– Tristan Derème La tortue indigo
(Les sonnets de M. Polyphème Durand)
D’un sonnet sans tête
– …. Je voudrais, dit M. Polyphème Durand, vous soumettre, …, une pièce fugitive, une bagatelle, un rien, mais dont la forme est encore, je le crois, inconnue: c’est un quatrain suivi de deux tercets.
– c’est un sonnet à qui l’on a coupé la tête.
– Il vous plaît à dire; mais l’essentiel, c’est qu’un poème forme un tout; et si mon humble ouvrage y parvenait, ne serait-il pas supérieur au sonnet, puisqu’enfermant autant de pensées en moins d’espace, il aurait donc l’avantage de la concision et pourrait donc ennuyer pendant moins longtemps les personnes qui consentiraient à l’entendre. Nous savons ce qu’est un sonnet – un sonnet sans défaut, comme parlait l’autre – et si vous m’en donniez licence, je tenterais de le définir ainsi:
Sonnet, double quatrain qu’un tercet double suit,
Ta moindre négligence est mise au rang des crimes!
Deux rimes aux quatrains, trois aux tercets: cinq rimes.
Unique rime aux vers un, quatre, cinq et huit.
Le vers onze finit ainsi que le vers treize.
Ne manquez à ces lois et chantez à votre aise.
– J’aimerais mieux, déclara Mme Baramel, que vous eussiez dit: Le vers 13 finit ainsi que le vers 11.
– Vers que nous graverons, Madame, dans le bronze; mais je ne songe point du tout à rien changer au mien, encore qu’on m’en puisse gourmander, comme vous faites, car j’ai voulu précisément marquer que, de deux vers, les poètes ont assez bien coutume de ne construire le premier qu’après avoir trouvé le second, – je dis: construire et trouver; et l’on peut, par conséquent, se plaire à soutenir que c’est le vers onzième qui dans la forme et le son de sa dernière syllabe imite la fin du treizième.
– Mais, reprit M.Durand, tant de poètes, et Malherbe, et Baudelaire, ont fait de ces sonnets que Racan nommait licencieux, et Gautier libertins, où les rimes du second quatrain ne sont plus celles du premier, que j’ai pensé fort raisonnable de supprimer l’un des quatrains, puisqu’il brisait, en quelque sorte, l’architecture de ces petits ouvrages; et, dans ma solitude béarnaise, à cet endroit où deux gaves, en s’unissant, perdent la moitié de leurs rives, rêvant à des amours qui, selon la coutume, m’avaient été douces et cruelles, à Bayonne, et qui me tourmentaient encore, voici comme j’improvisai:
J’abandonne ta chaîne et tes molles arcades,
Bayonne, dont le nom chante au bout des fusils,
Pour mêler ma paresse et mes songes choisis
Au bruit vain de cette eau qui se rue en cascades.
Je fus cascade aussi dont mes soirs sont fourbus.
Amour, Gloire, Allégresse, adieu! Les vins sont bus,
Et ce double torrent sera tout mon Hydaspe.
L’hameçon de Vénus brille au gave d’Ossau
Pourtant ou de ma main charme le gave d’Aspe,
Quand je tente une truite avec un vermisseau.
abba ccd ede – 1o vers
– Vous êtes bien impertinent, dit Mme Baramel, de comparer ainsi l’amour à la pêche à la ligne; mais je ne sais ce que vous voulez dire avec vos fusils.
– Ne vous rappelez-vous point ces soldats que nous a peints Chateaubriand? » … Ils portent un tube enflammé, surmonté du glaive de Bayonne. »
– Je crois, Monsieur, dit M. Théodore Decalandre, que cette forme de poème que vous avez inventée se montre fort propre à contenir les beautés les plus grandes. Malherbe, lui-même, ne voudrait pas me contredire. Pour nous mener longtemps par des chemins divers, vous avez mis, Monsieur, votre esprit à l’envers et vous avez trouvé la strophe de dix vers, – astre fameux au ciel de ce vieil univers.
On admirera la belle tentative de M. Polyphème Durand pour définir de manière brève et en vers le sonnet banvillien. Il n’y parvient pas tout à fait (à cause des tercets)