Archives de catégorie : 2m

Vers plurimétriques

Je sais une villa sur les hauteurs de Naples — 1989 (5)

coll. –  Sonnets (ed. Alin Anseeuw)

Xavier Bordes

Après la fin

Je sais une villa sur les hauteurs de Naples
Où je fus quelquefois reçu par des amis
J’entends encor la grille du jardin qui racle,
En grinçant sur ses gonds, le gravier endormi.

On déjeunait dehors pour jouïr du spectacle:
Les gens déambulaient, gros comme des fourmis
Sur le port et les yeux ne rencontraient d’obstacle
Qu’au sud, là où fumait le volcan insoumis…

Sur la terrasse rose avec ses cyprès noirs
En contemplant la baie unique par les soirs
D’été napolitain d’une touffeur d’étuve

J’imaginais l’horreur qui saisit le pays
Quand un matin parmi les vignes du Vésuve
Le feu pétrifia Pompeï.

Q8 – T14  – 2m: octo: v.14

Je suis le fol Roy de Colchide — 1977 (11)

Roger Gilbert-Lecomte Oeuvres complètes, II

L’Heur du Roy de Colchide

Je suis le fol Roy de Colchide
J’habite dans sept grands palais de Jade
Et j’ai sept caravelles dans ma rade
Qui m’apportent les trésors de l’Atlantide.

Pour avoir erré sur la mer viride
Dans un clair de lune de sérénade
Leurs pourpres gardent un peu du bleu fade
Des cieux où la nuit veut compter le vide.

Le seul sérail dont je fasse parade
C’est le ciel d’étoiles: j’entends, maussade,
Tintinabuler leur cristal limpide.

Je meurs de langueur. Dans mon coeur malade
Des poissons dorés à l’éclat splendide
Vont nageant en désespoir de noyade!

Q15 – T7 – 2m: 10s; octo: v.1; 11s: v.4 –  y=x: c=b, d=a

La cigale, un beau jour, s’en vint en grand mystère, — 1970 (9)

Antoine Pol Croquis : 17 variations sur le sonnet d’Arvers

La cigale et la fourmi

La cigale, un beau jour, s’en vint en grand mystère,
Chez la fourmi, ayant conçu
De quémander, mieux eût valu se taire
Un grain de mil, tout un chacun l’a su.

« Mon dénuement d’insecte solitaire
N’a pu de vous passer inaperçu
Prêtez-moi ces trésors que vous cachez sous terre,
Et je vous signe un bon reçu »

La fourmi, pas toujours tendre
Lui laisse entendre
D’aller ailleurs porter ses pas

«  A mes moindres défauts je veux rester fidèle »,
Lui dit-elle
« J’ai du bon tabac, tu n’en auras pas ».

Q08 – T15  arv – 2m :Texte polymétrique : alexandrins au vers 1 et 7 – décasyllabes : v 3 à6 – taratantara au vers 14 – octo : 2,8,11 – hepta :v 9 – tétrasyllabe : vers 10 – trisyllabe : vers 13.

Merci pour la Vérole et gardez le Pourboire. — 1966 (8)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé


Sonnet attribué

Merci pour la Vérole et gardez le Pourboire.
Je m’en vais vers là où on va.
J’ai des soucis, comme la Loire,
J’ai des sourcils froncés très bas.

Je vais, triste et certain des fruits de ma Victoire.
Je suis Vainqueur. Je ne sais pas de Quoi.
Vous êtes de passage au plafond de ma Gloire.
Les Manèges de la Graisse ont fait de nous Trois.

Trois par un puis par quatre et l’air
Pousse dans son trombone une expression divine.
Ce qui est noir ici par là-bas d’illumine.

On dirait la clarté; on dirait cet œil clair,
Et ce Spectacle aussi que mon regard termine:
L’Ovale Vérolé du Visage d’Hermine.

Q32 – T29 – 2m : octo: v.2, v.3, v.4, v.9 ; déca:v.6

Le pays du début d’octobre n’avait fruit — 1965 (8)

Yves Bonnefoy Pierre écrite


La parole du soir

Le pays du début d’octobre n’avait fruit
Qui ne se déchirât dans l’herbe, et ses oiseaux
En venaient à des cris d’absence et de rocaille
Sur un haut flanc courbé qui se hâtait vers nous.

