Archives de catégorie : Disposition strophique

La disposition ordinaire 4+4+3+3 n’est pas signalée.

Gaspiller sa pensée en un dévergondage — 1943 (4)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

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Gaspiller sa pensée en un dévergondage
Est impudique: avant l’acte, la volupté
Est parjure et cruelle, âpre et sans loyauté,
Funeste, extrême, rude et menteuse et sauvage.

Plaisir des sens, maudit, dès qu’expérimenté;
Déraison poursuivie, et qui, sitôt l’usage,
Est déraison haïe: ainsi, sur son passage,
Serait l’appât rendant un chasseur hébété.

Hébété dans la chasse et dans la réussite;
Passé, Présent, Futur surexcitant l’ardeur;
Un bonheur devant soi, mais derrière, un malheur;

Avant, une âpre joie; un mauvais rêve, ensuite ….
Le Monde sait cela – mais nul n’est bien expert
A l’éviter, l’Eden qui mène à cet Enfer.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2 – tr

Morceau purifié morceau purifiant — 1938 (5)

Pierre-Jean JouveKyrie

A une église de village

Morceau purifié morceau purifiant
Morceau virginisant de Dieu sur la terre
Morceau virginisé et tout le corps aimant
Morceau de l’homme au ciel et grande profondeur

Le pauvre avec tout le ciel
L’humidité l’abandon de ces ans
Les arbrisseaux poussés faisant songer
Que cette créature est nue aux abat- sons

A la nue tourelle entre pierre et jardin
Et le coq ancien consacré à l’azur,
Est-ce ainsi qu’elle a pris le péché dans la terre

Et offert à la campagne un pain de paix?
Contre un arbre gros vert de nos plateaux vieux
Je t’aime: ne repousse pas mon cœur pieux.

vL – disp: 4+4+4+2  – seul le couplet final est rimé

Le lycé’ du Havre est un charmant édifice, — 1937 (3)

Raymond Queneau in Oeuvres poétiques

Le lycé’ du Havre est un charmant édifice,
on en fit en ‘quatorze un très bel hôpital;
ma première maitress’ – d’école – avait un fils
qu’elle fouettait bien fort: il pleurait, l’animal!
J’étais terrorisé à la vu’ de ces fesses
rougissant sous les coups savamment appliqués.
(Je joins à ce souv’nir, ceci de même espèce:
je surveillais ma mère allant aux cabinets.)
Et voici pourquoi, grand, j’eus quelque préférences:
il fallut convenir que c’était maladie,
je dus avoir recours aux progrès de la science
pour me débarrasser de certaines manies
(je n’dirai pas ici l’horreur de mes complexes;
j’réserve pour plus tard cette question complexe).

ababcdcdefefgg – = Q59  T23 – sns – disposition de rimes ‘shakespearienne’

Ils ont cherché longtemps longtemps — 1935 (2)

Charles Dupuis Au hasard de leurs mains ouvertes

Sonnet

Ils ont cherché longtemps longtemps
Au hasard de leurs mains ouvertes
La synthèse des palmes vertes

Et du bonheur dans les printemps

Ils ont cherché, toujours courant
Fuyant parfois comme on déserte
La prison des lèvres offertes

Leur quadrature de vivants

Ils ont cherché de porte en portes
Et puis des chimères sont mortes
Dont leurs âmes traînent les deuils

Et leurs coeurs sont des cimetières
Où sans croix, sans ifs, sans prières
Pourrissent d’étranges cercueils.

Q15  T15  disp 3+1+3+1+3+3 – octo

Je suis ce riche ayant sur lui la clef bénie — 1927 (3)

Shakespeare Sonnets trad. Emile Le Brun

LII

Je suis ce riche ayant sur lui la clef bénie
Qui l’amène à son cher trésor bien mis sous clef,
Mais n’allant pas le voir à toute heure, de crainte
D’émousser son plaisir, aigu tant qu’il est rare.

Si nos fêtes sont chose unique et solennelle,
C’est d’apparaître au cours de longs mois, peu fréquentes,
Diamants d’un grand prix, sertis de loin en loin,
Joyaux en chef parmi les perles du collier.

