Archives de catégorie : T23 – cdc dee

Je suis tel riche auquel sa clé bénie — 1995 (9)

Daniel & Geneviève Bournet Sonnets de Shakespeare

Sonnet 52

Je suis tel riche auquel sa clé bénie
Ouvre son doux trésor cadenassé,
Qu’à tout moment il ne faut qu’il épie
Pour émousser l’aigu de volupté.

Fêtes sont donc solennelles et rares,
Disséminées en la longueur de l’an,
Comme pierres de prix maigrement parent,
Ou les maîtres joyaux dans leur carcan.

Le temps vous serre ainsi comme ma caisse,
Ou garde-robe où robe est au secret,
Pour faire instant spécial spéciale liesse,

Déployant neuf son orgueil prisonnier.
Bienheureux vous, dont dignité dispense,
Présent, triomphe, ou, absent, espérance.

Q60  T23 – disp quarto sh52  – déca

si je suis mort et cet état naissant — 1993 (13)

William CliffAutobiographie

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si je suis mort et cet état naissant
parle aux vivants et de mort et d’extrême
les plus sérieux me semblent les enfants
qui ne savent pas qu’ils le sont eux-mêmes


et eux me réparant des vrais sérieux
qui le sachant ne savent rien  de l’être
savent pourtant le sérieux être en eux
s’ils savent rire et angoisse connaître


c’est d’extrême et de folle tragédie
que ces enfants ont besoin pour jouer
et les craignant l’homme se congédie


dans sa prison
manger l’obscurité
où de sa vide volonté il gère
son  » administration pénitentiaire « 

Q59 – T23 – déca

un jour j’eus la révélation de la littérature — 1993 (10)

William CliffAutobiographie

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un jour j’eus la révélation de la littérature
dans le récit que fait Chateaubriand de son enfance
de la terreur qu’il eut devant son père et de sa dure
condition d’enfant à Combourg dont la sinistre ambiance

le soir avec ce père qui n’arrêtait pas de faire
armé d’un bonnet dressé sur sa tête les cent pas
me rappelait celle qui aussi me terrorisa
dans mon enfance avec un père aussi autoritaire

j’appris par ce récit n’être plus tout seul à souffrir
ce fut comme un voile levé sur mon âme sauvage
écrire alors devint pour moi le geste qui relie

tous ceux qui ont senti au fond d’eux-mêmes ces messages
graves que le monde méprise et tourne en dérision
mais dont par la littérature on a la révélation

Q60 – T23 – 14s

nous avions entre frères ce qu’on nomme des ‘rapports’ — 1993 (7)

William CliffAutobiographie

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nous avions entre frères ce qu’on nomme des ‘rapports’
il s’agissait pour nous de faire pièce à l’oeil sévère
qui voulait nous nier d’avoir aucun plaisir du corps
duquel les pères veulent être seuls dépositaires

et c’est déjà le désir de tuer leurs géniteurs
qui pousse les enfants à perpétrer entre eux ces choses
mais ce faisant ils ont en eux une sombre rumeur
qui leur dit qu’ils font mal et que la vie est autre chose

images de grands chevaliers aux corps couverts de fer
renversés sur le sol glacé des forêts médiévales
flèches de bois entrées à l’intérieur des vives chairs

et qu’on arrache avec du sang bien que ça fasse mal
beaux chevaliers dont le fer crie et reluit au soleil
vous dormiez dans nos lits la face tournée vers le ciel

Q59 – T23 – 14s

jadis on envoyait les enfants à la mine — 1993 (6)

William CliffAutobiographie

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jadis on envoyait les enfants à la mine
pour trier le charbon certains pays encor
les font travailler dur sinon vendre leur corps
afin d’épargner aux familles la famine

on dit que ces enfants s’estiment plus heureux
à l’idée d’être un peu utiles à leur famille
alors qu’ici on leur répète à qui mieux mieux
combien ils sont à charge et pèsent sur la « vie »

la  » vie » ici n’a rien à faire des enfants
sauf pour orner la saleté publicitaire
« gardez-les dans vos murs » car on n’a pas le temps

de s’encombrer d’enfants pour faire nos affaires
ainsi j’ai senti que l’enfant est un esclave
qui n’a pour tout présent que sa fiente et sa bave

Q62 – T23

je suis né à Gembloux en mil neuf cent quarante — 1993 (3)

William CliffAutobiographie

4.

je suis né à Gembloux en mil neuf cent quarante
mon père était dentiste et je l’ai déjà dit
ma mère eut neuf enfants et je l’ai dit aussi
pourquoi faut-il que je revienne à cette enfance?