Ma parole du soir,
Comme un raisin d’arrière-automne tu as froid,
Mais le vin déjà brûle en ton âme et je trouve
Ma seule chaleur vraie dans tes mots fondateurs.

Le vaisseau d’un achèvement d’octobre, clair,
Peut venir. Nous saurons mêler ces deux lumières,
O mon vaisseau illuminé errant en mer,

Clarté de proche nuit et clarté de parole,
– Brume qui montera de toute chose vive
Et toi, mon rougeoiement de lampe dans la mort.

bl – 2m :6s: v.5

Notre chemin passe par les traverses — 1954 (8)

Jean Sénac Les leçons d’Edgard in Oeuvres poétiques (1999)

1

Notre chemin passe par les traverses
Il est large et précis comme un cou de taureau,
Il craint le cœur dans les heures adverses
Dans le plaisir il craint les mots.

Notre chemin quand tombent les averses
Sent la luzerne et l’églantine à crocs,
Et si l’ornière au feu central nous verse,
Notre pied garde assez de flot.

Notre chemin procède par énigmes,
Quoique très clair ton sourire conduit,
Ton corps charrie les pigments et les rythmes.

Ta voix consent aux laves de la nuit.
Mais l’or au front, il trace, solitaire,
Notre chemin de paix dans les plis de la terre.

Q8 – T23 – 2m : déca;  octo: v.4, v.8; alexandrin: v.14

Le chat lutte avec une abeille — 1944 (7)

Henri Thomas Signe de vie

Sonnet du chat

Le chat lutte avec une abeille
autour de sa fourrure,
je vois l’azur et ses merveilles,
un arbre, une mâture,

la mer apporte à mon oreille
le bruit des aventures
que nous vivrons si tu t’éveilles,
témérité future.

Je me consacre aux vertes îles,
favorables au sage
qui sait trouver un dieu tranquille

entre palme et rivage.
Le chat s’en va, brillant et beau,
pour guetter les oiseaux.

Q8 – T23 -2m : octo; 6s: v.2, v.4, v.6, v.8, v10, v.12, v.14

Comme le fruit son ver, ma vie — 1933 (9)

Armand Masson in Felix  Arvers : articles (fonds rondel, RF 21313)

à la manière de P.J Toulet

Comme le fruit son ver, ma vie
Cèle un tourment secret,
Bien malin qui devinerait
Le nom de mon envie.

Toi-même ne me connais point,
Qui nourrit ma pensée,
Et qui plus distraite est passée
Que le vent sur les coings.

Car ce désir qui me lancine,
Il cède à ta vertu :
Et si je t’aime, je l’ai tu
Ou si c’est la voisine.

– arv  pastiche  3 qu – 2m: octo, 6syll

Pour le mal qu’il me fait — 1931 (1)

Robert Desnos Les nuits blanches

Lou la Rouquine, II

Pour le mal qu’il me fait
Ton amour m’est fétiche
Laisse rassir la miche
Dans le fond du buffet

Dans la nuit du café
La nébuleuse biche
Fuit dans le ciel en friche
Aux lueurs d’autodafé

Quand tu viens nuitamment
Rôder tel un dément
Près de Lou la coquine

Si tu lis l’avenir
Dis-moi quand va mourir
L’amour plus hérissé qu’un buisson d’églantines

Q15 – T15 – 2m : 6s; v.14: alexandrin

Je descend les degrés de siècles et de sable — 1928 (1)

Catherine PozziOeuvres poétiques

Maya

Je descend les degrés de siècles et de sable
Qui retournent à vous l’instant désespéré
Terre des temples d’or, j’entre dans votre fable
Atlantique adoré.

D’un corps qui ne m’est plus que fuie enfin la flamme
L’Ame est un nom détesté du destin –
Que s’arrête le temps, que s’affaisse la trame,
Je reviens sur mes pas vers l’abîme enfantin.

Les oiseaux sur le vent de l’ouest marin s’engagent,
Il faut voler, bonheur, à l’ancien été
Tout endormi profond où cesse le rivage

Rochers, le chant, le roi, l’arbre longtemps bercé,
Astres longtemps liés à mon premier visage
Singulier soleil de calme couronné.

Q59 – T20 – 2m :6s: v.4 v6 : 10s – Le dernier vers est typographiquement isolé