Qu’est donc pour moi le temps qui vous détient? L’armoire
Recelant le manteau de gala qui doit faire
Qu’un non-pareil moment soit fêtes non-pareilles

Lorsqu’il redéploiera sa splendeur prisonnière.
Béni soit de haut prix qu’est le vôtre: on vous a,
Quel triomphe! Et lorsque vous manquez, quel espoir!

bl – disp: 4+4+4+2 – Alexandrins blancs (non rimés) et disposition hybride sur la page: strophes séparées (à la française) mais décrochement vers la droite du couplet final (comme dans l’édition originale, le ‘quarto’)

Fait son devoir gagné son pain — 1923 (5)

Aragon – (Les Destinées de la poésie)


Le fantôme de l’honnêteté

Quand on a peiné tout le jour
Fait son devoir gagné son pain
Tour à tour
On est bien heureux de trouver son coin
Pour dormir jusqu’au lendemain
Afin de peiner son pain tout le jour
Gagner son devoir et perdre son tour
Coin-coin

Qui n’a pas son petit canard
Son petit pain
Son petit lupanar
Son petit bonheur son petit soleil
Son petit sommeil

Coin-coin

VL – disp: 8+5+1

A songer que l’état m’assigne — 1920 (8)

Aragon (sonnets non repris dans Feu de joie)

Satan, ses pompes et ses oeuvres

A songer que l’état m’assigne
Six francs, le prix d’une catin
Et le déjeuner du matin
Le noir registre je le signe:

Docteur, et ce nom qu’un destin
Favorable doit rendre insigne
Non sans quelque gaieté maligne
De mentir à ce bulletin.

Il n’est de titre que j’envie
garder ou l’une ou l’autre vie
comme en-tête pour mes papiers,

sinon celui que me confère
ce doux emploi de ne rien faire:
Médecin des Sapeurs-Pompiers.

Q16 – T15 – octo – sns

Sonnet, qui n’étais plus qu’un objet de musée, — 1920 (1)

Gauthier-Ferrières Le miroir brisé – sonnets


Sonnet ….

Sonnet, qui n’étais plus qu’un objet de musée,
Dans l’atelier sans air des froids Parnassiens,
Quitte les ciseleurs pour les musiciens
Et danse enfin sur l’herbe où perle la rosée.

Emplis de vin ta coupe, ouvre au vent ta croisée,
Sois libre, ailé, chantant, tourne, bondis, va, viens!
Et joue aux quatre coins dans tes quatrains anciens
Afin que mon Amie en soit tout amusée.

Rajeunis-toi pour elle et brise tes liens,
O Sonnet, noble fleur des parcs italiens,
Transplantée autrefois dans les jardins de France.

Chante lui sa beauté que tu suis pas à pas
Et quelquefois aussi chante lui ma souffrance,
Pourvu qu’en t’écoutant elle n’en souffre pas.

Q15 – T14 – banv – s sur s

Pasteur, nous n’irons plus aux pâtis de l’aurore, — 1917 (2)

Jean Royère Par la lumière peints

Pasteur
A Gustave Geffroy

Pasteur, nous n’irons plus aux pâtis de l’aurore,
Tous mes agneaux sont morts d’avoir brouté l’azur;
Je veux, scellant sur eux l’ombre du clair-obscur,
Fermer notre bercail au soir qui vient d’éclore.

Un tendre clair de lune endormi sur un mur
Sera l’écho pensif de mon été sonore,
La seule volupté par quoi je puisse encore
Feindre au couchant du rêve un lendemain plus sûr.

Mais par les trous du toit dans la crèche où je couche
Mon âme a frissonné divine moins que lui
De sentir s’allumer aux astres qui m’ont lui
Le baiser de mes vers descendu sur ma bouche,

Fantôme dont la nuit s’éclaire d’un flambeau
Pendant que l’autre azur succède à son tombeau.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2

Le pré est vénéneux mais joli en automne — 1913 (13)

Guillaume Apollinaire Alcools

Les Colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne

Les enfants de l’école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne

Q10  – T13 -y=x: e=a  – 15v – disp: 7+5+3m.irr.On peut à la rigueur considérer qu’il s’agit d’un sonnet, si on admet qu’il a été ‘dénaturé’ par le découpage en deux vers de l’alexandrin ‘Les vaches y paissant ..’ (qui a eu lieu sur épreuves) et le déplacement des frontières strophiques.