étais habillé non sans un certain style
On mangea de l’orange avec du caneton
Et des petits gâteaux de chez Lefèvre-Utile

Les yeux écarquillés je somnolais pantois
Il y eut un discours et puis deux et puis trois
En moi-même admirant ma conduite exemplaire

Mais en baissant les yeux épouvanté je vois
La tache que j’avais plaqué avec mes doigts
Sur ma chemise blanche effort vestimentaire

Q11 – T6

O splendide, salut! Viens à moi qui t’appelle! — 1928 (2)

Catherine PozziOeuvres poétiques

Invocation

O splendide, salut! Viens à moi qui t’appelle!
Comme un songe, descends de l’Olympe sacré,
Où depuis deux mille ans se languit ta beauté …
Reviens! et que ton œil de nouveau étincelle!

O mère des désirs, ô douleur, ô douceur,
O souffrance adorée, plaisir profond, ô charme!
Astarté, Kythérè, mouille-moi d’une larme,
Et je serai ton œuvre, ton enfant, ta soeur!

O Kyprès! si mes yeux sont beaux et mes dents blanches,
Mes dents sont de travers, hélas, mon nez est grand!
Mon menton trop petit à pousser fut trop lent,
Et ma taille flexible est elle qu’un planche!

Unique! ce sonnet – Car ce s’ra un sonnet –
Du début parnassien s’est dégagé tout net –
Hélas! zut – je le sens devenir prosaïque:

Mais vois: d’exquis bonbons et d’odorants oeillets
Sont exposés pour toi sur un blanc tabouret,
Et je t’offre ceci d’une âme bucolique! ….

Journal, 24 oct. 1900

abba a’b’b’a’ a »b »b »a » – T6

Je suis l’Esprit, je suis l’Eternelle beauté. — 1907 (3)

Georges Duhamel Des légendes et ballades

3
Le sonnet d’Une

Je suis l’Esprit, je suis l’Eternelle beauté.
Quand je viens à rêver, mon âme emplit le monde
Et la nuit de mes souvenirs est si profonde
Que mon être, il me semble, a toujours existé.

Je suis l’Oreille ouverte à l’accord enchanté
Qui, sans moi, dans le vide irait perdre son onde.
C’est encor de par moi qu’est la lumière blonde
Puisqu’en fermant les yeux je fais l’obscurité.

Et c’est moi qui, l’Eté, prête aux fleurs leur parfum,
Les fruits sont savoureux parce que j’en ai faim,
La chose est belle et bonne ainsi par moi sacrée,

Il n’est rien qui ne touche ou mon âme ou ma main,
J’ai tant pensé que je n’ai plus peur de demain,
Et Dieu, s’il est, n’est Dieu que pour m’avoir Créée.

Q15 – T6

Ce qu’il me faut à moi c’est un grand fauve blond, — 1904 (5)

Vicomte Phoebus, Retoqué de Saint Réac (Jules Romains et Georges Chenneviere?) Mes états d’âme ou Les sept chrysalides  de l’extase

Sa muse

Etat d’âme dionysiaque
Seinem hochverehrten Nietzschandler Gewidmet von Verfasser

Ce qu’il me faut à moi c’est un grand fauve blond,
Qui m’écrase en ses bras, geste peu platonique,
Me morde à belles dents d’un rire satanique
Où l’on sent que la brute avec le dieu se fond.

O Nietsche! tu l’as dit dans ton dogme profond:
 » La loi? – Quel préjugé! – Le travail! – Quelle honte!
Le père est l’ennemi; la  vertu n’est qu’un conte.

Des valeurs transmuons et la forme et le fond! »

Je foule sous mes pieds la pudeur, cette ornière.
O Surhomme! pour toi j’ondule ma crinière
En longs bandeaux bien bas, à la Botticelli.
Paix, Morale, Bonté bébête et moutonnière,
Chassons-les à grands coups de pied dans le derrière;
Ton cor, Zarathoustra, sonne le hallali!

Q45 – T6

La main sur sa rapière, un grand reître à panache, — 1903 (2)

– Le docteur Henri FischerSonnailles et chansonnailles – Chants et sonnets …

Toiles- Un Roybet

La main sur sa rapière, un grand reître à panache,
De satins chatoyants fièrement s’enharnache.
Soudard, il guerroya des Flandres au Maroc.
Un hanap fait invite à sa moustache en croc.

Un Moine près de lui, glabre et gras sous le froc
Sourit dévotement au flacon de Grenache
Rutilant entre eux deux. Le Moine et le Bravache
Sont frères en Bacchus. Pour mieux humer le broc

Gourmands, dont le gosier du bon vin s’amourache
Tout au fond du cellier sombre, leur soif se cache
Entre les lourds piliers ouvragés à plein roc.

On sent, tant leur regard sur le flacon s’attache
Que l’homme au goupillon et l’homme à la rondache
Vont trinquer vaillamment jusques au chant du coq.

Q4 – T6 – y=x (c=a, d=b)  – sur deux rimes (rares)