Archives de catégorie : s.double

La vie est toute tracée — 1893 (22)

Paul Verola Les baisers morts

Scepticisme

La vie est toute tracée
Et, gondole sans rameur,
L’âme coule, harassée,
Amour, sifflet ou rumeur

A rien ne sert se débattre ;
Le cœur fuit, méchant ou bon :
Toujours noir est le charbon ;
Toujours blanc sera l’albâtre.

L’âme, toute embarrassée,
N’entraîne que ce qui meurt,
Baisers secs, fleur trépassée,
Bois mort et vaine clameur !

Elle va, troupeau sans pâtre
Et sans but, à l’abandon,
Broutant violette ou chardon,
Yeux bleus ou dégoût saumâtre.

Dans le cœur rien ne peut naître
Et tout ce qui y pénètre,
Y pénètre pour mourir,

De l’univers sanctuaire
Il n’est que l’obituaire
Changeant printemps en hiver ;

Larmes, cris, chants de victoire,
Il est le four crématoire
Incinérant l’Univers !

Quatre quatrains (abab a’b’b’a’ abab a’b’b’a’) et trois tercets ( ccd c’c’d’ eed’ ; la rime ‘d’ est quasi-orpheline)

Sentir en soi gémir une âme prisonnière, — 1873 (2)

Athanase Forest


Un conseil
triple sonnet

Sentir en soi gémir une âme prisonnière,
Brûler de soif que vient tout au plus étancher,
D’aventure, un lambeau de brise printanière,
Sur un sol raboteux à tout recoin broncher ;
Toujours du même pas et dans la même ornière,
Ainsi que fit et fait l’espèce moutonnière,
Que pousse à l’abattoir le féroce boucher,
Geindre, en trainant un char qui change de cocher,
Sans changement aucun du poids de sa lanière ;
Voir le plus frais bouton soudain se dessécher !
Dans un nid de colombe espérant se nicher,
D’un renard ou d’un loup rencontrer la tanière ;
Voir fuir au loin le but dont on crut approcher ;
Pauvre piéton, d’étape en étape marcher,
En criant, chaque soir : est-ce enfin la dernière ?
Alors que sur Pégase on vise à chevaucher,
Varier, sans nul fruit, et toujours, de manière ;
Voyageur, aux buissons du chemin s’écorcher ;
Brillant papillon choir dans une taupinière ;
Voir les plus chaud amis de soi se détacher,
Si l’on n’a pas sans trève en main la bonbonnière ;
Si vieilli, son jabot commence à se tacher,
Si quelque brin de fil manque à sa boutonnière,
Si tel toupet, qu’en vain l’art s’essouffle à cacher,
A du défunt enfin remplacé la crinière.
Telle est ta destinée, o piètre individu
Que, hagard et d’horreur à bon titre éperdu,
Pieuvre aux longs et durs crocs, la Société broie !
Tu peux rompre, pourtant, cette ignoble cloison ;
Crois, espère, aime, pense, use de ta raison,
Et le monstre n’aura qu’un corps pour toute proie.

6 quatrains sur deux rimes, mais seulement deux tercets ordinaires (T15). Emporté par son élan, Athanase Forest a mis 25 vers dans ses quatrains.

Pauvre, obscur, dédaigné, traîner partout la vie, — 1873 (1)

Athanase Forest Sonnets, chansons, boutades

La Loterie sociale

Pauvre, obscur, dédaigné, traîner partout la vie,
Vrai carcan à son cou jour et nuit appendu;
Riche, illustre, être en butte aux crachats de l’envie,
Et parfois fusillé, brûlé vif, ou pendu;

Dès que l’on prétend mordre, être à l’instant mordu;
Avoir toujours un pied qui tôt ou tard dévie
Du chemin qu’à tenir le seigneur Dieu convie
(Vieille histoire ayant nom le Paradis perdu );

N’avoir jamais de faim pleinement assouvie,
Qu’il s’agisse d’un fruit permis ou défendu;
Se bâtir en Espagne, à … mettons …. Ségovie,
Un château, comme un nid d’aigle, au roc suspendu;

Se voir une espérance à chaque instant ravie.
De tel roi, de tel grand flagorneur assidu,
Recevoir, l’oeil humide et le jarret tendu,
Mainte promesse, hélas, d’effet jamais suivie;

En rêves hériter de table bien servie
Et de beaux vases d’or artistement fondu,
Bref, organiser tout pour le cas de survie,
Puis, …., être le premier, là, sous terre étendu;

Ici gain louche, ailleurs très-clair désavantage,
Tels sont les lots divers, échus au grand partage,
Entre les fils d’Adam fait de force ou de gré!