j’étais un gosse à grosse bouche et grands yeux vides
qui se jetaient partout pour comprendre le monde
et plus ils se jetaient plus ils étaient avides
et moins ils comprenaient tout ce monde qui gronde

l’enfant ne comprend pas pourquoi il doit souffrir
il pleure à gorge déployée pour crier son malheur
mais la moindre bêtise aussi le fait sourire

sans qu’il comprenne pourquoi le bonheur l’effleure
je fus un gosse riant lamentablement
dans un pays occupé par les Allemands

Q62 – T23

A nuage muet une morale rie — 1977 (2)

OulipoHommage à Raymond Queneau (Bibliothèque oulipienne) –

d’un autre membre de l’Oulipo

 » Une case vide – longueur des syllabes – dans la Table de Queneleieff est comblée, minimalement, par ce sonnet, selon les règles et aussi quelque ironie. Un clinamen dans le compte des lettres, par absence et excès, dit le destinataire.  Comme la parenthèse à la ligne en plus, coda »

Air


 » Un peu profond ruisseau …  »

A nuage muet une morale rie
il évidera le visage de l’écho
avec une parole même si la co
agulation de la sève le délie

ici, du sol. On a, père, ramé folie
analysé le dé par une face co
limaçon à l’hélice le zéro d’à cô
té le minime six élide la série.

Or, à demi tiré du visible ni su
ni mu sinon ironie timide buée
il anihile le duel de la mesu

re paradis avec la vérité tuée
avive d’acide le silence cela:
lignes en égale (la inutile) la

mort (que l’eau n’émonde son havre de durée)

Q15 – T23 + d – 15v

Ainsi suis-je le riche qu’une sainte clé — 1969 (6)

Jean Rousselot ShakespeareSonnets trad.

52

Ainsi suis-je le riche qu’une sainte clé
Peut conduire à son doux trésor bien enfermé,
Lequel il ne va pas regarder à toute heure
De craindre d’émousser l’aigu de son bonheur.

Si les fêtes sont solennelles et prisées,
C’est qu’au long cours de l’an rarement elles viennent;
Comme pierres de prix, elles sont espacées,
Ou bien, dans un collier, les joyaux capitaines.

Ainsi le temps où êtes clos dans ma cassette,
Comme en la garde-robe une robe est cachée,
Fait, d’un instant à part, particulière fête,

En libérant cette splendeur emprisonnée.
Soyez béni, vous si parfait que vous donnez:
Présent, à triompher; absent, à espérer.

Q56 – T23 – disp: 4+4+4+2 – tr

Amants brûlants d’amour, savants aux pouls glaciaux — 1969 (4)

Georges PerecLa disparition

Nos chats

Amants brûlants d’amour, savants aux pouls glaciaux
Nous aimons tout autant dans nos saisons du jour
Nos chats puissants mais doux, honorant nos tropots
Qui, sans nous, ont trop froid, nonobstant nos amours.

Ami du Gai Savoir, ami du doux plaisir
Un chat va sans un bruit dans un coin tout obscur
Oh Styx, tu l’aurais pris pour ton poulain futur
Si tu avais, Pluton, aux Sclavons pu l’offrir!

Il a, tout vacillant, la station d’un hautain
Mais grand Sphinx somnolant au fond du Sahara
Qui paraît s’assoupir dans un oubli sans fin;

Son dos frôlant produit un influx angora
Ainsi qu’un diamant pur, l’or surgit, scintillant
Dans son noir nictitant divin, puis triomphant.

Un fils adoptif du Commandant Aupick.

Q60 – T23 -lipogramme en ‘e’

L’océan mesuré sur quoi je règne en maître — 1966 (1)

Olivier LarrondeL’arbre à lettres

A ma plage

L’océan mesuré sur quoi je règne en maître
Va léchant tes longs pieds en plage surhumaine.
La minuscule tête ouverte à la fenêtre,
Lui garde tout pour lui sauf des vagues amènes.

Il garde la distance, un monde à ses fenêtres,
Des madrépores morts sans tombeau que lui-même;
L’intérieure plaie des coraux se démène
Dans l’absence d’échos sous sa robe de prêtre.

S’en veut-il ignorer la douce pourriture
Qu’un coup d’air fait entrer sous de moins souples fronts,
Qu’un ciel compréhensif par ses ors les moins dures

Eût en douceur brûlé tel un baiser d’affront,
Qu’il vide ses bruits purs et garde son silence
Pour t’y garder de soi en toute vigilance.

Q9 – T23