Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

Tu, Rrose Sélavy, hors de ces bornes erres — 1944 (18)

Robert DesnosCe cœur qui haïssait la guerre

Printemps

Tu, Rrose Sélavy, hors de ces bornes erres
Dans un printemps en proie aux sueurs de l’amour,
Aux parfums de la rose éclose aux murs des tours,
à la fermentation des eaux et de la terre.

Sanglant, la rose au flanc, le danseur, corps de pierre
Paraît sur le théâtre au milieu des labours.
Un peuple de muets d’aveugles et de sourds
applaudira sa danse et sa mort printanière.

C’est dit. Mais la parole inscrite dans la suie
S’efface au gré des vents sous les doigts de la pluie
Pourtant nous l’entendons et lui obéissons.

Au lavoir où l’eau coule un nuage simule
A la fois le savon, la tempête et recule
l’instant où le soleil fleurira les buissons.

Desnos
6.4.44
19, rue Mazarine
Paris VI

Q15 – T15

Rue Aubry-le-Boucher on peut te foutre en l’air, — 1944 (17)

Robert DesnosA la caille

Rue Aubry-Le-Boucher (en démolition)

Rue Aubry-le-Boucher on peut te foutre en l’air,
Bousiller tes tapins, tes tôles et tes crèches
Où se faisaient trancher des sœurs comaco blèches
Portant bavette en deuil sous des nichons riders.

On peut te maquiller de béton et de fer
On peut virer ton blaze et dégommer ta dèche
Ton casier judiciaire aura toujours en flèche
Liabeuf qui fit risette un matin à Deibler.

A Sorgue, aux Innocents, les esgourdes m’en tintent.
Son fantôme poursuit les flics. Il les esquinte.
Par vanne ils l’ont donné, sapé, guillotiné

Mais il décarre, malgré eux. Il court la belle,
Laissant en rade indics, roussins et hirondelles,
Que de sa lame Aubry tatoue au raisiné.

Q15 – T15

Parce qu’il est bourré d’aubert et de bectance — 1944 (16)

Robert DesnosA la caille

Pétrus d’Aubervilliers

Parce qu’il est bourré d’aubert et de bectance
L’auverpin mal lavé, le baveux des pourris
Croit-il encor farcir ses boudins par trop rances
Avec le sang des gars qu’on fusille à paris?

Pas vu? Pas pris! Mais il est vu, donc il est frit,
Le premier bec-de-gaz servira de potence.
Sans préventive, sans curieux et sans jury
Au demi-sel qui nous a fait payer la danse.

Si sa cravate est blanche elle sera de corde.
Qu’il ait des roustons noirs ou bien qu’il se les morde,
Il lui faudra fourguer son blaze au grand pégal.

Il en bouffe, il en croque, il nous vend, il nous donne
Et, à la Kleberstrasse, il attend qu’on le sonne
Mais nous le sonnerons, nous, sans code pénal.

Q11 – T15

Maréchal Ducono se page avec méfiance, — 1944 (15)

Robert DesnosA la caille

Maréchal Ducono

Maréchal Ducono se page avec méfiance,
Il rêve à la rebiffe et il crie au charron
Car il se sent déjà loquedu et marron
Pour avoir arnaqué le populo de France.

S’il peut en écraser, s’étant rempli la panse,
En tant que maréchal à maousse ration,
Peut-il être à la bonne, ayant dans le croupion
Le pronostic des fumerons perdant patience?

A la péter les vieux et les mignards calenchent,
Les durs bossent à cran et se brossent le manche:
Maréchal Ducono continue à pioncer.

C’est tarte, je t’écoute, à quatre-vingt-six berges,
De se savoir vomi comme flotte et faux derge
Mais tant pis pour son fade, il aurait dû clamser.

Q15 – T15

Tu viens au labyrinthe où les ombres s’égarent — 1944 (14)

Robert DesnosCalixto

Tu viens au labyrinthe où les ombres s’égarent
Graver sur les parois la frise d’un passé
Où la vie et le rêve et l’oubli, espacé
Par les nuits, revivront en symboles bizarres.

Je viens au labyrinthe où, plus gros qu’une amarre,
Se noua le vieux fil avant de se casser.
Ses deux bouts sur le sol roulent sans se lasser
Tout se taît, mais je sens naître au loin la fanfare.

Tu viens au labyrinthe et, d’un pas sans défaut,
Du seuil au seuil tu vas, tu passes sans assaut,
Ton être se dissout dans sa propre légende.