Néammoins, il en est que refuse tout homme,
Qui s’est dit qu’en dehors du divin , du sacré ,
Tout n’est qu’un sot gâchis de vanités, en somme!

abab baab abab abba abab – T14 – Sonnet, avec cinq quatrains, plutôt long!

Sous le pliant osier vous êtes prisonnières, — 1839 (6)

Louis Ayma Les préludes


A mes linottes – Sonnet redoublé

Sous le pliant osier vous êtes prisonnières,
Vous ne respirez pas l’air pur de vos forêts,
Et, quand viendra pour vous le moment d’être mères,
Vous ne suspendrez pas vos nids dans les bosquets;

Mais, lorsque dans les airs gronderont les orages,
Vous aurez pour abri mon toit hospitalier,
Et vous ne craindrez pas que du sein des nuages,
Sur vous, comme l’éclair, tombe un fauve épervier.

Vous ne raserez pas de vos têtes légères
Les épis jaunissant sous les yeux de Cérès;
Vous n’irez pas chanter sur les vertes fougères,

Vous ne chercherez pas de grain dans les guérets;
Mais, quand l’hiver jaloux entre ses deux rivages
Forcera le ruisseau de gémir prisonnier,
Vous trouverez toujours la fraîcheur des bocages

Et des grains abondans chez votre bon geolier.
Geolier! … car l’oiseleur à moi vous a vendues
Faibles, sans mouvement, encore toutes nues,
Mais, depuis ce jour-là, ma main avec bonté

Vous tout prodigué, grains, eau pure, caresses …
Pourquoi donc tant gémir, mes petites hôtesses?
Dites! vous faudrait-il encor la Liberté?

Ah! quand vous aurez vu ma Laure bien-aimée,
Quand vous aurez senti son haleine embaumée
Et ses baisers si doux;

Votre amère douleur sera bientôt calmée;
Vous oublierez des bois la brise parfumée,
Pour vous bercer sur ses genoux.

Quatre quatrains alternés, quatre tercets – un vers de 6s un octo

Sous le pliant osier vous êtes prisonnières,
Vous ne respirez pas l’air pur de vos forêts,
Et, quand viendra pour vous le moment d’être mères,
Vous ne suspendrez pas vos nids dans les bosquets;
Mais, lorsque dans les airs gronderont les orages,
Vous aurez pour abri mon toit hospitalier,
Et vous ne craindrez pas que du sein des nuages,
Sur vous, comme l’éclair, tombe un fauve épervier.
Vous ne raserez pas de vos têtes légères
Les épis jaunissant sous les yeux de Cérès;
Vous n’irez pas chanter sur les vertes fougères,
Vous ne chercherez pas de grain dans les guérets;
Mais, quand l’hiver jaloux entre ses deux rivages
Forcera le ruisseau de gémir prisonnier,
Vous trouverez toujours la fraîcheur des bocages
Et des grains abondans chez votre bon geolier.
Geolier! … car l’oiseleur à moi vous a vendues
Faibles, sans mouvement, encore toutes nues,
Mais, depuis ce jour-là, ma main avec bonté
Vous tout prodigué, grains, eau pure, caresses …
Pourquoi donc tant gémir, mes petites hôtesses?
Dites! vous faudrait-il encor la Liberté?
Ah! quand vous aurez vu ma Laure bien-aimée,
Quand vous aurez senti son haleine embaumée
Et ses baisers si doux;
Votre amère douleur sera bientôt calmée;
Vous oublierez des bois la brise parfumée,
Pour vous bercer sur ses genoux.

Quatre quatrains alternés, quatre tercets – un vers de 6s un octo