Je viens au labyrinthe oublier mes cinq sens.
J’ai choisi le courant sans en choisir le sens.
La fanfare s’éteint avant que je l’entende.

Q15 – T15

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour — 1944 (11)

Robert Desnos Contrée

Le paysage

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour
Ce n’est plus ce bouquet de lilas et de roses
Chargeant de leurs parfums la forêt où repose
Une flamme à l’issue de sentiers sans détours.

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour
Ce n’est plus cet orage où l’éclair superpose
Ses bûchers aux châteaux, déroute, décompose,
Illumine en fuyant l’adieu du carrefour.

C’est le silex en feu sous mon pas dans la nuit,
Le mot qu’aucun lexique au monde n’a traduit
L’écume dans la mer, dans le ciel ce nuage.

A vieillir tout revient rigide et lumineux,
Des boulevards sans nom et des cordes sans nœuds.
Je me sens me roidir avec le paysage.

Q15 – T15

A quoi, mon cher amour, servirait l’exercice, — 1944 (10)

Robert Mélot du Dy Rimes des rhétoriqueurs

Chaîne d’amour

A quoi, mon cher amour, servirait l’exercice,
Si ce n’est à former de beaux corps amoureux?
Regarde ces danseurs, ivres de leurs délices:
Lis ce sonnet dansant que j’invente pour eux.

Heureux, l’amant bien fait, qu’en secret il jouisse
Ou hisse l’étendard de son cœur valeureux;
Heureux que la beauté deux fois les éblouisse,
Oui! ces corps deux fois beaux sont doublement heureux.

Regarde encor: voici qu’on accouple avec rimes,
Crimes délicieux du langage, les mots,
Modulant la musique amoureuse des mimes:

Imminent, le baiser sur les lèvres éclos
(L’eau m’en vient à la bouche) unira leurs tendresses …
Dresse-toi, mon sonnet, libre de maladresses!

Q8 – T23   s sur s

Exercice de ‘rime annexée’ (ACh): la fin de vers est reprise au début du vers suivant: exercice / Si cepour eux / heureux

Combien de temps ô mère du Seigneur avant — 1944 (9)

Pierre-Jean JouveLa Vierge de Paris

Combien de temps ô mère du Seigneur avant
Que ne revive à ce vieux sol le fils en gloire
Que de travaux de pleurs combien de battements
Pour que le rayon doux revienne à notre histoire

Pour que nous retrouvions le bois sacré des ans
Et le soleil du jour patient labyrinthe
D’amour et de folie avec art caressant
Ta robe de grandeur et ton regard sans plainte

O vierge de Paris c’est à présent que l’art
Obscur emplit l’abîme alors que dans tes plis
Disparaissant, que tu n’es plus la vierge mère,

C’est à présent que nous voyons le vent du temps
Mêlant nos murs cassés à nos tristes parvis
Demander durement si nous sommes Lazare.

Q32 – cdx ydc

Je vis chaste dans le bosquet de mon roman, — 1944 (8)

Henri Thomas Signe de vie

La vie ensemble

Je vis chaste dans le bosquet de mon roman,
la plus grande aventure est de ne pas bouger,
l’hostie de glace sur la langue qui ne ment
fond, vivante fraîcheur, ruisseau de mots légers.

User les jours … mais le massif est transparent!
l’œil immobile voit le domaine étranger,
les gisements d’horreur, le plaisir fulgurant,
les êtres endormis dans l’immense rocher

qui pèse et cependant vole comme un nuage,
muet, mais rayonnant des éclairs du langage,
insensible, et docile aux raisons de la terre,

il tombe feuille morte et renaît feuille verte,
on le blesse, mais c’est le jour qui nous éclaire,
on le tue, et sa joie nous est toujours offerte.

Q8 – T14

Le chat lutte avec une abeille — 1944 (7)

Henri Thomas Signe de vie

Sonnet du chat

Le chat lutte avec une abeille
autour de sa fourrure,
je vois l’azur et ses merveilles,
un arbre, une mâture,

la mer apporte à mon oreille
le bruit des aventures
que nous vivrons si tu t’éveilles,
témérité future.

Je me consacre aux vertes îles,
favorables au sage
qui sait trouver un dieu tranquille

entre palme et rivage.
Le chat s’en va, brillant et beau,
pour guetter les oiseaux.

Q8 – T23 -2m : octo; 6s: v.2, v.4, v.6, v.8, v10, v.12, v.14